Le branding, plus qu'une belle image

Publié le 01/03/2009 à 00:00

Le branding, plus qu'une belle image

Publié le 01/03/2009 à 00:00

La reprise viendra. Une image forte, claire et crédible sera un atout pour en profiter. Deux entreprises qui viennent de refaire leur image disent pourquoi et comment.

CASCADES

Défi : présenter une image unifiée aux actionnaires, aux employés, aux clients et aux médias

Contrainte : un historique d'acquisitions où les cultures des unités ont toujours été respectées

Stratégie : jumeler une tendance marketing, le branding écolo, à l'identité de l'entreprise née des activités de recyclage

Délai d'implantation : 12 mois

Quand Alain Lemaire feuillette les journaux, le lendemain de l'annonce du rachat de Norampac par Cascades, il ne reconnaît pas son entreprise. Selon le média et l'unité de Cascades qui a envoyé le communiqué de presse, l'entreprise est présentée tantôt comme "la forestière", "la papetière", ou "le fabricant de papier d'emballage". Encore un peu et on la confondait une fois de plus avec la marque de détergent pour lave-vaisselle. Alain Lemaire lui-même s'y perd. Pourtant, il est le président !

Il n'en fallait pas plus pour qu'il se rende dans le bureau de son vice-président aux communications et aux affaires publiques, Hubert Bolduc. Il faut agir. Sans compter que le conseil d'administration vient de passer une commande claire : mieux faire connaître Cascades à l'extérieur du Québec. Un sondage vient de révéler que si 80 % des Québécois reconnaissent le nom Cascades, ce pourcentage chute à 18 % en Ontario et à 8 % en Colombie-Britannique.

L'entreprise a de la difficulté à présenter l'ensemble de ses activités aux investisseurs, qui souvent l'associent seulement aux pâtes et papiers, un secteur en décroissance. Un secteur peu séduisant, surtout quand il s'agit d'attirer de nouveaux employés. Bref, Cascades doit changer d'image pour entrer dans le 21e siècle.

Il faut connaître l'histoire de Cascades pour comprendre comment elle est arrivée là. L'entreprise a grandi par acquisitions, en se faisant un devoir de respecter la culture de chacune de ses unités. Il s'agit d'une entreprise décentralisée, au style de gestion très collégial. "J'ai toujours donné carte blanche à mes employés, cela fait partie de nos valeurs. Mais là, chacun faisait les choses à sa façon. J'ai dit à mon monde : "Sommes-nous fiers de notre nom ou pas ? Si oui, alors nous devons le montrer !"" dit Alain Lemaire.

Or, le branding et le marketing n'ont jamais été le fort des frères Lemaire. La réussite de l'entreprise est davantage associée à sa gestion des ressources humaines. Cascades partage depuis toujours les profits avec ses employés, et elle a développé chez eux un fort sentiment d'appartenance. Cascades est un drôle de spécimen. Voilà une entreprise aux valeurs solides, mais qui n'a pas d'identité.

"C'est l'exemple parfait d'une marque sous-évaluée par rapport à sa valeur réelle. Elle n'est pas un cas unique, nous avons beaucoup d'entreprises comme celle-là au Québec. CGI est un autre exemple", explique Roland Aubert, directeur-conseil de Nolin Branding & Design.

C'est ainsi que le mot branding est sorti de la bouche d'Alain Lemaire ! Car ce n'est pas tout. Cascades s'apprête à prendre un virage important dans son histoire. Elle prépare le lancement de sa toute première gamme de produits d'hygiène et de papier essuie-tout destinée aux consommateurs. La presse financière connaît bien l'histoire des frères Lemaire, partis de rien, qui recyclaient des bouts de papier et des pièces de métal. Mais le grand public, lui, ignore tout de cette épopée.

Première étape : le grand ménage. L'entreprise décide de présenter ce qu'elle fait par fonctions plutôt que par secteurs d'industrie. Ainsi, Cascades est devenue Cascades papier récupération + emballage. L'entreprise ne s'est jamais dotée de normes graphiques, et le manque d'uniformité s'est amplifié avec les ans. Si bien qu'elle possède une quinzaine de signatures différentes ! Pour souligner la gravité de la situation, Hubert Bolduc monte une présentation de toutes ces images de Cascades. "Quand j'ai présenté ça au comité de direction et aux responsables du marketing de chaque division, il y a eu un fou rire général. Ils prenaient conscience pour la première fois que cela n'avait aucun sens", dit-il.

D'abord, il faut choisir un seul logo et une seule signature qui se retrouveront tant sur la papeterie et le site Internet que sur les camions de livraison de l'entreprise. Il importe aussi de le faire apparaître sous le nom des filiales de Cascades, comme Norampac, au Québec, ou Dopaco, aux États-Unis. Après réflexion, on décide de garder le logo déjà utilisé : un rouleau de papier. Pour la signature, c'est une autre histoire. Il faudra en retenir une seule. Tout un défi ! N'oublions pas que nous sommes dans une entreprise qui repose sur le consensus...

"Chacun donnait son avis, personne n'arrivait à se mettre d'accord. Pour en finir, j'ai pris Laurent et Alain [Lemaire] à part et je leur ai dit : "Cascades, c'est votre entreprise, c'est à vous de décider"", raconte Hubert Bolduc.

Les frères tranchent. La signature sera "Vert de nature" "parce que c'est nous, ça", dit Alain Lemaire. Cascades choisit de jouer la carte verte, une stratégie à la mode, mais qui ne s'adresse pas à tous, précise Roland Aubert. "Les entreprises qui veulent être crédibles dans ce domaine ne peuvent pas se contenter de créer des produits verts. Elles doivent avoir intégré des pratiques vertes jusque dans leurs activités. C'est le cas de Cascades, qui oeuvre dans le recyclage depuis ses débuts", dit-il.

S'afficher verte l'a plutôt bien servie jusqu'à maintenant. Les ventes de la division Groupe Papier tissu, celle qui produit la marque Cascades, faite à 100 % de papier recyclé, ont crû de 300 % et lui ont attiré des clients qu'elle n'aurait pas eus autrement, tant parmi les consommateurs sensibles à l'environnement que parmi les gros détaillants comme Wal-Mart, qui a pris un virage vert depuis quelques années.

En période de crise économique, l'environnement est souvent bien bas dans la liste de priorités des consommateurs. Le président de Cascades le reconnaît. Mais il croit dur comme fer que ses produits verts, qui lui ont rapporté déjà cinq fois plus que prévu, l'aideront à traverser la tempête. Il se pourrait bien que Cascades présente ses résultats financiers selon les fonctions, plutôt que par secteur. Comme quoi, on ne sait jamais où peut mener le branding !

PRATT & WHITNEY

Défi : se distinguer dans un secteur où l'offre est peu différenciée

Contrainte : miser sur le branding dans une culture d'entreprise où les employés sont des ingénieurs

Stratégie : développer une image collée à la culture d'innovation de l'entreprise, en y ajoutant une composante émotive

Délai d'implantation : 18 mois

C'est pour profiter de la reprise que Pratt & Whitney Canada (PWC) a refait son image en 2006. Cinq ans après le 11 septembre, l'industrie de l'aviation redécolle. Cependant, tant le monde que le marché ont changé. Les clients exigent des moteurs toujours plus performants au coût le plus bas possible. Le motoriste de Longueuil a beau jouir d'une solide réputation depuis 80 ans, cela ne suffit plus. Même ses clients les plus fidèles font maintenant des appels d'offres et placent le fabricant au même rang que ses concurrents. "Nous avions du mal à nous démarquer. Notre avantage concurrentiel s'effritait", confie Pierre Boisseau, directeur des communications et du marketing de PWC. Pourtant, l'entreprise investit en moyenne 400 millions de dollars par an en R-D. Le problème, c'est que personne ne le sait.

Il faut repositionner PWC, tout en affirmant ce qui existe déjà. Faire savoir au monde qu'elle aussi peut innover. Le motoriste doit aussi mettre de l'avant un pan de ses activités qui est sous-représenté : les services d'entretien de moteurs. Même si ce projet de branding répond à un besoin criant, Pierre Boisseau sait qu'il comporte un défi de taille : Pratt & Whitney a une culture d'ingénieurs, centrée sur les caractéristiques du produit, et non sur le marketing. L'entreprise a toujours mis de l'avant les qualités techniques de ses moteurs, jugeant qu'elles suffisaient pour vendre. Ce n'est pas tout, ce projet comporte une autre contrainte : PWC appartient à l'américaine United Technologies (UT). Quelle que soit la nouvelle image développée, elle doit inclure le logo de UT dans les communications.

Pour relever ce défi, Pierre Boisseau va chercher du renfort : Cristiane Bourbonnais, une experte du branding, présidente de la firme Cohésion Stratégies. Elle a collaboré, entre autres, à l'idéation de la campagne de Monsieur B. Par ailleurs, Sid Lee (ancien Diesel) s'occupera du volet design.

Un exercice de branding doit s'appuyer sur la réalité de l'entreprise, soutient Cristiane Bourbonnais. C'est pourquoi l'équipe de Cohésion rencontre des représentants de chaque niveau de l'entreprise, de la haute direction jusqu'aux ingénieurs. Elle fait aussi la tournée des clients et constate que le capital de sympathie pour la marque Pratt & Whitney est très élevé. En fait, Cristiane Bourbonnais compare l'attachement à la marque Pratt & Whitney à l'attachement aux ordinateurs Apple ou aux motos Harley-Davidson. "Cela frise le fétichisme ! Lorsqu'ils parlent de leurs moteurs, les ingénieurs ont les yeux qui brillent. Ils ont tous une histoire ou une anecdote à raconter sur la performance de ces engins en situation extrême." Bingo ! Cela donne l'idée à l'agence Sid Lee de créer un écusson à l'emblème de l'aigle qui orne depuis toujours les moteurs de Pratt & Whitney, accompagné de la mention "Dependable Engine" (moteur haute fiabilité). Désormais, ces écussons apparaîtront dans les publicités de Pratt & Whitney sous des formes différentes qui associent la fiabilité aux fonctions de l'entreprise : les ressources humaines (Dependable People), les services d'entretien de moteurs (Dependable Support) et la R-D (Dependable Innovation).

Ce n'est que le début. Fini, les gros plans de moteurs et d'avions sur fond de ciel bleu dans les publicités imprimées ! On voit maintenant des photos soignées qui mettent en scène de courts drames qui finissent bien grâce à la fiabilité des moteurs Pratt & Whitney. Des histoires recueillies auprès des employés et des clients, comme celle de ce pilote de guerre rescapé du Viêtnam à bord d'un avion propulsé par un moteur Pratt & Whitney ; celle des alpinistes sauvés d'une mort certaine grâce à un avion muni d'un moteur Pratt & Whitney ; ou encore celle de cette jeune asiatique tirée de la misère grâce à son commerce de poissons, livrés par avion en 24 heures partout dans le monde grâce à des avions mus par des moteurs Pratt & Whitney, etc. Dans le jargon du marketing, cela s'appelle du storytelling. Ces histoires permettent d'injecter une composante émotive dans l'univers rationnel de Pratt.

En quoi ce nouveau branding redonne-t-il à Pratt & Whitney son avantage concurrentiel ? "Nous jouons sur la performance à la marge", répond Pierre Boissseau. Bref, à une époque où tous les fournisseurs de moteurs se concurrencent sur les prix, on vient rappeler que Pratt & Whitney a cette capacité supplémentaire de fournir des moteurs qui résistent à des conditions extrêmes. La haute fiabilité associée maintenant à toutes les fonctions de l'entreprise fait ressortir sa capacité d'innovation et son service d'entretien de moteurs, un antidote à la récession.

À l'interne, il n'y a pas eu de résistance au changement. "Dans ce genre de situation, il faut être ingénieux pour que tout le monde y trouve son compte", dit Cristiane Bourbonnais. Les employés et les dirigeants ont été bons joueurs, mais ils demeurent sceptiques quant au réel pouvoir du branding, confie Cristiane Bourbonnais... Il reste à voir maintenant à qui le marché donnera raison.

kathy.noel@transcontinental.ca

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