Apple peut marcher et mâcher de la gomme en même temps

Publié le 26/03/2019 à 06:51

Apple peut marcher et mâcher de la gomme en même temps

Publié le 26/03/2019 à 06:51

Apple Arcade.

Depuis le temps que les analystes présentent la situation d’Apple comme une opposition entre la fabrication de matériel informatique et la mise en marché de services pouvant vivre de façon autonome, on a finalement pu faire la part des choses, lundi. Apple News+, Apple Arcade, Apple TV+, et même (pour ne pas dire, surtout) l’Apple Card témoignent d’une réalité beaucoup plus nuancée que cette bête opposition entre le matériel et le logiciel.

Une entreprise qui compte sur une clientèle assez large, et somme toute très fidèle comme celle d’Apple peut jouer sur les deux tableaux sans risquer de se piler sur les pieds. Surtout, à l’ère des technologies de rupture omniprésentes, elle peut jouer le jeu de la perturbation dans des secteurs pas trop éloignés de ses opérations courantes, en commercialisant une carte de crédit, par exemple.

Chose qui, si elle survient dans l’ombre de géants du divertissement comme Steven Spielberg et Oprah Winfrey, n’en témoigne pas moins d’une réalité importante du monde des affaires en général et de la technologie en particulier, peut-être en lien avec ce fameux concept d’industrie 4.0. En 2019, une société n’a plus besoin d’être un silo fermé et étanche. Un fabricant comme Apple peut devenir un diffuseur de contenu vidéo sur demande, peut devenir une plateforme de distribution de jeux vidéo multiplateforme chatouillant à la fois le monde du jeu mobile et plus léger et celui des consoles ou des jeux pour PC, et peut même devenir une fintech. Une grosse, grosse fintech aux poches infiniment profondes, ça va sans dire…

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Apple Arcade : aux développeurs de choisir

Si plusieurs doutent du succès d’Apple TV+ dans un marché où Netflix a déjà une énorme longueur d’avance, on semble beaucoup plus optimiste quant à l’arrivée d’Apple Arcade, une plateforme de jeu vidéo par abonnement qui est à la fois similaire, et diamétralement opposée à Stadia, une plateforme de jeu dévoilée par Google une semaine plus tôt. Celle-ci mise sur l’infonuagique pour faciliter l’accès à des jeux de pointe via des ordinateurs ou des appareils aux fiches techniques plus modestes que celle d’une machine conçue exprès pour le jeu de pointe (les fameux titres «AAA»).

Apple prend une approche plus près du jeu mobile et léger (le «casual gaming»), promet de ne tirer aucune information sur vos habitudes et préférences, et permettra de jouer même sans connexion à Internet à la centaine de jeux qui seront offerts exclusivement dans son terrain de jeu.

Apple élimine un point de friction qui agace probablement autant les développeurs que les joueurs : finis, les achats intégrés, qui s’apparentent souvent à de la triche pour progresser plus rapidement dans le jeu, s’ils n’enlèvent pas carrément tout goût de jouer. Avec un peu de chance, ça libérera la créativité de développeurs qui pourront générer des revenus en fonction de la popularité de leur jeu, tout simplement. Comme dans le bon vieux temps.

Apple promet d’ailleurs que ce sera aux créateurs de décider comment ils comptent commercialiser leurs créations au sein de l’écosystème Apple. Sous forme d’une appli à prix fixe? En modèle free-to-play? Sous l’enseigne Apple Arcade? Libre à eux de choisir.

Apple News+ : valeur ajoutée

L’an dernier, plusieurs éditeurs de magazines qui déposaient régulièrement la version numérique de leurs magazines se sont vus rejetés de Texture, par Rogers. Puis, on a appris qu’Apple avait acheté l’application qui, hier, est devenue Apple News+. Là où Texture faisait dans l’offre quantitative, Apple dit vouloir plutôt faire dans l’offre qualitative, pour justifier un coût d’abonnement de 13$ par mois. Au Canada, et en français, ça se traduit par une poignée de magazines un peu éparpillés, à défaut d’être éclectique. D’autres titres s’ajouteront au fil des prochains mois, mais avec un partage de revenus qu’on estime à 50/50, Apple News+ a intérêt à être très populaire pour attirer des éditeurs souvent très près de leurs sous.

Ça ne peut pas être pire que Texture, remarquez. Ou qu’un «mur payant» sur un site web… Et pourtant, même aux États-Unis, la liste des médias partenaires n’est pas aussi complète qu’on l’aurait cru. Du côté des grands quotidiens, il manque le Washington Post, entre autres.

Du côté de l’appli à proprement parler, Apple News+ n’a pas atterri bien loin de ce que Texture était dans le passé. Les pages couvertures animées ne révolutionnent pas une expérience de lecture de magazines numériques qui n’a pas vraiment évolué en dix ans. Le Toronto Star, qui débarque en exclusivité dans l’application après avoir abandonné la plateforme d’application proposée par La Presse (similaire à La Presse+, qui aura vu juste avec son «+»…), sera un excellent indicateur du succès de cette aventure que les éditeurs de quotidiens partout au pays regarderont de près.

Apple TV+ : combien ça coûte, Hollywood?

Il manque encore plusieurs détails à propos d’Apple TV+, le service de contenu exclusif qui se greffera à Apple TV à partir de l’automne prochain. Chose sûre, les partenaires d’Apple dans ce projet vont attirer leur lot d’amateurs. Steven Spielberg, qui reproche à Netflix de ne pas proposer une expérience adéquate pour regarder des films, est apparu sur scène à Cupertino pour parler d’un projet de série qui devrait quand même valoir le coup d’œil. D’autres personnalités bien en vue de Hollywood, producteurs, actrices et marionnettes (!), ont défilé pour présenter divers projets qu’Apple offrira à partir d’une enveloppe pour des productions originales que la rumeur a fixée à 1 milliard $US pour commencer.

C’est évidemment loin des 12G$US investis en un an par Netflix, ce qui a fait dire à plus d’un analyste qu’Apple part de loin, en marchant, et espère rattraper un rival qui avance au pas de course, loin devant. Évidemment, Apple a une présence dans des marchés où Netflix n’est pas. Et sa capacité à investir est pratiquement exponentielle. Ceci n’est qu’un premier coup de sonde, pour lancer la machine.

Aussi : Apple est patiente. On l’a vu avec Apple Pay, qui a vu le jour il y a quelques années sous la forme d’un outil de paiement sans contact pour les mobiles Apple, et qui est devenu, lundi, une carte de crédit à part entière, avec programme de fidélité à la clé. Apple TV+ peut commencer relativement timidement, mais évoluer rapidement et devenir un joueur sérieux dans la vidéo sur demande d’ici quelques années.

Avec Apple TV sur les télés de Samsung, sur Roku et sur la Fire TV d’Amazon, Apple peut aussi aller chercher de nouveaux adeptes. Pour ça, évidemment, il faudra qu’Apple voie au-delà du star system hollywoodien, qui n’est pas une valeur si universelle que ça. Mais déjà, en offrant tous ces nouveaux services à un prix combiné relativement modique, à la façon d’un Amazon Prime moins la livraison express, Apple ajouterait un atout de taille à son arsenal.

Grâce au Mac et au iPhone, on sait déjà qu’Apple peut marcher, et même courir. Depuis le lancement d’iTunes, on sait aussi qu’Apple peut mâcher de la gomme, et offrir un service qui sera populaire auprès du grand public. En passant à ce modèle par abonnement qui séduit tant les investisseurs puisqu’il est synonyme de nouveaux revenus récurrents, Apple doit maintenant prouver qu’elle peut faire les deux en même temps. Avec ses immenses ressources et ses connexions aux bons endroits, ça ne devrait pas être si sorcier…


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À propos de ce blogue

Autrefois, on appelait ça de l'électronique mais de nos jours, les nouvelles technologies vont bien au-delà des transistors et des circuits imprimés. Des transactions bancaires à l'écoute en rafale d'émissions de télé les plus populaires, la technologie est omniprésente. Et elle comporte son lot de questionnements. Journaliste spécialiste des technologies depuis bien avant l'avénement du premier téléphone intelligent, Alain McKenna a observé cette évolution sous tous ses angles et livre ici ses impressions sur le sujet.

Alain McKenna
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