La réputation de Couche-Tard sur le billot

Publié le 24/09/2011 à 00:00

La réputation de Couche-Tard sur le billot

Publié le 24/09/2011 à 00:00

Pendant des années, Alimentation Couche-Tard a fait parler d'elle à cause des saveurs bizarroïdes de sa Sloche, de ses nombreuses acquisitions aux États-Unis et de ses bons résultats financiers. Mais depuis près d'un an, l'entreprise de Laval fait surtout les manchettes en raison de son attitude antisyndicale et de ses actions à l'avenant. Dépanneurs fermés, message vidéo menaçant, batailles judiciaires contre la CSN. Malgré l'appel au boycottage et les groupes qui se forment sur Facebook, le grand patron, Alain Bouchard, refuse toujours de s'expliquer publiquement. Nous avons demandé à six experts des relations publiques d'analyser la situation.

LA QUESTION

Quelles sont les conséquences du mutisme, de l'attitude et des décisions d'Alain Bouchard sur la réputation de Couche-Tard ?

LES RÉPONSES DE NOS EXPERTS

"Y a-t-il quelqu'un à bord, responsable des communications ? Dans la vidéo d'Alain Bouchard, on sent une certaine improvisation. Comme expert, jamais je ne conseillerais à mes clients de produire une vidéo d'aussi piètre qualité. Ça me fait penser à la fameuse vidéo de Stéphane Dion [en 2008, en réponse à un discours de Stephen Harper], qui est devenue une "catégorie de vidéo". Ça fait très amateur. Est-ce que la vidéo était l'outil à privilégier pour parler aux employés, c'est-à-dire à des jeunes qui font partie de la génération Web 2.0 ? J'ai des doutes. Comment un géant comme Couche-Tard peut-il agir de façon aussi lamentable ? On peut se demander si quelqu'un les conseille. Il ne semble pas y avoir vraiment de stratégie.

Quant au mutisme, au refus de répondre, ce n'est pas une alternative. D'ailleurs, c'est une règle en relations publiques. Surtout quand l'entreprise est aussi importante, quand elle occupe une place aussi grande dans l'imaginaire du monde des affaires québécois. Couche-Tard doit répondre aux questions du public et des médias. Elle devient, comme Walmart il y a quelques années, le symbole de l'antisyndicalisme, et elle doit l'assumer. Qu'elle ne le fasse pas nuit beaucoup, à mon avis, à sa réputation.

Une riposte s'organise dans les médias sociaux. Où est celle de Couche-Tard ? Il y a quelques années, quand elle vendait sa Sloche, elle semblait avoir trouvé la façon de parler aux adolescents du Québec. Comment se fait-il qu'elle n'a pas poursuivi ce dialogue sur les médias sociaux ? Elle est totalement absente du Web."

- Philippe Roy, vice-président, Ryan Affaires publiques

"Il y a d'un côté les gens qui approuvent la décision [de fermer les dépanneurs], même si elle est draconienne et brutale. L'argument tient au fait qu'une entreprise devrait pouvoir gérer ses affaires comme elle l'entend. De l'autre, il y a ceux qui soutiennent qu'une entreprise aussi profitable devrait pouvoir amortir les coûts liés à la syndicalisation.

Dans ce cas précis, l'argument de non-rentabilité semble sonner assez creux auprès du public. Quand une entreprise de ce type décide de s'établir sur un territoire, c'est à la suite d'études de marché fondées sur des données démographiques solides. Ces données ont-elles changé à ce point ? Il se pourrait bien que oui, mais les circonstances actuelles font en sorte que la coïncidence sème le doute.

Comme le public est de plus en plus sensible aux enjeux de la responsabilité sociale - et les conditions de travail en font partie - et parce que l'entreprise dispose de moyens de communication comme jamais auparavant, Couche-Tard pourrait hériter d'une image moins favorable à court terme. À plus ou moins long terme, certains investisseurs institutionnels pourraient s'impatienter à l'égard du comportement de l'entreprise."

- Patrice Leroux, responsable de programmes, Communication appliquée et Relations publiques, Université de Montréal

"Je ne veux pas personnaliser ma réponse. Couche-Tard est une grande entreprise ayant un comité de direction. Cela dit, c'est certain qu'on a la perception que c'est une entreprise qui a de la difficulté à valoriser le travail de ses employés et à créer des liens d'appartenance avec eux. Est-ce que c'est très localisé dans quelques commerces ou généralisé dans tout le réseau ? Malheureusement, on ne sent pas un désir de l'entreprise de communiquer ses valeurs ni de corriger le tir sur la place publique, ce qui donne l'impression qu'elle n'accorde pas beaucoup d'importance à l'image qu'elle projette. Ce qui se passe actuellement va finir par avoir un impact sur la clientèle. On a tous quelqu'un dans la famille qui travaille dans un commerce similaire ou dans le commerce de détail... La question n'est pas de savoir si on est pour ou contre les syndicats, mais de décider si on accepte que les gens soient traités comme on le voit maintenant.

Je conseille rarement à mes clients de se taire. Normalement, si on prend une décision, c'est qu'on a une bonne raison de le faire ; alors on l'explique. Sinon, une idée déformée s'installe dans l'opinion publique, et c'est très difficile à changer."

- Isabelle Perras, vice-présidente et directrice générale d'Optimum

"Pour certains, le geste de l'entreprise est inacceptable. Mais il n'y aura pas plus de mobilisation pour cette fermeture qu'il n'y en a eu pour les autres (McDonald's à Saint-Hubert en 1998 et Walmart à Jonquière en 2005). Est-ce à dire que les entreprises peuvent se permettre n'importe quoi sans crainte d'effets négatifs ? La réponse est oui à court terme et non à long terme. De plus en plus, la prise de conscience de l'existence d'un capitalisme sauvage, sans âme, s'immisce dans toutes les sphères de la société. Et cette dernière commence à manifester des signes de révolte...

Les gestes de Couche-Tard alimentent cette animosité contre la grande entreprise en général. Un jour, il ne suffira que d'une étincelle pour que la colère explose. Il sera alors trop tard..."

- Bernard Dagenais, professeur au Département d'information et de communication, Université Laval

"C'est évident que l'image est entachée. Mais est-ce qu'il y aura des conséquences financières à court terme ? Non. Le message est clair : Alain Bouchard ne veut pas de syndicats et on ne pourra pas lui reprocher de ne pas être limpide à ce sujet. Il fait le pari que ça n'aura pas d'impact négatif à long terme sur sa marque.

Sur le Web, le mouvement de boycottage est lancé, mais au Québec, aucune campagne du genre n'a déjà été couronnée de succès.

Couche-Tard attaque le principe syndical, mais il n'attaque pas son public cible, les jeunes. Les jeunes vont toujours vouloir travailler dans ses dépanneurs, parce que ça paie et que les horaires sont flexibles.

Mais est-ce que l'entreprise arrive à créer un sentiment d'appartenance, comme le fait McDonald's ? Pas du tout. Même s'ils sont satisfaits de leur emploi chez Couche-Tard, je ne crois pas que les jeunes en soient fiers.

À plus ou moins long terme, le mutisme de Couche-Tard peut avoir des conséquences. Son président risque de passer pour un méchant et de devenir la représentation de ce qui se fait de pire en matière de relations de travail."

- Steve Flanagan, président de SFi, agence de communication et de relations publiques

"C'est un conflit entre un employeur et un syndicat. Le syndicat a tout intérêt à ce que le débat se tienne sur la place publique. Et s'il va devant les tribunaux, Couche-Tard devra répondre. Mais à l'extérieur de là, l'entreprise n'a pas intérêt à alimenter un débat sur un processus de négociation avec des employés."

- Bernard Motulsky, professeur au Département de communication sociale et publique, UQAM

Pour visionner la vidéo d'Alain Bouchard, diffusée en primeur sur le site LesAffaires.com, rendez-vous sur http://bit.ly/g1XZVX

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