À qui fera mal la réforme de la fiscalité des PME?

Publié le 08/08/2017 à 11:30

À qui fera mal la réforme de la fiscalité des PME?

Publié le 08/08/2017 à 11:30

On a parlé d’une bombe. D’une bombe atomique même! J’ai bien entendu quelque chose, mais c’était plutôt splouch! C’est que le 18 juillet, quand Bill Morneau a précisé ses intentions à l’égard de la planification fiscale au moyen des sociétés privées, j’étais en vacances.

Mais de quoi s’agit-il? Le ministre canadien des Finances veut couper l’accès à certains stratagèmes qui permettent à des gens fortunés de payer moins d’impôt. Dans le passé, le gouvernement avait prévu certains accommodements pour favoriser l’investissement et faciliter le développement des entreprises, des assouplissements dont l’objectif a été détourné avec le temps à des fins fiscales. Tout à fait légalement.

L’expert Dany Provost a mieux que je n’aurais pu le faire expliqué la chose dans ce texte. Rappelons tout de même que l’idée de Bill Morneau est d’empêcher les entrepreneurs et les professionnels incorporés de recourir à une société pour différer de l’impôt, pour fractionner des revenus avec ses enfants et son conjoint de manière indue ou pour convertir des revenus imposables à 100% en gains en capital imposable à 50%. Je vous épargne les détails techniques, ce n’est pas encore l’heure du dodo.

Dans la foulée de cette sortie estivale du ministre Morneau, un article a été publié par le Financial Post et dont le titre m’a fait sourire: Moneybags Morneau reprimands rich people for having brains. Traduction libre: «Le plein-de-cash Morneau reproche aux gens riches d’avoir des cerveaux.»

Si les cerveaux des gens riches sont impliqués ici, c’est sans doute dans les couches profondes, au niveau reptilien. C’est vrai que le procédé est complexe. Mais je ne pense pas que le pouvoir d’abstraction des contribuables en question ait un rôle à jouer ici, le modus operandi pour épargner de l’impôt étant une création de fiscalistes.

L’usage de la société à des fins fiscales ne date pas d’hier, mais je présume que le concept était à l’origine assez exotique. Voyez comment j’imagine la chose, mais corrigez-moi si je me trompe. De brillants fiscalistes ont élaboré des structures complexes pour d’importants entrepreneurs en moyen. Puis la méthode s’est fait connaître par des fiscalistes qui n’ont rien inventé et qui l’ont proposée à des clients de moindre envergure.

C’est comme la technologie dans les autos, elle apparait d’abord dans les Mercedes avant d’aboutir dans les Hyundai 10 ans plus tard.

Bref, le procédé s’est répandu avec le temps, puis a été raffiné, si bien que maintenant, l’incorporation à des fins fiscales fait partie de ces rites de passage dans certaines professions. Je pense notamment aux médecins, attendus par les fiscalistes à leur sortie de l’internat.

Ils sont intelligents les médecins, mais je doute qu’ils excellent en optimisation fiscale. Et vous connaissez leur réputation en finances qui, outre leurs moyens, en fait une clientèle de choix en services financiers.

Une bombe donc. Elle ne devrait pas tarder à exploser. Je parie que les intentions du ministre des Finances seront mises en application dès 2018. Et que Québec pourrait s’aligner rapidement. (Carlos Leitao s’était attaqué aux mêmes enjeux au Québec, mais en haussant le taux d’imposition des sociétés qui ne répondent pas à certains critères en matière d’embauche).

À mon avis, ce ne seront pas tant les médecins, les autres professionnels incorporés et les entrepreneurs qui vont le plus pâtir des changements. Mais bien les fiscalistes eux-mêmes qui seront moins intéressants. Voyant leur arsenal d’optimisation fiscale gravement appauvri, j'en imagine déjà confrontés à un vide existentiel.

Mais ils ne pourront pas se plaindre de ne pas avoir vu la chose venir. Les objectifs de Bill Morneau ont été télégraphiés depuis des mois. Dans son dernier budget déposé en mars, le gouvernement fédéral a été explicite. S’il y avait un seul élément limpide dans ce budget évasif, c’était l’intention du gouvernement fédéral de s’attaquer à la planification fiscale par l’intermédiaire des sociétés privées:

«L’examen des dépenses fiscales fédérales a mis en évidence un certain nombre de problèmes liés aux stratégies de planification fiscale au moyen de sociétés privées, qui peuvent permettre à des particuliers à revenu élevé de profiter d’avantages fiscaux injustes», pouvait-on lire.

J’étais à la présentation du budget. Mon voisin de table, le planificateur financier Daniel Laverdière, de Banque Nationale Gestion privée 1859, s’était alors exclamé : «Le gouvernement n’aura pas le choix de frapper fort!»

Lire: Les pauvres maintenants, les riches plus tard

Et dans cette allocution prononcée à Toronto au mois de mai, Bill Morneau était on ne peut plus direct : « Ce que nous voulons éviter, c'est que des gens exploitent ces règles pour en tirer un avantage injuste pour eux‑mêmes, aux dépens des autres.»

La bombe n’a pas été larguée en juillet, mais des mois auparavant.

Cela soulève des questions: sachant que la mise en place d’une telle structure d’optimisation fiscale est une opération relativement coûteuse dont l'effet s'inscrit dans une longue durée, je me demande s’il s’est trouvé des spécialistes pour la proposer depuis à leurs clients.

Levez la main, les médecins qui se sont incorporés ces derniers mois.

Suivez-moi sur Twitter / Pour lire mes autres billets


 

À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.