Serge Martel, président d'Électro Beauce, ne vous dira pas qu'il fait de l'innovation ouverte. Encore moins qu'il a implanté un système d'innovation ouverte ? ce qui n'est pas le cas, d'ailleurs. Et, de toute façon, l'expression ne fait pas encore partie de son vocabulaire.
Mais cette entreprise d'automatisation de procédés industriels établie à Saint-Georges de Beauce vient d'accomplir ce que Dave Caissy, vice-président principal chez Zins Beauchesne et Associés, appelle « un bout » d'innovation ouverte, en produisant, en partenariat avec le Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ), un outil pour détecter les défauts dans les planches de bois.
Électro-Beauce a eu l'idée du produit et s'occupera de son implantation industrielle. Elle a partagé le travail de faisabilité et le développement du produit avec le CRIQ, qui lui a fourni les algorithmes qui font le traitement de l'image (pour identifier les défauts dans les pièces de bois de plancher) tandis que les ingénieurs et techniciens de la PME ont conçu l'appareil.
Et M. Martel est ravi du résultat, même s'il a consacré un peu plus de ressources que prévu au projet. « Le fait de développer le produit conjointement avec le CRIQ nous a permis d'innover plus rapidement, affirmet-il. Et d'obtenir des résultats concrets. »
Le CRIQ détient les droits de propriété intellectuelle sur le produit, tandis qu'Électro Beauce détient une licence à vie pour tous les marchés géographiques, dans la fabrication de bois de plancher. « C'est gagnant-gagnant pour les deux partenaires », indique M. Martel. La PME, qui vend en Amérique du Nord et en Europe, a accru ses connaissances et son savoir-faire sans avoir à faire toute la recherche sur l'imagerie ou à acheter la propriété intellectuelle. Pour sa part, le CRIQ améliore l'application de sa technologie, ajoute Marie-Claude Côté, vice-présidente, développement des affaires, du CRIQ.
Ce type de relation, de partenaire à partenaire plutôt que de client à fournisseur, constitue l'un des grands avantages de l'innovation ouverte.
Selon M. Caissy, aucune entreprise au Québec n'a encore mis en place un système intégral d'innovation ouverte. Des PME comme Électro Beauce en appliquent certains principes, mais leur approche n'est pas structurée. De plus, les PME québécoises sont très réticentes à partager leur savoir-faire avec l'extérieur, condition sine qua non de l'innovation ouverte, car leurs inventions sont rarement brevetées. Sans protection, les PME craignent de se faire voler leurs technologies. Mais pour M. Caissy, un spécialiste des processus de développement de produits (PDP), l'innovation ouverte représente une occasion d'affaires formidable, car elle accélère les étapes de recherche et augmente l'effet de levier des dépenses en R-D. Développer conjointement des technologies réduit les coûts et accroît les débouchés, renchérit Mme Côté, du CRIQ. Une stratégie intéressante, donc, pour déjouer la récession.
Le CRIQ, dont la mission est d'aider les entreprises à innover, fait la promotion de l'innovation ouverte. Cet organisme paragouvernemental est d'ailleurs en train de revoir sa façon de gérer sa propriété intellectuelle pour l'adapter à ce nouveau paradigme. « Nous misons davantage sur des licences non exclusives et nous limitons la portée des licences exclusives », indique Mme Côté.
Le syndrome du « je peux tout faire »
Tant M. Caissy que Mme Côté plaident pour que les PME québécoises se débarrassent du syndrome du « je peux tout faire tout seul » et favorisent les collaborations extérieures, en étant prêtes bien sûr à en partager les retombées. « La PME québécoise doit exposer publiquement ce sur quoi elle veut innover pour que d'autres s'y alignent », dit M. Caissy.
Mais avant d'arriver à profiter de l'innovation ouverte, elles devront : 1) définir leur stratégie d'innovation; 2) connaître leurs compétences clés; 3) définir quelles compétences à valeur ajoutée elles devront trouver chez un partenaire pour arriver les premières sur le marché avec un produit innovateur, conseille Mme Côté. Un projet fort ambitieux, car la plupart des PME n'ont même pas de stratégie d'innovation, rappelle M. Caissy.
CONSEILS POUR L'INNOVATION OUVERTE
1 Structurez votre innovation à l'interne (en un processus par étapes).
2 Faites de l'innovation ouverte à l'interne. Disséminez les travaux de vos chercheurs au sein de l'ensemble du personnel, notamment du service du marketing. Faites tomber les cloisonnements.
3 Faites de l'innovation ouverte avec votre industrie : fournisseurs, clients, et même vos compétiteurs. Deux exemples : Distech Controls, de Montréal, utilise des composants développés par son concurrent Johnson Controls; et Lumec travaille avec une firme d'architectes pour développer des systèmes d'éclairage.
4 Faites de l'innovation ouverte avec d'autres industries. « C'est ici que cela devient vraiment payant », commente Dave Caissy, de Zins Beauchesne. Car le développement de nouveaux produits grâce à des technologies utilisées dans d'autres industries permet d'être unique. Mais vous n'arriverez à cette dernière étape que si vous franchissez les autres, conseille l'expert.
( LEXIQUE )
Innovation ouverte : L'innovation ouverte est un paradigme fondé sur l'idée que les entreprises doivent exploiter des idées qui ont pris naissance à l'externe comme à l'interne et emprunter les voies d'accès tant internes qu'externes vers les marchés, afin de faire progresser leurs technologies et de créer de la valeur.
Source : Traduction libre d'un extrait de l'ouvrage Open Innovation: The New Imperative for Creating and Profiting from Technology, de Henry Chesbroug h. Boston, Harvard Business School Press, 2003.
suzanne.dansereau@transcontinental.ca
