La guerre des bouillons

Publié le 30/03/2013 à 00:00, mis à jour le 28/03/2013 à 09:26

La guerre des bouillons

Publié le 30/03/2013 à 00:00, mis à jour le 28/03/2013 à 09:26

Trois usines québécoises. Trois marques. Trois types de contenants : plastique, Combibloc et métal. Si vous pensez qu'il n'y a rien de plus ennuyeux que le rayon des bouillons à fondue chinoise de votre supermarché, détrompez-vous. Une bataille y fait rage !

Le géant de Rougemont, Lassonde, fabrique le populaire bouillon à fondue Canton depuis 1981. Pendant près de trois décennies, aucun concurrent ne s'est aventuré à vouloir ébranler sa position dominante dans le marché. Les choses ont changé.

Il y a trois ans, des conserves de marque Loney's ont réussi à se tailler une place sur les tablettes des épiceries. Les nouveaux produits (quatre saveurs) avaient les moyens de leurs ambitions et l'expertise du marché de détail : ils sont fabriqués par Les Rôtisseries St-Hubert.

Et depuis cinq mois, un troisième bouillon a fait son entrée dans les supermarchés, celui de l'entreprise Montour. Baptisé Le Bon, il se présente dans une bouteille de plastique. «Canton était pratiquement tout seul. Il fallait innover, autant dans le contenu que dans le contenant pour tailler notre place. La clé, c'est la présentation. Le consommateur achète avec ses yeux», dit le président, Marc Montour.

Lassonde affirme que ces deux concurrents ne l'effraient pas. «Nous sommes les numéros un en fondue chinoise au Québec avec 80 % du marché. On est même les leaders mondiaux !» lance Jean-François Bourdeau, vice-président marketing de l'entreprise, en entrevue avec Les Affaires. Son affirmation n'est pas exagérée, jure-t-il, puisqu'on ne trempe sa viande dans le bouillon chaud pour la cuire qu'à deux endroits dans le monde, au Québec et en Mongolie. Dans le reste du Canada, ça ne fait tout simplement pas partie des moeurs de manger pendant deux heures, constate le transformateur alimentaire bien connu pour son jus Oasis.

«Le bouillon à fondue est un produit local. Ce n'est même pas connu à Ottawa, confirme Marc Montour. Il n'y a aucun marché pour ça à l'extérieur du Québec.»

Ce n'est pas faute d'avoir essayé de développer le goût pour la fondue ailleurs au pays. Lassonde a tenté pendant 10 ans de créer un marché en faisant la promotion de ce repas. L'entreprise a même invité ses clients ontariens à venir au Québec manger de la fondue. Ils n'ont pas accroché. «Ils trouvaient ça trop long», résume Jean-François Bourdeau, qui ne veut pas divulguer les ventes de bouillon Canton.

On devine que, dans un marché aussi limité géographiquement, les possibilités de croissance sont minces. Mais ça n'a pas empêché Lassonde d'investir en R-D et dans les équipements de son usine de Boisbriand (montant confidentiel) pour changer l'emballage de son bouillon l'automne dernier. La bonne vieille canne a été remplacée par le Combibloc, un matériau qui ressemble au Tetra-Pak. Le changement a été appuyé par une vaste campagne publicitaire.

Si les boîtes Canton sont arrivées en épicerie au même moment que les bouteilles Le Bon, c'est par hasard, soutient Jean-François Bourdeau. «Notre président, Jean Gattuso, voulait ce changement il y a 10 ans, et la décision a été prise il y a 5 ans.» Le Combibloc a l'avantage de mieux préserver la saveur, d'être plus sécuritaire (pas de rebords coupants) et de réduire les coûts de transport (20 fois plus de contenants dans un même camion), explique-t-il.

«Pratiquement impossible à faire»

Marc Montour voulait que son bouillon se démarque dans les épiceries en étant le seul des trois à ne pas être vendu dans une conserve de métal. La nouveauté de Lassonde l'a surpris. «On a fait le saut quand on a vu ça. Ça tombait mal, mais c'était un défi de plus !»

Ça aurait pu être pire ; Lassonde confie avoir voulu migrer vers un contenant en plastique. Ce matériau rendait toutefois l'opération de remplissage «complexe». Le liquide chaud faisait fondre le plastique et créait une distorsion dans l'espace libre.

Le président de Montour est bien placé pour comprendre les difficultés auxquelles Lassonde faisait face. «Un contenant en plastique, c'est pratiquement impossible à faire. Ils ont raison !» commente celui qui a dû faire preuve «d'entêtement et de patience» pour trouver un fournisseur capable de l'approvisionner en contenants de plastique résistant.

Les essais ont été tellement nombreux qu'ils ont retardé le lancement d'environ deux mois. «Sept contenants sur 10 avaient une poque. Ils étaient invendables. On a donné 21 000 contenants à des organismes comme l'Accueil Bonneau pour qu'ils fassent de la soupe à l'oignon.»

Soudainement, St-Hubert s'est donc retrouvée la seule entreprise à utiliser la conserve, un contenant qui perd inéluctablement de l'attrait auprès des consommateurs. Déjà, en 2008, une étude sur les emballages alimentaires réalisée par Zins Beauchesne et associés indiquait que le métal était en décroissance vu son poids, son prix et «la perception des consommateurs d'une qualité nutritionnelle inférieure».

La vice-présidente marketing de St-Hubert, Lyne Chayer, admet qu'elle s'interroge sur la pertinence de son contenant qui était, il y a trois ans, le format de mise dans l'industrie. Pour le moment, aucun changement n'est envisagé. «En alimentation, ça évolue vite. Mais le consommateur est encore habitué à la conserve, et je ne pense pas qu'elle va disparaître du jour au lendemain».

Expert en marketing et innovations alimentaires à l'Université Laval, François Couture abonde dans le même sens. À son avis, la canne est encore «une technologie intéressante et légitime», malgré son âge vénérable.

«Le désir des entreprises de faire évoluer leurs produits et leur positionnement avec de nouveaux emballages est légitime, mais ça ne veut pas dire que la conserve ne fait pas un bon travail.»

Aucune différenciation par le prix

Si les trois entreprises qui se disputent le caquelon des Québécois utilisent des contenants différents, leurs prix de détail suggérés sont en revanche similaires : 4,49 $. «On a eu le front de rentrer dans le marché avec un produit de 49 ¢ plus cher [que le Canton], à 4,49 $, raconte Marc Montour. Mais la première chose qu'on a su, c'est que Lassonde arrivait avec son Cambibloc au même prix que nous [la conserve était vendue 3,99 $].» Pour se différencier, l'entreprise mise sur une recette avec «30 à 40 % moins de sel que la concurrence et une liste d'ingrédients propres [pas d'agents de conservation ni de colorants]».

St-Hubert voulait aussi se positionner au-dessus de Canton. «On a commencé avec un prix un peu plus élevé, car on voulait miser sur la qualité supérieure de notre bouillon, fabriqué avec du vin rouge, souligne Lyne Chayer. Mais probablement que ce n'était pas la meilleure stratégie à adopter dans un marché dominé par Canton. On s'est donc rajusté [à 4,49 $].»

L'entreprise souhaitait par ailleurs se démarquer avec des saveurs inédites, d'où la mise en marché d'un bouillon d'inspiration indienne et d'un autre aux légumes, baptisé maraîcher. Mais les goûts «assez traditionnels» des consommateurs ont eu raison de ces deux produits. Même pour St-Hubert, il n'est pas facile de pénétrer un marché dominé par un géant. Après trois ans, les parts de marché de son bouillon Loney's sont d'environ 4 %. «On a un produit de qualité, mais il faut encore le faire découvrir», résume Lyne Chayer. Le reste du marché est occupé par Montour (2 %), le bouillon de marque maison Compliments (IGA) et les bouillons en poudre (Bovril et VH).

SIMULATIONS D'ACHAT POUR GÉRER «LE GRAND RISQUE» CHEZ LASSONDE

Un consommateur habitué à acheter du bouillon à fondue dans une conserve acceptera-t-il de changer sa routine ? La réponse n'est tellement pas évidente que Lassonde a créé une fausse section d'épicerie pour observer 300 personnes y faire des emplettes. Les bouillons Canton en Combibloc côtoyaient ceux des concurrents. «Il y avait un grand risque pour nous que le consommateur ne suive pas», dit Jean-François Bourdeau, vice-président marketing de Lassonde.

L'objectif était de voir comment ces «testeurs» allaient réagir au changement de contenant de Lassonde. «On leur demandait de choisir tout ce qu'il faut pour faire de la fondue. Quelques personnes qui voulaient absolument acheter une conserve ont choisi celle de la concurrence», relate M. Bourdeau.

D'autres, plus attachés à la marque Canton, ont choisi le Combibloc, tandis que certains habitués des autres marques se sont tournés vers le bouillon de Lassonde, intrigués par son contenant.

Dans les véritables épiceries, la transition s'est faite sur une période de «6 à 9 mois». Les conserves ont été écoulées. Ainsi, les nouveaux contenants ont pu entrer dans les magasins l'automne suivant. Les supermarchés entreposent généralement leurs «surplus» pendant l'été et les ressortent plus tard. «Dès l'automne 2011, il a fallu s'assurer qu'on n'aurait pas de surstock à la fin du printemps suivant. On a géré les stocks de chaque magasin. On a parfois repris les conserves de ceux qui en avaient trop. Des fois, les prix ont été réduits.»

marie-eve.fournier@tc.tc

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