Les géants aux pieds d’argile

Publié le 14/09/2018 à 16:08

Les géants aux pieds d’argile

Publié le 14/09/2018 à 16:08

[Photo: 123rf]

BLOGUE INVITÉ. Je venais tout juste de quitter le studio. Je me dirigeais vers ma voiture, quand mon cellulaire se mit à vibrer frénétiquement. Les textos s’enfilaient les uns après les autres. Le dernier qui s’affichait sur mon écran disait : « Mais ça n’a pas de sens, c’est vraiment méchant, es-tu ok ? ». C’est en lisant les messages suivants que je compris que l’animateur vedette de la station radiophonique numéro 1 à Québec était en train de proposer en direct mon congédiement. Mais comment un collègue de travail pouvait-il se donner le droit de m’humilier ainsi publiquement ? Réponse : parce qu’il était considéré comme un géant !

C’était au début des années 2010. À la fin de la troisième saison de ma série télévisée VoirGrand.tv, un directeur des programmes m’avait contactée pour m’offrir d’animer VoirGRAND.fm sur les ondes de la même station radio que l’animateur vedette bien connu. Être à la barre de ma propre émission radiophonique tout en continuant de produire ma série télévisée, quelle chance extraordinaire ! Ce projet télé, dans lequel je mettais toutes mes heures et mes revenus, m’amenait à me tailler une place dans un autre média, méchant beau cadeau ! D’autant plus que je serais rémunérée pour le faire.

L’émission radio mettait de l’avant les passions qui m’animent. Je recevais des invités inspirants qui partageaient leur parcours. Dès les premières semaines, j’avais réussi à mettre mes contacts d’affaires à contribution pour lancer PartezEnGRAND.fm, un concours entrepreneurial qui allait donner une superbe bourse de 160 000 $ en services et gratuités pour permettre au gagnant d’ouvrir son propre commerce avec pignon sur rue.

Au bout de trois mois, les résultats des sondages BBM tombèrent. Ce n’était pas la joie pour mon show. Pas la catastrophe non plus, compte tenu que mon émission était toute nouvelle et qu’il fallait assurément laisser un peu plus de temps à l’auditoire pour l’apprivoiser et m’adopter. Peut-être aussi que je n’étais tout simplement pas à la hauteur ou que le sujet de l’entrepreneuriat était trop à l’avance de son temps.

Mais l’animateur vedette de la station n’entretenait, lui, aucun doute. Ses cotes d’écoute avaient baissé comparativement au précédent sondage et c’était à cause de la piètre nouvelle animatrice qui prenait place avant lui dans le studio. Selon ses dires, j’étais tellement mauvaise que je vidais toutes les ondes avant son arrivée, ne lui laissant ainsi pas grand auditoire. Et c’est alors que vigoureusement, le géant sans gêne expliqua en direct qu’à la fin de son émission, il irait voir la direction et leur proposerait de faire un choix. « Ça sera elle ou moi ! » dit-il bien fort au micro avant d’aller à la pause publicitaire.

Quelques jours suffirent pour que je reparte du studio avec une boîte contenant mes effets personnels.

Les trop pleins d’eux-mêmes

On dit que le succès monte à la tête des gens qui ont le vide nécessaire pour l’accueillir. Que leur vide est tellement grand, que seuls leurs propres mérites peuvent les remplir. Ils deviennent ainsi trop pleins d’eux-mêmes et ils se croient alors tout permis. Mais un jour, on découvrit que le géant qui paraissait invulnérable était en vérité édifié sur une base bien fragile. Visé par des allégations cumulées d’inconduites sexuelles, l’animateur vedette fût congédié grâce à une vague engendrée par le courage de l’une de ses victimes qui le dénonça publiquement pour harcèlement, attouchements et avances sexuelles.

Salvail, Rozon, Weinstein et compagnie

Quel est le dénominateur commun entre cette histoire et les Salvail, Rozon, Weinstein de ce monde ? Réponse : Aujourd’hui, les géants aux pieds d’argile tombent rapidement et ils subissent des conséquences immédiates. Leur carrière et leur réputation sont directement atteintes grâce à une vague de dénonciations publiques mettant en lumière les comportements immoraux, d’agressions et d’abus de pouvoir de toutes sortes. À l’aube du 1er anniversaire du mouvement #MoiAussi (#MeToo), la honte est en train de changer de camp. Et ça, c’est un véritable pas de géant !

 

 

À propos de ce blogue

«Je suis devenue une entrepreneure le jour de mon congédiement. L’instinct de survie, mon audace et mes paiements à la fin du mois ont figuré parmi mes plus grands actifs. Depuis, j’encourage les gens à aller au bout de leurs rêves et de leurs ambitions à titre de productrice et animatrice télé, conférencière, chroniqueuse et cofondatrice du mouvement Adopte inc. qui vient en aide à la relève entrepreneuriale. Et maintenant, à titre de blogueuse!» Anne Marcotte est cofondatrice du mouvement Adopte Inc et productrice du Groupe Vivemtia inc.

Anne Marcotte