Une équipe en or et en argent

Publié le 20/11/2010 à 00:00

Une équipe en or et en argent

Publié le 20/11/2010 à 00:00

Gilles Lépine, directeur du programme Rouge et Or à l'Université Laval, n'organise pas des matchs de football, mais des événements. Les week-ends d'automne où l'équipe joue à domicile, le stade se remplit de foules records à l'échelle canadienne : près de 16 000 spectateurs en moyenne, soit plus de 100 000 par saison. C'est le quart de toutes les entrées enregistrées par les 27 programmes de football universitaire du pays.

Le Rouge et Or est un success story, dit Peter Metuzals, directeur du marketing à Sport interuniversitaire canadien (SIC), l'organisme national qui coordonne le sport universitaire. Chaque match est une fête, un prétexte à des réjouissances qui débutent tôt en matinée, un véritable tailgate dans la plus pure tradition américaine. " Le stade est situé au coeur du campus et l'équipe a réussi, grâce notamment au soutien de la communauté, à créer une atmosphère extraordinaire. "

Si les universités s'enorgueillissent toujours d'un prix Nobel ou d'une découverte majeure, leur renommée s'acquiert d'abord et avant tout sur un terrain qui n'a rien d'universitaire : celui de football, où les équipes s'affrontent les week-ends d'automne.

Quinze ans après sa création, le Rouge et Or est devenu non seulement la référence sportive du football universitaire au pays (l'équipe a remporté six fois la Coupe Vanier, le championnat national), mais aussi une marque à part entière qui influe sur l'image et la notoriété de l'Université Laval. " La marque est forte et bien structurée, et elle renforce l'image de l'Université, au Québec et ailleurs ", estime André Richelieu, professeur de marketing sportif de l'Université Laval.

" On représente un outil extraordinaire de promotion et de recrutement d'étudiants, dit Gilles Lépine. Les meilleurs athlètes veulent jouer pour les meilleures équipes. "

Les clés de cette réussite ? Le choix du moment propice, un mode de gestion avant-gardiste, le développement stratégique d'une marque devenue son porte-étendard et... le sport lui-même, le football, l'événement rassembleur par excellence.

Un modèle de gestion unique

Régulièrement, Gilles Lépine se fait demander par ses confrères de partout au Canada quelle est la recette de la réussite de " Lâvâlll ", avec son stade bondé et euphorique, même quand l'équipe locale n'y joue pas. " Ce qui nous différencie, dit-il, c'est la cogestion. "

Dès le départ, le Rouge et Or a été l'affaire de tous, et pas seulement de l'Université Laval. La communauté d'affaires s'y est engagée fortement. Pas seulement à titre de donatrice sans mot à dire comme il arrive souvent dans le circuit universitaire, mais comme partenaire à part entière. " Chacune de nos 13 équipes d'élite a son propre conseil d'administration qui agit en cogestion avec des administrateurs bénévoles, des gens de la collectivité ", dit le directeur du programme Rouge et Or à l'Université Laval.

L'équipe de football compte plusieurs partenaires locaux, dont Ameublements Tanguay, Place Ste-Foy, Groupe Qualinet, Intercar et Meubles Rive-Sud. De cette façon, elle déborde de son environnement naturel, " elle n'est plus la chasse gardée de l'Université ".

Cette cogestion apporte aussi des points de vue différents et d'autres manières de faire, poursuit M. Lépine. " Nos partenaires sont des entrepreneurs orientés vers l'action, note-t-il. Ils nous apportent une dose d'entrepreneuriat. " Il fait un parallèle entre la passion des athlètes et celle des administrateurs, leur besoin de progresser, de se développer.

Seulement de la philanthropie pour les Carabins de Montréal

L'Université Laval est la seule à avoir adopté ce modèle de cogestion, dit M. Lépine. Et elle pourrait le demeurer, tant la culture universitaire est peu à l'aise avec l'intrusion du secteur privé. Les Carabins de l'Université de Montréal peuvent compter sur l'appui d'Alain Bouchard, d'Alimentation Couche-Tard, de Jean Coutu ou encore, de Robert Dutton, de Rona.

" Mais ce sont des gouverneurs, cela ne leur confère aucun droit... sinon une paire de billets, dit l'ex-homme d'affaires Robert Panet- Raymond, président du conseil d'administration du CEPSUM depuis 10 ans. Il s'agit de philanthropie, pas de commerce, On n'essaie pas d'être les Alouettes junior. "

Il connaît et respecte le modèle de Laval, mais estime que celui de Montréal convient davantage à sa réalité. Contrairement à Québec, Montréal regorge d'équipes professionnelles. Les Carabins, dit M. Panet-Raymond, sont davantage l'équipe de la communauté universitaire que celle de l'ensemble de la collectivité, comme à Québec.

Même chose à l'Université de Sherbrooke, où le Vert & Or peut compter sur des ambassadeurs comme Serge Savard ou Paul Delage-Roberge. " Ils s'attendent à se faire entendre, dit Jean Roy, professeur de marketing à l'Université de Sherbrooke, mais les décisions et la gestion reviennent à l'Université. "

Le moment propice

La nature et l'économie ont horreur du vide. En 1995, les Nordiques avaient plié bagage pour le Colorado, et les Remparts n'avaient pas entrepris leur seconde vie. L'homme d'affaires Jacques Tanguay, vice-président d'Ameublements Tanguay, s'est alors dit que la Capitale avait grand besoin d'une équipe sportive pour la faire vibrer. " Je voulais me trouver un loisir ", dit-il.

Cela tombait bien, car Gilles D'Amboise, le directeur du Pavillon d'éducation physique et des sports (PEPS) de l'Université Laval, était sur la même longueur d'onde. C'est de leur volonté, ainsi que d'un bon coup de main financier du père de l'homme d'affaires, Maurice Tanguay, qu'est née une nouvelle équipe de football dans la conférence Québec- Ontario : le Rouge et Or. La seule à appartenir à une institution francophone.

Pour mener cette nouvelle équipe à la réussite, le tandem recrute Glen Constantin, alors entraîneur adjoint des Cougars de l'Université de Houston, jeune trentenaire en pleine ascension, qui, par chance, a de la famille et des racines à Québec. Il est séduit par la promesse d'un nouveau stade, avec gazon artificiel, et par un budget substantiel de deux millions de dollars. Son mandat : faire du Rouge et Or une équipe d'excellence.

" De notre côté, on voulait rendre le football accessible à tous, dit Jacques Tanguay. On souhaitait créer un sentiment d'appartenance dans la collectivité, pas seulement universitaire, et avoir un lieu de rassemblement. Surtout, on ne s'est pas fixé d'attentes. On désirait d'abord vivre le plaisir d'avoir une équipe compétitive à Québec. "

Le Rouge et Or venait aussi combler un autre vide : aucune université francophone n'offrait de football d'élite. Or, ce sport commençait à devenir sérieusement populaire chez les jeunes. " Il y avait une masse critique de joueurs francophones qui sortaient chaque année du collégial, dit l'entrepreneur. Mais ils étaient condamnés à jouer pour des équipes universitaires anglophones. On leur a offert un choix. "

" Le besoin était urgent ", a souligné Mike Labadie, professeur d'éducation physique au Collège St-Lawrence de Québec, l'an dernier, dans la revue Affaires universitaires. Maîtrisant mal l'anglais, de bons athlètes francophones ne pouvaient tout simplement pas intégrer l'un des trois programmes de football d'élite, tous anglophones. " À mes yeux, c'était évident : si nous pouvions réunir les meilleurs joueurs francophones à la fin du cégep, l'équipe gagnerait le championnat canadien d'ici trois ou quatre ans. " La suite lui donnera raison.

La réussite du Rouge et Or a contribué à accroître encore davantage la popularité du sport, poursuit M. Tanguay. " Dans l'est du Québec, près de 125 nouveaux programmes ont depuis vu le jour aux niveaux secondaire et collégial. " Le football est même devenu un moyen pour lutter contre le décrochage scolaire chez les garçons.

Une marque soignée

Qu'est-ce que la marque Rouge et Or ? En 2006, le Service des activités sportives de l'Université Laval a senti le besoin de mieux connaître ce qu'inspirait sa marque. Gilles Lépine a alors demandé au professeur de marketing sportif André Richelieu, lui-même professeur de l'établissement, d'analyser et de mieux définir sa personnalité. " La marque avait un potentiel, mais celui-ci n'était pas exploité ", dit André Richelieu.

L'étude s'est faite à partir de groupes de discussion et d'un questionnaire soumis à 2 300 personnes. " Résultat : le Rouge et Or était une marque très puissante, non seulement auprès de la communauté universitaire, mais aussi auprès des citoyens de Québec. Elle transcendait l'Université pour devenir une marque étalon. "

M. Richelieu et son équipe ont fait ressortir cinq mots clés qui caractérisaient la marque : l'excellence, la persévérance, l'esprit sportif, le prestige et la compétition. C'est à partir de ces mots clés qu'a été élaboré le slogan " La conquête de l'excellence ". À cela s'est ajouté un " ménage " des couleurs et des formes du logo.

" En 2005, Laval a été la première université à mettre au point une stratégie pour articuler sa marque, dit André Richelieu. Elle a ainsi créé un élément de différenciation utile pour le recrutement des étudiants. Les autres universités semblent suivre. Mais en étant la première à l'avoir fait, l'Université Laval a pris une longueur d'avance. "

Profiter de l'engouement pour le football

" Il n'y aura jamais 50 000 personnes pour assister à une expérience de chimie ", dit Gilles Lépine, citant une réplique entendue dans un long-métrage américain. Mais à un match de football, oui. Et pour une université, cet engouement est précieux, ajoute l'homme d'affaires Jacques Tanguay, président et cofondateur du Rouge et Or. " Le sport est la seule activité qui puisse dégager autant de passion, et le football, c'est le sport rassembleur par excellence. "

En misant sur le football comme programme phare de son sport d'élite, l'Université Laval ne se trompait pas.

Non seulement le football remplit-il les stades, mais il génère d'excellentes cotes d'écoute à la télé et fait vendre des produits dérivés. Le Rouge et Or reçoit la même couverture médiatique qu'une équipe professionnelle, indique Jacques Tanguay. Cette visibilité sert de locomotive aux autres clubs d'élite, que ce soit le soccer ou le basketball.

À Laval, comme dans la majorité des universités nord-américaines, c'est la moitié du budget consacré au sport d'élite qui est attribué à l'équipe de football, sport coûteux en équipement, en physiothérapeutes, etc. Toutefois, l'équipe génère également la moitié des revenus totaux liés aux activités sportives (5 millions de dollars à Laval en 2009), en billetterie et en marchandisage, notamment. " Le football, c'est à la fois la locomotive et le premier wagon du train, dit Gilles Lépine. Il suscite de l'intérêt, et il génère des revenus. "

Une étude confirme les bienfaits des sports d'élite

Chaque année, et surtout en cette période d'austérité budgétaire, les universités se demandent si l'argent qu'elles dépensent dans leurs programmes de sport d'élite en vaut la chandelle. La réponse est oui, selon une étude réalisée par une étudiante en marketing de l'Université de Sherbrooke, Marie-Êve Dugas, elle-même membre du club d'élite d'athlétisme.

" À ma grande surprise, il n'y avait pas d'études sur ce sujet, personne n'avait mesuré scientifiquement les répercussions de ces programmes sportifs universitaires ", dit le professeur de marketing Jean Roy, qui a supervisé le sujet de maîtrise.

Mme Dugas a sondé les étudiants de l'Université selon plusieurs critères, dont l'attachement et l'identification envers les équipes d'élite du Vert & Or. Ces deux variables ont par la suite été comparées à l'attitude vis-à-vis de l'Université. Résultat : plus un étudiant s'identifie à un programme sportif universitaire, plus il développe une attitude positive envers son établissement. De plus, il sera enclin à effectuer ultérieurement des dons à cette université. " C'est très significatif ", dit le professeur Jean Roy.

Les programmes sportifs accroissent la notoriété, et suivant le même mécanisme marketing que pour toute marque, ils font en sorte que l'université devient objet d'intérêt. Première étape avant l'achat.

Des étudiants américains quasi professionnels

Tout est big chez nos voisins du Sud. Ainsi en est-il du football universitaire. Si l'Université Laval fait des envieux avec ses 13 000 spectateurs en moyenne par partie, des foules de 100 000 personnes assistent régulièrement aux prouesses des équipes les plus populaires de la National Collegiate Athletic Association (NCAA). Cela correspond, en un seul match, au quart de toutes les entrées enregistrées en 2009 au Canada...

Au classement 2010 des Most Valuable College Football Teams du magazine Forbes, l'équipe des Longhorns de l'Université du Texas se classe au premier rang, avec une valeur de 119 millions de dollars américains (M$ US). L'équipe d'Austin a généré des revenus de 82 M$ US en 2009, qui se répartissent comme suit : 33 M$US pour la vente de billets, 30 M$ US en dons et le reste provenant de commanditaires comme Nike, Coca-Cola et Gatorade, de droits de télédiffusion et de la vente de produits dérivés (chandails, casquettes).

" Aux États-Unis, il y a beaucoup d'argent en jeu ", dit Jean Chabot, responsable du suivi académique auprès de l'équipe de football Rouge et Or et entraîneur au cégep Limoilou. À ce titre, il participe régulièrement à des formations d'entraîneurs dans différentes universités américaines. " Au Canada, nous avons 29 équipes. Il y en a 735 aux États-Unis, réparties dans quatre ligues. Certains entraîneurs gagnent des millions de dollars ! "

C'est le cas de l'entraîneur-chef des Longhorns, Mack Brown, dont le salaire cette saison est de 5 M$ US.

Gilles Lépine, le directeur du programme du Rouge et Or, fréquente aussi les stades universitaires américains. Il a été très impressionné par la campagne de financement, en 2007, du Council for Advancement and Support of Education. " Aux États-Unis, les équipes universitaires ont une approche entrepreneuriale, dit-il. Il y a un fort sentiment d'appartenance et un noyau dur d'anciens, les alumni, qui donnent énormément aux équipes. Dans la culture francophone, c'est moins développé, mais c'est en train de changer. "

Des pros ou des élèves ?

L'homme d'affaires Robert Panet-Raymond, président du conseil d'admnistration du Cepsum de l'Université de Montréal, connaît bien lui aussi le football universitaire américain. L'ancien demi-défensif des Carabins de l'Université de Montréal a fait son MBA dans une université américaine où il a été à même de constater certaines dérives. " C'est du professionnalisme déguisé, dit-il. Les notes ne sont pas importantes. On leur tricote un parcours universitaire adapté. Je ne souhaite pas cela au Canada. "

Tant le Rouge et Or à Laval que les Carabins à Montréal ou le Vert & Or à Sherbrooke insistent sur le fait que leurs athlètes sont d'abord des étudiants et que la scolarité doit être suivie. Il faut qu'un joueur réussisse 18 crédits au cours de l'année scolaire pour faire partie de l'équipe l'année suivante. À Laval, les joueurs ont même eu la meilleure moyenne générale l'an dernier au pays, soit plus de 80 %. " Au Canada, l'obtention du diplôme est le but ", affirme M. Panet-Raymond.

Le calendrier est très long aux États-Unis, note-t-il, il y a des matchs tous les week-ends, diffusés sur les grandes chaînes de télé. Les joueurs sont des vedettes, plusieurs ont un agent. Dans les campus, ils vivent dans des dortoirs séparés et ont certains privilèges. Une mauvaise idée à importer au Canada, croit M. Panet-Raymond, qui a déjà entendu des propositions allant dans ce sens en provenance de certaines universités.

100 000

Nombre de spectateurs en 2010 aux parties locales du Rouge et Or de l'Université Laval, soit le quart de toutes les entrées (425 000) enregistrées par les 27 programmes de football universitaire au Canada.

5 millions $

Revenus, en 2009, des activités sportives d'élite de l'Université Laval. La moitié de cette somme a été générée par le club de football.

100 millions $

Investissements prévus, de 2009 à 2012, dans les infrastructures sportives à l'Université Laval. Un montant de 85 millions provient des trois ordres de gouvernement.

50 %

Proportion du budget des activités sportives de l'Université Laval qui est versée au club de football.

De 5 à 10 millions $

Valeur de la marque Rouge et Or estimée en 2009 par Influence Média.

" Au Canada anglais, les performances d'une équipe universitaire sont importantes. Quand elle joue à un haut niveau, on se dit que l'université doit l'être aussi. "

Robert Panet-Raymond, président du conseil d'administration du Cepsum de l'Université de Montréal

martine.turenne@transcontinental.ca

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