«La création d'emplois n'est pas la priorité des gouvernements» - Steve Tobin, coauteur du «Rapport sur le travail dans le monde 2012»

Publié le 26/05/2012 à 00:00, mis à jour le 24/05/2012 à 09:58

«La création d'emplois n'est pas la priorité des gouvernements» - Steve Tobin, coauteur du «Rapport sur le travail dans le monde 2012»

Publié le 26/05/2012 à 00:00, mis à jour le 24/05/2012 à 09:58

Le monde compte 202 millions de chômeurs. L'Organisation internationale du Travail présente des constats alarmants dans son «Rapport sur le travail dans le monde 2012». Le Canadien Steve Tobin, coauteur de l'étude, explique.

Diane Bérard - Pourquoi n'arrive-t-on pas à créer des emplois ?

Steve Tobin - Nous ne créons pas d'emplois, parce que ce n'est pas la priorité des gouvernements. Leur priorité se trouve du côté de la réduction des déficits par l'intermédiaire des programmes d'austérité. On estime que remettre la maison en ordre amènera de la croissance qui, elle, sera source d'emplois. Après quatre années d'austérité, cette promesse ne se matérialise toujours pas. Il n'y a même pas de croissance. Et, dans les pays où la croissance se manifeste faiblement, on ne constate aucune véritable création d'emploi.

D.B. - Vous êtes donc opposé aux programmes d'austérité ?

S.T. - Certains États ont imposé des mesures beaucoup trop draconiennes. Plus de la moitié des réductions ont été réalisées dans les programmes sociaux et les investissements publics. Or, les investissements publics créent des emplois. L'austérité n'est pas un moyen efficace de créer des emplois. Il faut procéder à l'inverse : à court terme, vous mettez les gens au travail et, à moyen terme, vous mettez de l'ordre dans vos finances.

D.B. - Le monde a perdu 50 millions d'emplois depuis 2007, et 40 M de jeunes rejoignent chaque année le marché du travail. La situation est-elle critique ?

S.T. - Depuis que les Nations Unies colligent des données sur le chômage, la planète n'a jamais connu une telle pénurie d'emplois. Le chômage chez les jeunes a augmenté dans 80 % des économies matures ainsi que dans les deux tiers des économies émergentes. En moyenne, plus de 36 % des chômeurs sont sans emploi depuis plus d'un an. Il y a lieu de parler de situation critique.

D.B. - Quels en sont les impacts économiques les plus marquants ?

S.T. - Le niveau de pauvreté a augmenté dans la moitié des économies matures et dans le tiers des économies émergentes. On note une croissance des inégalités - en matière d'accès à l'éducation, à la nourriture, à la terre ainsi qu'au crédit - dans la moitié des économies matures et dans le quart des économies émergentes et en développement.

D.B. - La situation des jeunes chômeurs vous préoccupe particulièrement. Pourquoi ?

S.T. - Si un jeune diplômé ne travaille pas au sortir de sa formation et que ce chômage s'étire, on assiste à une érosion de ses compétences, un phénomène qui n'affecte pas un travailleur plus âgé qui a déjà pratiqué sa profession. Les employeurs hésiteront à recruter le jeune chômeur. Découragé, il en viendra à accepter un poste en dessous de ses compétences. Et il ne rattrapera jamais le manque à gagner entre ce qu'il aurait pu gagner, compte tenu de sa formation, et ce qu'il gagnera réellement. Une perte pour la société qui a investi dans son éducation, sans compter qu'il participera moins à la croissance économique, comme contribuable et comme consommateur.

D.B. - Malgré tout, des emplois sont créés. Pourquoi dites-vous que cela ne règle rien, au contraire ?

S.T. - On constate une croissance des emplois non standard (temporaires ou précaires). Cela est une conséquence de l'assouplissement des règles du marché du travail. On a avancé que, s'il était plus facile de congédier et si les indemnités de départ étaient moins élevées, les employeurs seraient plus enclins à recruter. Or, des 40 États qui ont modifié les lois du travail depuis la crise, plus de 60 % les ont assouplies (75 % dans les économies matures), et nous n'avons rien gagné. Cela a donné naissance à une catégorie de travailleurs précaires, ce qui rend la mise en place d'une reprise très difficile. Une déréglementation du travail n'amène pas plus d'emplois et surtout pas des emplois de qualité.

D.B. - Peut-on espérer créer des emplois à la fois en quantité et de qualité ?

S.T. - Je veux croire que c'est possible. Le Brésil y est arrivé. Il s'est bien débrouillé lors de la décennie précédant la crise de même que pendant la crise. Le gouvernement Lula a travaillé sur plusieurs fronts à la fois pour développer un marché du travail de qualité. Il a favorisé la croissance des revenus en augmentant le salaire minimum. Il a aussi introduit le programme «Bolsa familia» destiné à relever le niveau de vie des familles les plus pauvres et à réduire les inégalités. Pour en profiter, le bénéficiaire doit remplir certaines conditions en contrepartie, l'éducation par exemple. Le gouvernement Lula a aussi introduit des réformes pour inciter les entreprises informelles (travail au noir) à se joindre au secteur formel.

D.B. - Comment se situe l'emploi au Canada par rapport à celui d'autres États ?

S.T. - Nous classons les États en quatre catégories. Le premier groupe compte 11 pays, dont le Brésil et l'Allemagne, où, depuis 2007, le niveau d'emploi a augmenté et la proportion d'emplois non standard a diminué. Le deuxième groupe rassemble cinq États, dont la Turquie et le Luxembourg, où l'emploi a augmenté mais les emplois non standard aussi. Pour les 13 États du troisième groupe, dont le Danemark, l'Argentine et l'Espagne, le chômage a augmenté, mais la proportion d'emplois non standard a diminué. On suppose que, dans ces États, les emplois les plus précaires ont disparu en premier. L'Espagne est le pays de ce groupe où l'on compte le nombre le plus élevé de travailleurs à temps partiel qui sont devenus des chômeurs. Finalement, le quatrième groupe compte 21 États, dont le Canada et la Grèce. Les habitants de ces pays connaissent le pire des deux mondes : le chômage et les emplois non standard ont augmenté.

«On a avancé que, s'il était plus facile de congédier des travailleurs, les employeurs seraient plus enclins à en recruter. Or, des 40 États qui ont modifié les lois du travail depuis la crise, plus de 60 % les ont assouplies, et nous n'avons rien gagné.»

40 M Nombre de jeunes diplômés qui arrivent, chaque année, sur le marché du travail dans le monde. | Source : Organisation internationale du travail

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