Hydro-Québec a tort de mettre SNC-Lavalin en pénitence

Publié le 11/05/2013 à 00:00

Hydro-Québec a tort de mettre SNC-Lavalin en pénitence

Publié le 11/05/2013 à 00:00

Par Jean-Paul Gagné

Une porte-parole d'Hydro-Québec (HQ) a confirmé que la société d'État avait averti SNC-Lavalin de ne pas travailler pour Nalcor Energy, qui développe le potentiel hydroélectrique du Bas-Churchill au Labrador.

Puisque SNC-Lavalin a décroché le contrat d'ingénierie du projet de Muskrat Falls (une centrale de 824 mégawatts et deux barrages), HQ l'a ignorée lors de l'attribution de deux contrats subséquents à celui qu'elle avait réalisé en partenariat avec la société américaine Aecom, maintenant propriétaire de Tecsult et de RSW, de Montréal. Aecom a ainsi hérité seule de deux autres contrats.

Pour tenter de justifier cette décision, sa porte-parole a dit que HQ exigeait «un engagement total» de ses fournisseurs, qui doivent lui «fournir les meilleures ressources et la meilleure expertise» (La Presse, 2 mai 2013).

Il est certes légitime d'exiger les meilleures ressources, mais ce ne sont pas les ressources ni l'expertise qui manquent à SNC-Lavalin. De plus, il n'y a pas, dans la conception, le design et les technologies utilisés dans ces projets, de secrets industriels et d'avantages compétitifs susceptibles d'être transférés à un concurrent. Chaque centrale, chaque barrage, chaque groupe turbine-alternateur sont conçus en fonction de la géographie des sites et du potentiel hydroélectrique de la rivière sur laquelle se font les aménagements.

Si HQ a écarté SNC-Lavalin, c'est sans doute en raison du jeu politique qui accompagne le développement du potentiel hydroélectrique de la rivière Churchill. Alors que Terre-Neuve en veut à HQ d'acheter de l'électricité de la centrale du Haut-Churchill à un quart de cent le kWh en vertu d'un contrat qui prendra fin en 2041, les politiciens québécois se font du capital sur le fait qu'Ottawa a donné à Nalcor une garantie de prêt qui lui permet d'obtenir de meilleures conditions de financement pour son immense projet.

Ainsi, la ministre Martine Ouellet a accusé le fédéral de «subventionner l'électricité de Terre-Neuve avec notre argent», ce qui est faux puisque cette garantie ne coûte rien. On aime bien à Québec casser du sucre sur le dos d'Ottawa pour entretenir la flamme souverainiste. On aurait espéré que ce comportement contre-productif ne déteigne pas sur HQ, mais sa direction et son conseil d'administration se révèlent incapables de se distancer des manoeuvres politiciennes.

Outre Muskrat Falls, Nalcor projette d'aménager le site de Gull Island, dont le potentiel est estimé à 2 250 MW. S'ajoutent à ces installations des lignes de transport, qui achemineront l'électricité sur l'île de Terre-Neuve et en Nouvelle-Écosse grâce à des câbles sous-marins. L'ensemble de ce projet est évalué à environ 7,5 milliards de dollars. La société Emera de Halifax, qui produit et distribue de l'énergie dans le nord-est de l'Amérique du Nord et dont l'actif dépasse 7,5 milliards de dollars, est partenaire de Nalcor dans les lignes de transport.

Ce projet gigantesque pourrait s'avérer une véritable manne pour nos industries du génie-conseil et de la construction. Si HQ adopte à l'endroit de ses autres fournisseurs la même attitude que celle qu'elle a eue à l'endroit de SNC-Lavalin, c'est toute l'économie québécoise qui sera pénalisée. Il est temps que Québec ramène à l'ordre sa société d'État.

Attention à l'excès de flagellation

Maintenant que des scandales ont été étalés au grand jour (corruption, collusion, financement illégal des partis politiques, etc.), le sentiment populaire est au châtiment. On veut ostraciser les coupables. Le maire Michael Applebaum de Montréal veut exclure des contrats publics pendant cinq ans les firmes soupçonnées de malversations. C'est trop.

Il faut certes poursuivre les auteurs des crimes commis et changer, au besoin, la direction de certaines firmes, mais il ne faut pas risquer la survie de celles-ci. Ces firmes ont une expertise de haut niveau en plus de fournir des dizaines de milliers d'emplois à des personnes qui n'ont rien à voir avec les actes commis. Nos élus doivent donc se montrer prudents et astucieux en matière de sanctions.

SNC-Lavalin, fleuron du génie-conseil québécois, est en concurrence avec les plus importantes firmes du monde pour les grands projets dans plusieurs secteurs. L'affaiblir serait non seulement ouvrir notre marché aux sociétés étrangères, mais priver le Québec d'un important levier économique et rendre l'entreprise vulnérable face aux prédateurs. Méfions-nous de nos réactions instinctives.

MON COMMENTAIRE

J'aime

L'impôt minier du gouvernement Marois rapporterait 15 % de plus que celui qui a cours actuellement, ce qui est très loin de la promesse irréfléchie du Parti québécois de doubler la contribution fiscale de l'industrie minière du Québec. Ce recul politique est salutaire, même s'il eut mieux valu que le PQ oublie sa promesse. Pour sauver la face et garder Martine Ouellet au sein du conseil des ministres, le gouvernement péquiste a préféré un compromis tout en sachant qu'il ne satisfera personne.

Je n'aime pas

Les promesses irresponsables faites pour gagner l'appui de certaines clientèles dans un but électoraliste avivent le cynisme de la population à l'endroit des politiciens. C'est l'effet qu'aura la promesse insensée du Parti québécois de doubler les redevances minières, que des électeurs ont jugée séduisante, malgré son impertinence. Cette tactique, comme celle de geler les droits de scolarité, une autre promesse non tenue, a contribué à porter le PQ au pouvoir, mais elle restera une erreur stratégique dans le bilan politique qui sera fait du gouvernement Marois. En témoigne déjà le haut taux d'insatisfaction à l'égard de son gouvernement.

jean-paul.gagne@tc.tc

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