Non, la corruption n'est pas une fatalité

Publié le 08/12/2012 à 00:00, mis à jour le 06/12/2012 à 17:18

Non, la corruption n'est pas une fatalité

Publié le 08/12/2012 à 00:00, mis à jour le 06/12/2012 à 17:18

Le 28 novembre, l'Unité permanente anti-corruption a arrêté Pierre Duhaime à sa résidence. Conjuguée aux révélations de la commission Charbonneau, l'arrestation de l'ex-pdg de SNC-Lavalin rappelle que la corruption n'est pas un problème de pays pauvre. Les Affaires a assisté à Brasilia à la 15e conférence internationale anti-corruption. Notre constat et des solutions pour résister.

Plus de la moitié des dirigeants de la planète citent la corruption parmi les cinq principaux freins à leurs affaires, rapporte le Forum économique mondial. Dans 22 pays, c'est le principal obstacle qu'affrontent dirigeants et entrepreneurs. Selon un sondage de la BBC, 70 % des citoyens se sentent concernés par la corruption et veulent savoir comment contribuer à la réduire. Il existe des moyens d'y arriver. À condition que gouvernements, entreprises et citoyens collaborent.

«Après des années de peur, d'apathie et de déni, nous reconnaissons que la corruption est une réalité et qu'à force de volonté, nous pouvons l'éradiquer», estime Magdy Martinez-Soliman, directeur adjoint du Programme des Nations-Unies pour le développement. On a longtemps estimé que la corruption était un mal nécessaire au développement. À mesure que les statistiques s'accumulent, cette thèse devient de plus en plus difficile à défendre.

Prenons la construction, par exemple. Selon le Construction Sector Transparency Initiative, une coalition internationale qui tente d'encadrer l'attribution et l'exécution des contrats d'infrastructures publiques, le gaspillage et la corruption augmentent les coûts des contrats de construction de 10 % à 30 %. À l'échelle mondiale, ce sont 4 000 milliards de dollars dépensés pour du vent. Et ce n'est là qu'un secteur parmi d'autres.

Que le fonctionnaire se nomme Ravi ou Jean-Guy, l'histoire est la même. La corruption prive les citoyens de services auxquels ils ont droit et qu'ils ont payés. Mais les contribuables ne sont pas les seules victimes. Parfois, ce sont les fonctionnaires eux-mêmes. Les policiers afghans, par exemple, ont vu leur salaire augmenter de 30 % depuis que celui-ci est versé électroniquement plutôt qu'en espèces. «C'est la proportion que tous les niveaux hiérarchiques réunis prélevaient avant que le policier ne puisse toucher son salaire», explique Ruth Goodwin-Groen, directrice de la coalition Better Than Cash. Cet organisme vient en aide aux gouvernements et aux entreprises qui désirent transformer leurs paiements en espèces en paiements électroniques pour lutter contre la corruption. Better Than Cash bénéficie du soutien financier, entre autres, de la fondation Bill et Melinda Gates ainsi que la banque Citi et de la société Visa.

Certains ont décidé de s'attaquer au fléau. Parfois, au péril de leur vie. On estime que 82 % des journalistes tués ou attaqués en 2011 travaillaient sur des histoires liées à la corruption. Une presse libre et indépendante constitue un des trois piliers de la lutte anti-corruption. Les deux autres sont une société civile organisée et active, et un gouvernement ouvert et transparent. Il n'existe pas de recette miracle pour lutter contre la corruption. Certains prônent une approche holistique : attaquer sur tous les fronts en même temps. D'autres privilégient des «îlots d'intégrité» : se donner comme objectif d'avoir un système de police, de santé ou d'éducation non corrompu, puis bâtir sur ce succès.

Les listes de la honte au Brésil

Le Brésil a choisi la première approche : le gouvernement lutte sur tous les fronts. Depuis 2004, il a congédié 4 000 fonctionnaires corrompus. Ces congédiements ne sont pas l'oeuvre du système judiciaire, mais bien du système administratif. «Il faut éviter l'impunité à tout prix, explique Jorge Hage Sobrinho, contrôleur général du Brésil. Notre système judiciaire est très lent. Plutôt que de laisser les coupables en profiter, nous avons augmenté le pouvoir du système administratif. Maintenant, nous réformons notre système judiciaire.»

Peu importe le pays, la ville ou l'entreprise concernés, une constante demeure dans la lutte anti-corruption : la transparence, car la corruption, comme les champignons, croît dans la noirceur. Le Brésil ne s'est donc pas contenté de congédier 4 000 fonctionnaires.

Il a aussi publié leur nom. En fait, le gouvernement brésilien publie trois «listes de la honte». L'une contient le nom des fonctionnaires corrompus, la deuxième, celui des entreprises qui ont payé des amendes pour corruption et qui sont exclues de la liste des appels d'offres gouvernementaux, la troisième, celui des ONG qui ont cédé au démon de la corruption (qui n'est pas seulement l'affaire des sociétés privées). Un total de 1 800 noms !

Les moniteurs sociaux du Mexique

Des scandales, on en compte par milliers dans le secteur de la construction. Le Québec en est secoué. Le 1er novembre dernier, le gouvernement Marois a déposé le projet de loi sur l'intégrité en matière de contrats publics. À ce chapitre, le Québec pourrait s'inspirer du Mexique où, depuis 2004, une loi exige que tous les projets de plus de 20 M$ soient supervisés par deux «moniteurs sociaux». Il s'agit d'experts dans les domaines liés au projet. Ceux-ci sont choisis à partir d'une liste élaborée par Transparency International, une coalition indépendante de lutte contre la corruption. «Il ne suffit pas de démanteler un système de corruption, explique la Québécoise Huguette Labelle, présidente de Transparency International. Encore faut-il installer des mécanismes pour éviter qu'il ne se reconstruise.»

Lutter contre la corruption exige de la créativité, mais aussi de la solidarité. «Être le seul homme juste se révèle coûteux, souligne Gretta Fenner, directrice de Centre international pour le recouvremement d'avoirs volés du Basel Institute on Governance. Pour lutter, les entreprises doivent se regrouper.» Elle cite le cas d'un groupe de sociétés qui en a eu marre de payer des «paiements facilitateurs» à répétition aux fonctionnaires d'un port égyptien. Les dirigeants ont informé le directeur du port de la situation et exigé qu'il intervienne. Ce qu'il a fait : les «paiements facilitateurs» ont été transformés en taxe officielle assortie d'un reçu officiel, payée électroniquement et non en espèces. À la fin de l'année, le montant de cette nouvelle taxe est réparti également entre les employés du port.

«J'aime les fins heureuses, dit Gretta Fenner. Mais en matière de lutte anti-corruption, il n'y en a pas assez. La solidarité reste à développer entre les parties concernées.»

Des diplômes anti-corruption

Une autre façon de contrer la corruption consiste à travailler en amont pour changer les mentalités, en intervenant auprès de la prochaine génération de leaders. L'éducation a son rôle à jouer. «On néglige son rôle dans la lutte anti-corruption», souligne Olajobi Makinwa, représentante de l'Afrique au Pacte mondial. Selon cette initiative volontaire dans le cadre de l'ONU, les entreprises s'engagent à aligner leurs activités sur dix principes liés à la responsabilité sociale, dont la lutte anti-corruption. Après tout, continue Mme Makinwa, le système d'éducation insuffle aux futurs leaders les compétences et les valeurs qui influenceront leurs décisions.

En 2007, le Pacte mondial a émis six principes «pour l'enseignement de la gestion responsable» (unprme.org). Plus de 400 écoles d'administration et universités les ont endossés, dont 14 % en Amérique du Nord. En 2012, on a créé un guide pratique pour inclure des enseignements anti-corruption au cursus du MBA. Onze écoles participent à l'implantation-pilote de ceux-ci.

En février 2013 débutera le premier programme de maîtrise en lutte anti-corruption du monde. Il sera donné par l'Académie internationale de lutte contre la corruption (IACA), en Autriche. Ce diplôme s'adresse à tous ceux qui luttent contre la corruption. Peu importe leur profession et leur secteur. Il comporte sept modules de 10 à 12 jours chacun. On y aborde les enjeux légaux, politiques, économiques et humains de la corruption. L'IACA a reçu une centaine de demandes pour cette première session, dont deux provenant du Canada. Les droits de scolarité s'élèvent à 24 700 euros (32 102 CA $). La première cohorte devrait compter de 30 à 35 étudiants. «Les années 2000 ont insisté sur la prévention, commente Martin Kreutner, président de l'IACA. Il faut aller plus loin. La décennie actuelle est celle de l'éducation.»

80 % des 105 plus grandes sociétés du monde n'ont pas révélé le montant des impôts payés dans les pays étrangers où elles font des affaires. Source : Transparency International

diane.bérard@tc.tc

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