La deuxième vie de la boulangerie St-Méthode

Publié le 15/10/2011 à 00:00

La deuxième vie de la boulangerie St-Méthode

Publié le 15/10/2011 à 00:00

On ne donnait pas cher de la Boulangerie St-Méthode. Après avoir frôlé la faillite en 2005, l'entreprise familiale d'Adstock, en Beauce, donne une leçon à ses concurrents. Une histoire à rebondissements.

Il y a des déclarations assassines qui, au lieu de décourager leur cible, la gonflent à bloc. Quand les frères Faucher, de la Boulangerie St-Méthode, installée dans la petite municipalité d'Adstock, près de Thetford Mines, se sont fait dire qu'il n'y avait pas de place pour eux dans l'industrie du pain, ils n'ont eu qu'une seule envie : prouver aux sceptiques qu'ils avaient tort.

C'était au tournant du millénaire, alors que les petites boulangeries se faisaient absorber par les grosses. Cependant, les frères Faucher ont voulu résister et suivre les traces de Gadoua, qui a su croître et rayonner dans toute la province avant de se faire avaler par Weston en 2004.

Au pari de la croissance, la boulangerie de Chaudière-Appalaches a failli tout perdre il y a six ans, mais elle s'est depuis relevée avec aplomb. Aujourd'hui troisième dans un marché québécois dominé par Weston et Canada Bread (Pom, Bon Matin), qui détiennent 90 % du marché, St-Méthode gruge des parts à ces géants grâce à ses pains santé. Au cours des dernières années, elles ont doublé, passant de 4 % à 8 %. L'ascension continue : le chiffre d'affaires frôle les 40 millions de dollars, et les ventes au premier trimestre de 2011 ont bondi de 28 %.

"Nous sommes la seule entreprise dont les ventes augmentent de manière significative", affirme fièrement le directeur général, Benoît Faucher, assis dans son étroit bureau beige et sans décoration, adjacent à la boulangerie.

Sa fierté, c'est de diriger la seule boulangerie québécoise qui possède un réseau de distribution provincial, ce qui lui permet de fournir toutes les grandes chaînes d'alimentation.

"Ce qui m'impressionne, dit le conseiller-expert en boulangerie Mario Fortin, de Forma-lab, c'est qu'ils soient capables de faire ça à partir de nulle part. Adstock, c'est loin des autoroutes ! Ça leur coûte cher en transport, si on les compare à une entreprise de Montréal où se trouve le principal marché. Et l'hiver, ce n'est pas un cadeau ! Mais ils sont partout dans la province avec du pain frais chaque jour."

Pour y parvenir, les boulangers d'Adstock ont créé une division transport et contrôlent une flotte de 25 camions, en plus de faire appel à des sous-traitants. Une orientation à laquelle le fabricant de beurre Joseph Faucher et son épouse Mariette Robert n'auraient sans doute jamais pensé quand ils ont mis la boulangerie familiale sur pied, à temps perdu, en 1947.

"Ceux qui n'ont pas pris d'expansion ont fermé ou ont vu leur chiffre d'affaires baisser, note leur fils Benoît, l'avant-dernier des six frères Faucher. Ils se sont cantonnés à un petit marché et sont désormais de très petites entreprises. Or, pour moi, devenir toujours plus petit, c'est l'équivalent d'une mort lente."

Crise de croissance

Dans l'aventure de l'expansion, Boulangerie St-Méthode a commencé à ressembler aux pantalons trop courts de l'adolescent qui grandit trop vite. La progression des ventes a été plus lente que celle des dépenses occasionnées par le développement du réseau de distribution.

"Nous avons traversé une période assez mouvementée pour le développement", se souvient Benoît Faucher, propriétaire de la boulangerie avec trois de ses frères.

"Nous avons eu peur de couler, car nous perdions beaucoup d'argent. Avec un esprit défaitiste, je ne pense pas que nous aurions survécu. Ce qui est difficile dans une situation pareille, c'est qu'on ne peut pas contrôler les émotions de tout le monde."

Entré à la boulangerie à 12 ans, Benoît Faucher, un homme affable et d'apparence imperturbable, en est devenu le directeur général il y a près de 20 ans. Il succédait à l'aîné de la famille, Robert, qui devait prendre soin de son épouse malade.

"Face aux problèmes, Benoît a toujours eu de bonnes idées. Il ne perd jamais son calme", remarque son frère Robert.

C'est peut-être parce qu'il a appris très tôt dans la vie les réalités du monde des affaires. Devenu actionnaire de la boulangerie un an avant d'atteindre la majorité, en 1975, Benoît Faucher y a exercé tous les métiers : boulanger, mécanicien, livreur, vendeur.

Si c'était à refaire, ce pragmatique resterait peut-être plus longtemps sur les bancs d'école, qu'il a quittés au collégial parce qu'il avait l'impression de ne pas se réaliser dans ses études en administration.

"Je voulais faire du développement des affaires. C'est ce qui m'inspirait", se souvient l'homme de 52 ans, dont le seul véritable regret est de ne pas avoir voyagé avant de s'engager dans le travail.

Même du fond de son village, jeune et ambitieux, il voyait grand. Dans ses rêves d'ascension, il ne songeait pas que l'entreprise se trouverait un jour au bord du gouffre. L'année de l'épreuve est arrivée en 2005. Avant de se placer sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers, Boulangerie St-Méthode avait acheté deux boulangeries en Estrie pour augmenter sa capacité de production. Elle avait aussi investi massivement dans le transport, afin de pouvoir livrer son pain et ses pâtisseries à l'extérieur de la région Chaudière-Appalaches, partout dans la province. De nouveaux gestionnaires embauchés pour soutenir la croissance avaient par ailleurs convaincu les frères Faucher de distribuer les gâteaux d'une entreprise américaine ; une manière, croyaient-ils, de rentabiliser plus vite le réseau de distribution provincial.

"Cela nous a distraits de nos objectifs et c'était plus qu'inutile. Acheter deux boulangeries en 2004, c'était déjà une bouchée assez grosse", estime aujourd'hui Benoît Faucher. C'est grâce à la confiance de ses frères si la boulangerie a été sauvée.

Adieu les pâtisseries, bonjour les pains santé

La greffe de gestionnaires étrangers à la famille a échoué face à la menace d'une faillite. La fratrie a repensé elle-même la mission de l'entreprise. Adieu les pâtisseries, bonjour les pains santé.

"C'était un créneau en émergence, avec un bon potentiel de développement. Nos rendements financiers sur ces produits étaient excellents, et nos ventes augmentaient", se souvient Benoît Faucher.

Depuis la fin des années 1990, l'entreprise avait innové avec des pains biologiques (Naturo-Bio), des pains à l'huile d'olive (Campagnolo) et d'autres pains sans sucre ni gras. Elle devait désormais se faire un nom dans le marché du mieux-être, tandis que les autres boulangeries misaient sur le pain blanc moelleux. Aujourd'hui, 90 % des ventes de La Boulangerie St-Méthode sont des pains santé, dont la valeur ajoutée améliore les marges bénéficiaires.

"C'était un défi technique, car les composantes alimentaires sont beaucoup plus complexes. Il y a beaucoup de variabilité dans les farines, les produits sont plus denses. De plus, il fallait garder un prix qui soit intéressant pour le consommateur. Boulangerie St-Méthode a relevé le défi : leur produit est délicieux et cela leur a fait gagner des parts de marché", remarque François Couture, conseiller en innovation à l'Institut des nutraceutiques et des aliments fonctionnels (INAF) de l'Université Laval.

La Boulangerie St-Méthode travaille avec l'INAF depuis quatre ans. L'entreprise conçoit ses recettes elle-même, mais elle demande conseil pour innover et défendre sa niche dans un marché très concurrentiel. Sa dernière trouvaille : un pain à faible teneur en sodium qui ne sacrifie rien au goût. Et l'entreprise continue d'innover.

"Les frères Faucher ont toujours été avant-gardistes, note le conseiller Mario Fortin. Et dans certains cas, les géants les ont imités. St-Méthode a toujours essayé de faire ce que les autres ne faisaient pas, et elle a bâti son marché comme ça. Elle a aussi réalisé un bon coup en s'alliant à la nutritionniste Isabelle Huot pour le marketing."

La docteure en nutrition très médiatisée est le porte-parole officiel de l'entreprise ; sa photo paraît sur les sacs de pain St-Méthode, ainsi que dans les épiceries et sur les étalages réservés aux produits santé de la boulangerie d'Adstock.

Pour satisfaire des consommateurs de plus en plus préoccupés par leur santé, Benoît Faucher compte offrir au cours des prochaines années des produits plus sophistiqués encore. Il veut s'attaquer à des créneaux très spécifiques, comme ceux des pains de régime ou des pains plus nourrissants, qui donnent rapidement une sensation de satiété.

"Nous pouvons être encore plus pointus, mais ce n'est pas tout d'y parvenir. Un bon rendement commercial est un autre défi, car un produit nouveau ne donne pas automatiquement de nouveaux espaces en magasin", précise le boulanger.

Il n'hésite pas à dire qu'il doit une partie de sa réussite aux épiciers indépendants, plus ouverts à ses nouveautés. Les grandes chaînes, elles, ne libèrent leurs tablettes que si un pain a gagné ailleurs la faveur des consommateurs.

Remise sur la bonne voie après la tempête de 2005, la Boulangerie St-Méthode a pour objectif aujourd'hui de devenir le fabricant de pains santé le plus important du Québec. Mais elle veut aussi gagner d'autres assiettes, dans l'Est-du-Canada, et peut-être même aux États-Unis, où n'il y a que peu d'acteurs dans ce créneau.

Dans un horizon de cinq à sept ans, elle prévoit enregistrer un chiffre d'affaires de 100 millions de dollars.

"Cette fois, nous sommes bien en selle pour prendre de l'expansion", affirme le directeur général, en faisant au passage l'éloge de la compétence de ses employés.

Benoît Faucher et ses frères ont appris de leurs erreurs du passé. Ils se sont de nouveau entourés de gestionnaires extérieurs à la famille, mais ils se sont assurés cette fois que ceux-ci partageaient leurs valeurs.

"Il faut s'entourer d'individus capables de soutenir le développement, d'individus qui sont plus forts que nous dans leurs secteurs, que ce soit aux ventes ou au marketing. Mais vous pouvez bien aller chercher des Wayne Gretzky, s'ils ne cadrent pas avec vos valeurs, ça ne marchera pas", dit le directeur général, qui garde le souvenir amer d'avoir perdu dans la tourmente les valeurs de respect, de rigueur et de loyauté chères à l'entreprise.

"J'aime être respecté et j'aime que mes employés respectent les autres. C'est une valeur chère. Cela ne sert à rien de crier ou de réprimander quelqu'un en public, personne n'y gagne. Les gens de l'extérieur avaient du mal avec cette valeur. Or, un bon cadre, c'est plus important qu'il soit respecté qu'aimé. Pour cela, il faut faire ce qu'on dit qu'on va faire, et ne jamais promettre l'impossible."

UNE HISTOIRE DE CONCILIATION TRAVAIL-FAMILLE

L'équilibre travail-famille, dans une entreprise dirigée par des frères, c'est un défi de haut niveau. Et si aujourd'hui la famille Faucher a trouvé l'harmonie, sa vie n'a pas toujours été un long fleuve tranquille.

Les parents fondateurs ont vendu la boulangerie à leurs six fils en 1975. Déterminer qui fait quoi dans l'entreprise, trouver la tâche qui convient à chacun et convaincre chacun de l'exécuter, c'était assez pour ébranler les liens du sang. Personne n'a envie de revenir sur les épisodes tumultueux du passé, mais Benoît Faucher se souvient qu'il a fallu un jour apprendre à faire la distinction entre actionnaire et employé, alors que tous les frères remplissaient les deux rôles.

"En résumé, il faut mettre les bonnes personnes aux bons endroits, souligne le directeur général. C'est un homme d'affaires aguerri qui m'avait transmis ce message marquant. Les décisions d'entreprise viennent avant les décisions familiales. L'entreprise doit passer avant tout."

La troisième génération de Faucher doit se soumettre à la même règle. Pour le moment, deux des petits-enfants des fondateurs sont à l'oeuvre dans la boulangerie, mais ils n'accéderont pas à des fonctions supérieures sans avoir fait leurs preuves, comme n'importe quel autre employé.

"Nous voulons qu'ils gagnent leurs galons, nous ne voulons forcer personne à prendre la relève", explique Benoît Faucher, dont les trois enfants s'accomplissent à l'extérieur de l'entreprise familiale pour le moment.

À 52 ans, le directeur général est loin de songer à la retraite, mais certains de ses frères aînés envisagent maintenant une vie hors de la boulangerie ; il faut déjà penser à la succession.

"Il faut voir venir et penser à un retrait progressif. Nous avons des conseillers qui nous aident à savoir, à moyen terme, ce que nous pourrions faire", confie-t-il.

Plusieurs PME ne survivent pas à la troisième génération, les frères Faucher en sont conscients, et ils sont prêts à prendre une décision qui servira l'entreprise avant l'ambition éventuelle de leurs enfants.

"Cela me ferait de la peine que la boulangerie sorte de la famille un jour, mais ce que nous voulons surtout, c'est que l'affaire continue, que ce soit un développement durable. Nous ne pouvons pas la laisser à quelqu'un de la famille qui n'aurait pas des compétences en gestion", dit Benoît Faucher.

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