Maman est pdg

Publié le 09/03/2013 à 00:00, mis à jour le 07/03/2013 à 10:58

Maman est pdg

Publié le 09/03/2013 à 00:00, mis à jour le 07/03/2013 à 10:58

Dans les belles années du féminisme, on a dit aux femmes qu'elles pouvaient tout réussir : leur vie personnelle, leur carrière et leur famille. Qu'en est-il 40 ans plus tard, en 2013 ? Les États-Unis ont eu Marissa Meyer, qui a été nommée pdg de Yahoo alors qu'elle était enceinte et qui a dirigé l'entreprise à partir de la maison pendant quelques semaines.

Mais un texte publié dans la revue The Atlantic l'été dernier a relancé le débat. Dans l'essai, intitulé «Pourquoi les femmes ne peuvent pas tout avoir», Anne-Marie Slaughter, une ex-collègue de Hillary Clinton, raconte qu'elle a dû se résoudre à abandonner ses hautes fonctions de directrice à la planification du Secrétariat d'État américain pour mieux s'occuper de ses deux fils adolescents.

Selon elle, il est impossible dans le contexte économique actuel de concilier avec succès travail et famille. Ni pour les femmes, ni pour les hommes, d'ailleurs. Et tant qu'il n'y aura pas plus de flexibilité au travail et que la primauté de la vie familiale ne sera pas reconnue, les femmes demeureront sous-représentées dans les hautes sphères, que ce soit dans les affaires ou la politique.

Au Québec, l'ex-ministre Monique Jérôme-Forget, dont le livre Les femmes au secours de l'économie a été publié l'automne dernier, pense au contraire que les femmes québécoises peuvent y arriver - si elles arrêtent d'être perfectionnistes et si le milieu des affaires accepte de mettre de côté son machisme.

Les Affaires a repéré trois femmes, à la fois mamans et pdg d'entreprise, qui illustrent que c'est possible. Nous leur avons demandé comment elles y arrivent.

Isabelle Bettez, mère de jumeaux de 10 ans

Fondatrice et pdg de 8-D Technologies, de Montréal, qui a des revenus de 5 à 10 millions.

Elle gère une cinquantaine de personnes.

On ne peut pas toujours attendre le meilleur moment pour avoir des enfants. Isabelle Bettez est devenue enceinte lorsque les affaires de son entreprise allaient au plus mal. C'était en 2002. Elle avait démarré une PME de logiciels offrant des solutions marketing avec son frère. Mais la bulle Internet a éclaté, et les clients ont disparu. L'entreprise a alors revu son modèle d'entreprise : au lieu d'offrir des services, elle s'est dirigée vers la fabrication de produits, plus précisément de bornes de stationnement, dont la plus célèbre fut la borne de BIXI, pour laquelle son entreprise a remporté de nombreuses distinctions.

Mais avant de décrocher le gros lot, 8D Technologies était vraiment dans la dèche. «Les entreprises en TI tombaient comme des mouches. On essayait de lever du financement et on se faisait dire non, merci ! D'autant plus qu'on venait de se casser le nez avec nos services, personne ne voulait nous donner une chance dans notre virage produit», se souvient-elle.

Et puis, elle arrivait en fin de grossesse. «Ma crédibilité auprès des financiers était à zéro !»

Mais comme Isabelle Bettez a été habituée à se faire dire non dans la vie - elle a dirigé les ventes de quelques multinationales avant de démarrer 8D Technologies -, elle n'a pas lâché.

Enceinte et sans le sou, «c'est sûr que le risque était au plafond», constate-t-elle.

Finalement, elle a clôturé le financement qui a donné l'envol à son entreprise le lendemain de l'accouchement. «J'ai retardé l'accouchement pour fermer le deal.»

«Un entrepreneur n'arrête jamais», dit-elle.

Bureau pour bébés

Isabelle Bettez a allaité pendant deux ans et demi, tout en continuant de diriger 8D Technologies. Son frère développait les produits, elle développait la clientèle.

En guise de conciliation travail-famille, elle a réaménagé son bureau au centre-ville pour que les jumeaux, qu'elle traînait partout avec elle, puissent y passer régulièrement quelques heures. «J'ai fait poser des stores et installer un grand parc où je les couchais. Je les promenais en poussette dans les corridors.»

Elle se souvient d'une journée où elle est arrivée au bureau avec les poupons, chacun dans un panier, alors qu'un client l'attendait déjà dans la salle de conférence. «Il m'a filé un regard qui en disait long», se rappelle-t-elle en riant. Mais c'était elle, la boss de sa boîte.

Certes, Isabelle Bettez a vécu «des nuits lamentables», mais les choses se sont améliorées lorsqu'elle a réussi à synchroniser les allaitements, explique-t-elle.

«Il ne faut pas trop anticiper les problèmes, dit-elle aujourd'hui alors que ses enfants ont 10 ans. Les enfants nous prennent de l'énergie, mais ils donnent aussi, et cette énergie est positive.» L'exercice physique aussi lui apporte de l'énergie. «Quand je suis stressée, je pars courir. Je reprends tout de suite le contrôle. Et je suis plus productive.»

Elle est convaincue qu'organiser un horaire en fonction des enfants et de la réalité des affaires, «c'est faisable», dans la mesure où l'endroit d'où on travaille a peu d'importance et qu'on est axé sur la «solution».

Il faut aussi savoir gérer sa culpabilité. «Il semble que toutes les femmes en ressentent, on n'y échappe pas, c'est dans nos gènes. Mais cela se gère. Si je me sens trop mal parce que je ne suis pas où je voudrais être, j'y vais. Et mes enfants sont fiers de leur mère. Je leur apporte un héritage de succès et de débrouillardise.»

Ses conseils pour réussir à être pdg et maman

«Faites vos choix et assumez-les. Il n'y a aucune combinaison parfaite, juste celle qu'on choisit et qu'on optimise. À chaque problème, sa solution.»

Zoë Yujnovich, 38 ans, mère de deux filles (7 et 3 ans) et d'un garçon (9 ans)

Pdg de la Compagnie minière IOC (Rio Tinto). Elle gère 2 500 employés.

Disons-le tout de suite : Zoë Yujnovich a un parcours d'exception. Elle n'avait que 33 ans lorsqu'elle est devenue présidente de Rio Tinto au Brésil. Elle était alors enceinte de sept mois. De son troisième enfant.

Tout devait aller rondement, car il s'agissait de piloter une expansion de deux milliards de dollars. Sauf qu'à son arrivée en poste, en septembre 2008, la crise financière a éclaté. Au lieu d'une expansion, Zoë Yujnovich a dû procéder à la vente des actifs de Rio Tinto à son concurrent, Vale. Un vrai cauchemar, à la veille de son accouchement !

«C'était très difficile, se souvient-elle. Mais à partir de ce moment-là, j'ai appris à relativiser ! Il n'y a pas mort d'homme, j'ai une famille solide... Si je réussis à traverser cette tempête, je pourrai affronter n'importe quoi !»

La question de la conciliation travail-famille s'est posée très tôt pour cette ingénieure australienne née de parents britanniques, qui a hérité de l'esprit d'aventure de son père, un pilote d'avion. En effet, en 2007, Tom Albanese, alors grand patron de Rio Tinto, lui a demandé de devenir son bras droit au siège social de la multinationale à Londres.

«J'étais nerveuse, parce que je ne savais pas comment lui expliquer à quel point ma routine avec mes enfants était essentielle, relate-t-elle. Je m'étais toujours organisée pour ne pas rater le souper de famille ni les devoirs. Et les week-ends étaient entièrement consacrés à des activités en famille.»

M. Albanese s'est montré «très compréhensif. Tant que la marchandise est livrée, m'a-t-il dit, peu importe que l'on ne puisse pas se joindre pendant deux heures».

Un patron qui vous laisse modeler votre horaire de travail selon vos impératifs familiaux vaut de l'or. Et c'est ce genre de flexibilité dont Zoë Yujnovich fait maintenant la promotion à titre de présidente de IOC.

«Je suis convaincue que la conciliation travail-famille améliore la performance des entreprises», plaide-t-elle.

Un mari à la maison

Zoë Yujnovich bénéficie aussi d'un précieux coup de main de son conjoint - qui a mis sa carrière en veilleuse afin de s'occuper à temps plein de ses trois enfants, un garçon et deux filles.

«C'est lui qui a pris la décision. Je ne lui ai pas mis de pression, jure-t-elle. Avec les enfants qui grandissaient, la logistique devenait de plus en plus compliquée, entre ses réunions et les miennes, les voyages, les besoins des enfants, les imprévus, etc. Nous en étions à un point où nos conversations portaient uniquement sur ce qui devait être fait et quand. Ce n'était plus : comment vas-tu ? Comment a été ta journée ? Ce n'était pas le genre de relation que nous voulions entretenir. Et nous voyions à quel point ces défis logistiques affectaient les enfants.»

La décision de son conjoint a été un «soulagement énorme». Depuis, tout va bien. «Je m'entraîne une heure trois fois semaine, je dépose deux de mes enfants à l'école, et je les revois de l'heure du souper jusqu'au coucher. Ensuite, je me rebranche sur le travail avec mon ordinateur. Le week-end, je suis avec eux et, si j'ai du travail à faire, je peux le faire tranquillement à leurs côtés.» Elle s'entraîne aussi la fin de semaine, pour courir des marathons.

Un mari à la maison, une nécessité pour réussir ? Elle hésite. «Mon cas est particulier. Venant de l'étranger, je ne connaissais personne à Montréal, je n'y avais pas de famille ni d'amis pouvant nous dépanner avec les enfants», nuance-t-elle. Chose certaine, la présence stable du papa auprès des enfants la déculpabilise.

Deplus, Zoë Yujnovich pense que ce n'est pas juste le nombre d'heures que l'on passe avec les enfants qui compte, mais la qualité de l'engagement. «Il s'agit de trouver les bonnes occasions de faire partie de leur vie de façon significative. Je ne le calcule pas en fonction du nombre d'heures.»

Qualité au travail

Elle a la même approche au travail. «Je ne suis pas là pour faire mes heures, je suis là pour avoir un impact.»

De toute façon, elle ne croit pas aux bienfaits de passer de longues heures sans répit au travail, d'être toujours disponible. «Ceux qui travaillent ainsi ont peut-être le dessus sur le plan tactique, mais ils sont plus faibles en stratégies», croit-elle. En revanche, avoir des zones tampons où on peut faire autre chose «vous permet d'être rafraîchi, d'établir de nouveaux liens, de mettre les choses en perspective et de penser clairement».

Zoë Yujnovich a adopté cette approche avec ses collègues, qui l'ont adoptée avec leurs équipes. «Cela a créé un effet puissant !» constate-t-elle. Depuis son arrivée, la moitié de l'exécutif de IOC Canada est composé de femmes, alors qu'avant, il n'en comptait qu'une.

Ses conseils pour réussir à être pdg et maman

«La résilience. Ne vous laissez pas obséder par les problèmes. Le stress survient quand on ne peut pas maîtriser la situation. Il faut alors découper les tâches en petits morceaux et les faire un par un. Il y a toujours une solution. Quand j'ai de la pression au travail, je me rappelle ce qui compte vraiment pour moi : mon couple et trois merveilleux enfants. Je fais de mon mieux. Et si cela ne suffit pas, j'utiliserai mes talents ailleurs.»

Nathalie Pilon, 46 ans, mère de deux garçons (9 et 13 ans) et d'une fille (11 ans)

Pdg de Thomas & Betts Canada, d'Iberville, qui a des revenus de plus de 400 millions de dollars d'après les dernières données publiques. Elle gère 1 700 personnes.

Lorsque son époux a été nommé pdg de l'entreprise pour laquelle il travaillait, Nathalie Pilon s'est croisé les doigts... et a prié pour ne pas être promue en même temps que lui.

Depuis 2008, les parents sont tous les deux pdg.

Femme à l'esprit pratique, cette comptable devenue vice-présidente aux finances avant de prendre la tête du fabricant de produits électriques Thomas & Betts Canada s'est toujours organisée pour accoucher en été. «Cela me donnait jusqu'à la fête du Travail pour rester avec le bébé.».

Après l'arrivée du troisième enfant, le couple a embauché une nanny. «Nous sommes chanceux : elle est avec nous depuis 10 ans.»

«Quand le grand patron m'a demandé : êtes-vous prête pour le poste de pdg ? J'ai répondu oui, même si je ne l'étais pas tout à fait.» Son plus jeune avait cinq ans.

Nathalie Pilon se rappelle constamment «qu'on ne peut pas tout faire». Avec des tas de choses, elle coupe les coins ronds, ou paie quelqu'un pour s'occuper de certaines tâches, comme le ménage et les emplettes.

«Avec les enfants, dit-elle, le truc est de promettre moins et de livrer davantage. De cette façon, on stresse moins et on se sent moins coupable.»

Il est rare qu'elle prenne le souper avec eux : «Ils ont leurs activités sportives le soir et ils mangent avant que j'arrive». La tribu se regroupe vers 19 ou 20 heures. «Mes enfants sont autonomes, ils performent bien et ils sont aussi occupés que moi», dit-elle.

Lorsqu'elle est en voyage d'affaires, l'application FaceTime sur iPad la met en lien avec ses trois enfants. «Mon époux et moi sommes partis une semaine à la plage récemment et nous discutions 20 minutes chaque jour avec eux.» La technologie lui a aussi permis de «passer l'Halloween avec mes enfants tout en étant en conférence avec l'Australie».

Par contre, celle qui avoue «ne pas stresser facilement» s'aperçoit qu'en grandissant, ses enfants vont avoir besoin d'une présence parentale plus forte. «Je sens que, lorsqu'ils seront à l'école secondaire, il sera important qu'ils puissent échanger davantage avec moi, et cela sera la même chose pour moi», explique-t-elle.

Rien à cacher

Au travail, Nathalie Pilon ne cache jamais ses activités avec ses enfants. «Ça ne me pose aucun problème de dire que je m'en vais chez le médecin avec un de mes enfants, ou que j'ai une réunion à l'école qui me retardera.»

En outre, le nouveau président américain de Thomas & Betts a 46 ans et veut lui aussi passer du temps avec ses enfants. «Je crois qu'il y a une nouvelle génération de dirigeants prêts à donner plus d'importance à la famille.»

Récemment, Thomas & Betts a été acquise par la multinationale suisse ABB. La pression augmente sur Nathalie Pilon. Comment y fait-elle face ? En apprenant à prendre du recul avant de répondre à une demande ou une pression. «Il faut lutter contre la tentation de tout faire en même temps. On est souvent notre propre ennemi.»

Ses conseils pour réussir à être pdg et maman

«Savoir s'entourer est critique. Avoir de l'aide à la maison et une équipe forte au travail. Avoir confiance en ses capacités. Dédramatiser.»

suzanne.dansereau@tc.tc

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