Vague de fond

Publié le 01/11/2009 à 00:00

Vague de fond

Publié le 01/11/2009 à 00:00

Le Danemark a déjà le vent dans les voiles avec l'énergie éolienne. Il souhaite maintenant être porté par la vague de l'énergie houlomotrice.

Comme tous les matins, Bendy Poulsen se rend au large du fjord de Nissum Bredning, situé dans la région du Jutland, à l'ouest du Danemark. Depuis trois ans, l'ingénieur à la retraite va s'assurer que la première machine de Wave Star Energy, qui sert à produire de l'électricité à partir des vagues, fonctionne bien. Ce jour-là, sur la côte, il vente à écorner les boeufs. Mais, pour les habitués, il s'agit d'une légère brise. "La mer est calme aujourd'hui. Lorsqu'il y a une tempête, les vagues peuvent monter à plus de 10 mètres de haut, vous avez intérêt à bien vous accrocher !" dit l'ingénieur avec un grand sourire, comme s'il s'agissait d'une histoire de pêcheur.

Cette histoire a commencé en l'an 2000, lorsque deux frères de la région, Niels et Kjeld Hansen, ont décidé de mettre à profit leur expérience de la mer pour créer une machine d'énergie houlomotrice. Pour ces deux passionnés de yachting, le défi principal consistait à produire de l'énergie de façon constante alors qu'il y a de 5 à 10 secondes d'intervalle entre chaque vague. Les frères Hansen ont élaboré une machine qui adopte un angle d'attaque perpendiculaire au sens des vagues, et non frontal, comme leurs autres prototypes. Ceci permet de récupérer l'énergie tout au long de la machine. C'est ainsi qu'est né le concept Wave Star.

Cette innovation a plu à l'homme d'affaires Per Resen Steenstrup, spécialiste des technologies marines. "Les frères Hansen ont résolu un problème vieux de 100 ans. Jusqu'ici, aucun prototype n'avait réussi à récupérer toute l'énergie des vagues", dit-il. En 2003, il leur propose donc d'acheter le concept pour fonder la société Wave Star Energy. Trois ans plus tard, leur première machine est fabriquée. Il ne reste plus qu'à la tester.

Nissum Bredning est vite devenu l'endroit de prédilection pour ces tests. "Les vagues ici ne sont pas très hautes, mais elles ressemblent à celles de la mer du Nord, où le potentiel d'énergie houlomotrice est le plus important", raconte Bendy Poulsen. La première machine de Wave Star a donc été installée à une trentaine de mètres de la côte. De loin, elle ressemble à une chenille. Disposée dans le sens de la houle, elle mesure 24 mètres de long et comporte 20 flotteurs de chaque côté accrochés à des bras mécaniques. Lors du passage de la vague, les flotteurs se soulèvent à tour de rôle pour épouser parfaitement son mouvement. Chaque fois qu'un flotteur est poussé vers le haut, un piston actionne l'huile du circuit hydraulique jusqu'à la conduite de l'installation centrale. Cette pression alimente le moteur hydraulique relié à un généra-teur électrique.

Ce prototype ne génère toutefois que 5,5 kilowatts. À peine de quoi alimenter deux maisons. "Ce modèle a été construit pour nous permettre de tester notre équipement et pour nous assurer qu'il résiste aux intempéries", précise Per Resen Steenstrup, le directeur de Wave Star Energy. Dans son bureau de Copenhague, l'homme d'affaires de 56 ans n'est pas peu fier de dire que son prototype a passé 25 000 heures en mer et qu'il a résisté à 15 tempêtes. Il est fort conscient que celui-ci doit être à l'épreuve du vent, de l'eau et des orages, s'il veut un jour le commercialiser.

Au moins 200 prototypes pour capturer l'énergie houlomotrice ont été élaborés dans le monde. Seuls quelques projets ont vu le jour. Le plus connu est celui de la société écossaise Pelamis. En 2008, Pelamis a lancé en grande pompe le premier parc commercial d'énergie houlomotrice au large du Portugal. Mais au printemps dernier, ces machines ont été retirées après avoir connu des problèmes techniques. Le Danemark aussi a connu son lot d'échecs. Si une trentaine de prototypes ont été créés, la plupart ont coulé, rouillé ou ont carrément été emportés. Cette fois-ci, le directeur de Wave Star Energy est convaincu que son modèle est le bon. "Lors des tempêtes, nous avons installé un dispositif qui permet de soulever les flotteurs hors de l'eau pour éviter de les endommager. C'est essentiel de protéger l'équipement parce que les vagues peuvent être vraiment destructrices", explique-t-il.

Un autre problème reste encore à résoudre : le coût. L'électricité produite à partir de l'énergie des vagues coûte 65 cents le kilowattheure par rapport à 25 cents pour l'énergie éolienne produite en mer. "Le coût de l'énergie houlomotrice est aussi élevé que celui de l'énergie éolienne il y a quelques années", souligne Torsten Hasforth, économiste au ministère de l'Énergie et du Climat du Danemark. Depuis, le prix de l'énergie éolienne a été divisé par sept. Il faudra donc attendre pour que l'énergie houlomotrice devienne concurrentielle. Cela dit, il est permis d'y croire. Il y a 25 ans, tout le monde considérait que l'énergie éolienne était une folie. Aujourd'hui, au Danemark, 19 % de l'énergie provient du vent. Près de 5 000 palmes blanches ont pris racine partout dans les campagnes, dans les villes et au large des côtes danoises. C'est une industrie florissante : 200 entreprises et 20 000 emplois ont été créés, que ce soit pour la fabrication des palmes, pour l'installation de génératrices ou pour l'entretien des systèmes de contrôle.

Face à cette réussite, Per Resen Steenstrup, de Wave Star Energy, se sent inspiré. Il y va d'un pari audacieux. "Le Danemark s'alimentera avec l'énergie des vagues d'ici 20 ans", avance-t-il en citant des scientifiques qui considèrent que les océans sont la plus importante batterie du monde. "L'énergie éolienne a ouvert la voie aux nouvelles technologies vertes, qui ont tout autant sinon plus de potentiel", dit-il. En effet, environ 0,2 % de l'énergie renfermée dans les vagues suffirait à alimenter la planète entière en électricité. Pour y parvenir, il faudra cependant mener d'autres tests afin de fabriquer des systèmes beaucoup plus puissants, capables d'alimenter des villes entières en électricité.

Wave Star Energy est d'ailleurs passée à une autre phase d'expérimentation. L'été dernier, la société danoise a installé en mer du Nord une partie de son deuxième prototype qui produira 500 kilowatts et alimentera 500 maisons. Si tout se passe bien, ce prototype sera au point en 2010 et pourra être commercialisé en 2012. À long terme, la société danoise compte toutefois développer des modèles commerciaux de 6 mégawatts. "Il faudra, par contre, s'assurer d'avoir suffisamment de financement pour mener ces tests à terme", précise Bendy Poulsen, qui a vu plus d'un projet d'énergie houlomotrice échouer ces dernières années. C'est notamment le cas du projet du Wave Dragon, évalué à près de trois millions de dollars. Le Wave Dragon est aujourd'hui remisé à une quinzaine de kilomètres de Nissum Bredning. "Le propriétaire n'avait plus assez d'argent", explique Bendy Poulsen en montrant le prototype, qui n'est plus qu'un tas de ferraille rouge. "Un autre modèle a aussi été retiré de l'eau dans le village voisin. Le câble électrique a été sectionné pendant une tempête, et je ne pense pas voir le jour où l'engin retournera en mer", raconte-t-il.

Malgré tout, Per Resen Steenstrup continue de croire en son projet qui lui a déjà coûté 35 millions de dollars, en plus des 13 millions injectés par le gouvernement danois. Il reconnaît que le développement de l'énergie houlomotrice coûte une fortune. "J'ai investi mes propres économies et une riche famille danoise m'aide également à financer ce projet. Si nous parvenons à commercialiser notre machine, nous devrions être en mesure de rentabiliser notre investissement dans quelques années", dit-il, confiant. Encore là, le modèle final de Wave Star Energy coûtera au moins 16 millions de dollars le mégawatt. Si on fait le calcul, cela équivaut à 100 millions de dollars par machine pour une durée de vie évaluée à 50 ans. "Il est certain que la première génération d'équipements coûtera cher. Mais plus elles seront puissantes, moins elles seront coûteuses", tient à préciser Per Resen Steenstrup, qui prévoit déjà la création de parcs d'énergie houlomotrice ; un peu comme les parcs d'éoliennes actuellement implantés partout au large du Danemark.

Au ministère de l'Énergie et du Climat, les spécialistes du développement durable, eux, se montrent sceptiques. "L'énergie houlomotrice a du potentiel, mais il faudra sûrement combiner les éoliennes et les machines à vagues pour produire suffisamment d'électricité", résume l'économiste Torsten Hasforth. Comme le vent, la mer est parfois imprévisible. Sauf que les scientifiques sont en mesure de prévoir la diminution des vagues. Lorsque le vent tombe, il s'écoule généralement entre 6 et 12 heures avant que la houle des vagues s'en ressente.

Les environnementalistes s'inquiètent, pour leur part, des conséquences à long terme sur la faune et la flore marines. Le fjord de Nissum Bredning est une zone d'ornithologie protégée. Jusqu'ici, il n'y aurait aucun danger pour les poissons et les oiseaux, selon les tests effectués par Wave Star Energy. Mais aucune étude indépendante n'a encore été réalisée. Au Danemark, lorsqu'une société propose un nouveau projet de développement, le gouvernement doit le soumettre à tous les groupes d'intérêts touchés de près ou de loin. Ils ont quelques semaines pour remettre leurs recommandations. Une fois tous les points de vue exprimés, le gouvernement décide s'il donne ou non les autorisations nécessaires. Ce qui n'a pas été difficile à obtenir dans le cas de Wave Star Energy. "L'énergie éolienne a vraiment ouvert la voie aux nouveaux projets environnementaux. Les politiciens et la population sont maintenant réceptifs", dit Torsten Hasforth.

Le développement de l'énergie houlomotrice aidera le Danemark à atteindre ses objectifs énergétiques. Ce pays de cinq millions d'habitants veut qu'en 2013, 40 % de son électricité soit produite au moyen d'énergies renouvelables. En 2025, il espère que ce chiffre sera de 50 %. Son but ultime : se débarrasser un jour entièrement des énergies fossiles.

melanloisel@hotmail.com

À la une

Les profits d’Alphabet bondissent

17:08 | AFP

La maison mère de Google a été portée par la publicité, le cloud et l’IA.

Microsoft fait mieux que prévu au premier trimestre

17:19 | AFP

Dans les échanges électroniques postérieurs à la clôture de la Bourse, l’action Microsoft gagnait près de 5%.

Les prévisions d’Intel déçoivent

Il y a 41 minutes | AFP

Les prévisions pour la période en cours ont hérissé le marché.