Pourquoi je remets en cause le dogme de la dette

Publié le 13/10/2012 à 00:00, mis à jour le 11/10/2012 à 09:43

Pourquoi je remets en cause le dogme de la dette

Publié le 13/10/2012 à 00:00, mis à jour le 11/10/2012 à 09:43

Les lecteurs qui me connaissent depuis longtemps savent que la dette, plus exactement l'absence de dette, est une sorte de dogme chez moi. Autant dans l'entreprise que chez l'investisseur, je prêche qu'il faut éviter l'endettement comme la peste.

Ainsi, dans mon premier livre, j'ai écrit, avec une certaine ferveur religieuse, que je jetais au panier tous les rapports des entreprises qui ont trop de dettes.

À chaque conférence que je donne depuis plus de 10 ans, je mentionne que je cherche uniquement des sociétés qui ont du cash !

Au fil des ans, j'ai aussi conseillé de façon constante et répétée aux investisseurs d'éviter de s'endetter, notamment par l'utilisation des comptes sur marge.

Or, je vais vous faire une confession : je commence à remettre en cause cette position.

En effet, depuis quelques semaines, un intense débat se déroule dans mon esprit entre deux forces opposées : le Bernard Mooney-modéré et le Bernard Mooney-audacieux. Le premier reste farouchement opposé à l'endettement, et je reviendrai sur ses principaux arguments. Le second estime que c'est une position dogmatique dépassée dans un contexte de bas taux d'intérêt. Voyons ses arguments.

Outil stratégique

Pour les entreprises, la dette est un outil financier capital. Et le fait qu'elles peuvent se financer à bas coût actuellement devrait les inciter à l'utiliser de façon intelligente. J'irai plus loin. Une société qui réalise un rendement de son capital dans les 10 % et qui peut se financer à un coût inférieur à 5 % fait une erreur si elle n'utilise pas la dette. Elle passe outre à une belle occasion d'enrichir ses actionnaires.

Qui plus est, plusieurs grandes entreprises se retrouvent dans la situation unique d'obtenir du capital à un coût inférieur au rendement en dividendes de leur titre en Bourse. Elles peuvent par exemple racheter des actions et financer les coûts du capital par ce qu'elles économisent en dividendes. C'est l'équivalent d'emprunter à un coût négatif : cela revient à dire qu'elles enrichissent automatiquement et systématiquement leurs actionnaires.

Ne pas utiliser l'endettement dans ce contexte est donc illogique, en respectant des normes prudentes.

Emprunter pour investir

Pour l'investisseur, on peut faire la même démonstration. Si emprunter sur marge vous coûte 4 % en intérêts et que vous pouvez réaliser un rendement de 10 %, pourquoi ne pas le faire ? C'est une façon d'accélérer son enrichissement. Le modéré en moi soupèse ces arguments et admet que bien des entreprises auraient avantage à utiliser davantage l'endettement actuellement. Toujours en respectant des règles rigoureuses fondées sur leur capacité de rembourser à long terme.

Le modéré en moi a toutefois plus de difficultés avec cette même idée appliquée à l'investisseur. Car, si la mathématique est simple, je crois que la décision est beaucoup plus complexe. En effet, un investisseur qui estime qu'il réalisera un rendement de 10 % par année doit savoir que ce dernier ne sera pas linéaire.

Il y aura effectivement des périodes de rendement faste et d'autres, plus difficiles.

Or, la réaction de bien des investisseurs pendant ces périodes plus noires est de paniquer. C'est la réalité. Vous direz que c'est une erreur et que les baisses boursières ne vous font pas peur. Certes. J'ai entendu cela souvent.

Le problème avec l'achat d'actions sur marge est que, si le marché boursier dégringole, il pourrait faire baisser la valeur de votre portefeuille au point où celle-ci sera insuffisante par rapport à votre dette envers le courtier. Vous aurez ainsi ce qu'on appelle un appel de marge : le courtier vous avertit que vous devez soit ajouter du capital dans votre compte, soit vendre des titres pour renflouer votre compte.

Lorsque cela survient, les chances de paniquer sont magnifiées.

C'est pour cela que j'ai encore du mal à recommander l'usage de la dette pour l'investisseur, malgré les bas taux d'intérêt.

Le Bernard Mooney-modéré et le Bernard Mooney-audacieux peuvent donc trouver un terrain d'entente. D'abord, en considérant d'un oeil plus ouvert les sociétés qui décident de s'endetter davantage. Toutefois, il faut rester prudent et tenir compte des hauts et des bas de l'économie. Ensuite, je reste convaincu que les sociétés actives dans des secteurs très dépendants de l'économie (comme celles qui oeuvrent dans les ressources naturelles), devraient continuer d'être allergiques à la dette.

Enfin, les particuliers devraient encore éviter d'investir en Bourse en empruntant du capital en fonction de la valeur de leurs actions. La nature humaine et celle du marché boursier font de la dette un cocktail Molotov !

DE MON BLOGUE

Bourse

Une évaluation raisonnable

Les marchés boursiers ne sont plus les aubaines qu'ils étaient en 2009, mais leur évaluation demeure raisonnable.

Certains investisseurs se plaignent que les aubaines sont plus rares qu'il y a quelques années. C'est vrai, sauf que, même si le contexte économique n'est pas euphorique, il est beaucoup moins inquiétant qu'en 2008-2009. C'est pourquoi les actions sont mieux évaluées dans leur ensemble.

Par exemple, la Bourse canadienne, mesurée à partir de l'indice S&P/TSX, se vend à 15,1 fois ses bénéfices des 12 derniers mois, selon les calculs de Valeurs mobilières TD. Depuis les années 1960, cet indice s'est vendu en moyenne à 17 fois ses profits (avec une médiane de 16,7 fois).

TD calcule ces ratios en utilisant les bénéfices d'exploitation, soit en enlevant les postes non récurrents. Je crois que c'est la meilleure approche.

Vos réactions

«L'évaluation des marchés boursiers n'est pas raisonnable. Ceux-ci sont gonflés par l'injection massive d'argent des banques centrales. Cela a pour effet de diluer les monnaies. De plus, des ratios cours/bénéfice d'environ 15 avec des PIB des pays industrialisés de 2,5 à 4 %, ça peut aller. Par contre, avec un PIB américain inférieur à 2 %, plusieurs pays européens en récession et le ralentissement en Chine, est-ce que cela justifie des ratios supérieurs à 15 ? Je ne pense pas.»

- Hyperbull

Pour les entreprises, il est illogique de ne pas utiliser l'endettement.

bernard.mooney@tc.tc

blogue > www.lesaffaires.com/bernard-mooney

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