Le dilemme de Prem Watsa

Publié le 16/04/2014 à 10:23

Le dilemme de Prem Watsa

Publié le 16/04/2014 à 10:23

Prem Watsa, président de Fairfax Financial Holdings [Photo : Bloomberg]

J’ai souvent fait l’éloge du rapport annuel de Fairfax Financial Holdings et en particulier de la lettre de son président Prem Watsa à ses actionnaires. Celui de 2013 ne fait pas exception.

M. Watsa décrit avec candeur et intelligence ses activités, les réalisations de son équipe et les perspectives de Fairfax. D’ailleurs, les résultats dans l’assurance sont impressionnants. Les souscriptions d’assurance ont procuré des bénéfices de 440M$US en 2013, ce qui est exceptionnel lorsqu’on sait que Fairfax a généralement visé le point mort dans l’assurance, ses bénéfices provenant surtout de ses placements.

En 2013, son ratio combiné sur une base consolidée a été de 92,7% par rapport à 99,9% en 2012. Dans l’assurance, tout ce qui est inférieur à 100% est bon. Sa filiale canadienne Northbridge a réalisé un ratio combiné de 98,2% alors qu’OdysseyRe, spécialisée dans la réassurance, a frappé un coup de circuit avec un ratio de 84,0%.

De plus, la direction de Fairfax a la réputation d’être conservatrice lorsqu’elle prend des réserves pour les futures réclamations.

Ces résultats solides sont entachés par ce qui se passe du côté des placements. En effet, Fairfax a subi une perte avant impôts d’un milliard de dollars (G$), malgré les meilleurs résultats de son histoire en assurance. De quoi rendre certains actionnaires frustrés!

C’est que la société a perdu près de 2G$US avant impôts avec ses contrats pour protéger ses placements en actions (perte comptable). En 2010, Prem Watsa a décidé d’instaurer un programme de protection («hedges») en raison de sa vision négative des marchés financiers.

Depuis, ce programme a subi des pertes cumulatives de 3,5G$US.

À l’époque, après la crise financière de 2008-09, M. Watsa craignait que l’économie de l’Amérique du Nord vive ce que les États-Unis ont subi durant les années 1930 et le Japon depuis 1990, soit une croissance du produit intérieur brut nulle pendant 10 à 20 ans. L’investisseur ajoutait qu’il avait peur que l’accumulation de dette provoque des périodes de déflation difficiles.

Quatre ans plus tard, dans son plus récent rapport, Prem Watsa reprend encore cette idée et ajoute des éléments bien choisis pour appuyer sa thèse négative. Peut-être aura-t-il raison, mais en attendant ses actionnaires souffrent.

Et il se retrouve dans une position délicate qui le pousse à rester négatif. En effet, après avoir subi d’aussi importantes pertes, il est très difficile pour un être humain de changer d’idée, de dire comme ça à ses partenaires, « désolé, je me suis trompé».

D’autant plus que lors du cycle précédent, comme Prem Watsa le rappelle lui-même dans son rapport annuel, il a eu raison avec ses «credit default swaps» qui lui ont finalement rapporté 2G$US, après des années de pertes et de souffrance. Est-ce qu’un investisseur aussi brillant peut reconnaître qu’il a peut-être juste été chanceux?

La position la plus facile pour M. Watsa est donc de rester ferme dans l’espoir que les marchés s’effondrent!

Ce qui est dramatique à mon avis, c’est qu’en attendant, sa performance historique d’investisseur se noircit et que sur la base de son analyse macroéconomique (ce qui n’a jamais été son expertise centrale), il vend des actions solides comme US Bancorp, Wells Fargo et Johnson & Johnson.

Prem Watsa a oublié que son talent est de chercher des aubaines, pas de prédire le prochain marché baissier.

Bernard Mooney

 

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