L'échec, tremplin de la croissance

Publié le 01/10/2013 à 00:00

L'échec, tremplin de la croissance

Publié le 01/10/2013 à 00:00

Paralysé par l'idée d'échouer ? Vous ne devriez pas. Vos erreurs préparent souvent la voie vers de nouveaux sommets.

Dans le secteur de la rénovation domiciliaire et commerciale, Avantage Plus est un acteur marginal. Aucun des cinq employés de l'entreprise montréalaise ne cogne du marteau ou ne joue du tournevis. En fait, l'équipe est constituée de gestionnaires plutôt que de «gars de la construction». Le fondateur et patron Louis Lachapelle résume ainsi son entreprise : «Nous assurons la gestion de tous les aspects liés à un projet de rénovation. Le client, qu'il soit résidentiel ou commercial, n'a pas à se soucier de dénicher un briqueleur, un électricien ou un architecte, nous le faisons et nous coordonnons les travaux sur les chantiers».

Les choses vont rondement. Le chiffre d'affaires d'Avantage Plus a bondi de 904 % au cours des cinq dernières années. C'est vrai que l'entreprise partait de rien, mais les ventes atteignent aujourd'hui 2,6 millions de dollars. Une belle réussite que Louis Lachapelle attribue à un échec.

En 2008, trois ans après sa création, l'entreprise est victime de sa réussite et frôle la faillite. Le jeune propriétaire de 26 ans a accepté trop de projets et n'arrive pas à les honorer. Deux options s'offrent à lui : transformer radicalement la structure de son entreprise ou la voir couler. «J'ai regardé la réalité en face, j'ai retroussé mes manches et je suis passé en mode solutions. Et j'ai changé l'ensemble de mon modèle d'affaires.»

En quelques semaines, Louis Lachapelle vend son équipement - tous ses outils, ses trois camions et ses quatre remorques - et propose à ses 15 employés qui travaillent sur les chantiers de devenir des fournisseurs. «Ils seront payés au contrat, donc à la performance. Ceux qui avaient de la graine d'entrepreneur y ont vu une occasion d'affaires et ont accepté immédiatement, tandis que les autres sont allés travailler ailleurs.» Dès lors, Avantage Plus n'effectue plus de rénovations, elle assure la gestion de projets de rénovation en coordonnant les travaux des différents corps de métier qu'elle embauche de façon contractuelle.

Le pari est risqué, mais Louis Lachapelle est optimiste. L'avenir lui donne raison. Deux trimestres plus tard, la tempête est passée et Avantage Plus est de nouveau sur les rails. En regardant en arrière, Louis Lachapelle confie : «Dans ce genre de situation, il ne faut pas figer. C'est tentant de coller ses yeux sur l'écorce d'un arbre alors que le plus important, c'est justement de regarder en avant et d'avoir une vue globale sur la forêt».

L'échec : racine de l'apprentissage

Car au pays de l'échec, tout est une question de perception et d'attitude. «Il y a ceux qui perçoivent les échecs comme un passage honteux, quelque chose de tabou et de négatif. Et il y a les autres, moins nombreux, qui les utilisent comme une occasion d'apprentissage, voire un levier pour avancer », indique Ashley Good, fondatrice et PDG de Fail Forward, une firme de consultation torontoise qui accompagne des entreprises dans l'analyse de leurs échecs.

Essuyer des revers fait partie du processus naturel de l'apprentissage de l'espèce humaine, rappelle la consultante : « Enfants, nous apprenons en faisant des essais et des erreurs. Nous ajustons le tir quand il le faut et nous progressons. Mais une fois adultes, malheureusement, bon nombre ont tendance à craindre de faire des erreurs. Du coup, lorsqu'ils en font, ils n'en tirent pas de bénéfices. Un enfant qui apprend le piano fait constamment des erreurs. Pourquoi devrait-il en être autrement en affaires ? »

Les entrepreneurs et les gestionnaires québécois entretiennent une relation difficile avec l'échec. Patrick Sirois est président de Triode, une firme de stratégie de Québec spécialisée dans la réduction des risques liés au développement de nouveaux produits : « En accompagnant des entreprises, nous constatons régulièrement qu'elles ne font pas de post mortem après un échec. Elles passent à un autre projet sans en tirer de leçons. Pourtant, un échec peut être bénéfique lorsqu'on mise sur l'apprentissage. »

Cette réalité l'a poussé à créer avec trois autres consultants FailWatching, un site Internet qui recense les échecs et les erreurs dans la commercialisation de produits et le marketing. Le but n'est pas de ridiculiser les erreurs des entreprises, mais bien d'amener les organisations à en tirer profit. Patrice Lachance, un spécialiste des marques qui fait partie de l'équipe de FailWatching, résume ainsi sa perception de l'échec : « Rappelez-vous que lorsque Rocky s'entraînait, il n'apprenait pas seulement à donner des coups. Il s'exerçait aussi à en recevoir et à s'endurcir en se faisant taper dessus ».

Ashley Good estime qu'il y a certainement là un phénomène culturel : « J'ai eu de nombreuses discussions avec des dirigeants de grandes entreprises californiennes qui ne veulent pas embaucher un PDG qui n'aura pas un échec à son curriculum, car pour eux, l'échec est formateur. Avez-vous souvent entendu cela au Canada ? Non ! »

L'échec : moteur de l'innovation

Les États-Unis sont précurseurs dans le domaine. Tout particulièrement lorsqu'il est question d'innovation. Baba Shiv, professeur de marketing à la Standford Graduate School of Business, divise les perceptions de l'échec en deux catégories. La première regroupe les gens qui craignent les erreurs. La majorité des gestionnaires se trouvent dans cette catégorie. « Leurs cerveaux entretiennent une aversion à l'égard de l'échec qui ne peut favoriser l'innovation. »

La deuxième catégorie : les gens qui craignent de manquer une occasion et qui sont plus tolérants face aux risques. Cet état d'esprit est fort répandu dans la mecque de l'innovation qu'est Silicon Valley. « Pour eux, ce qui est regrettable, c'est de rester en marge et de laisser filer une bonne idée. À leurs yeux, l'échec n'est pas mauvais. Au contraire, il peut être nécessaire, car il mène à une nouvelle idée. »

Selon Baba Shiv, il est possible de faire passer le premier état d'esprit, qui craint l'échec, à celui qui perçoit les erreurs comme un des maillons du cheminement. Comment s'y prend-on ? En plongeant volontairement son organisation dans une situation difficile. L'un des exercices qu'il propose : pratiquer le « jugaad », un terme hindi qui pourrait être traduit en français par « débrouillardise ». Cette approche inspirée des entreprises en démarrage des pays en développement consiste à réduire toutes les formes de ressources disponibles humaines, financières, temps afin de stimuler l'innovation. Autrement dit, il s'agit d'apprendre à faire plus avec moins.

Chaque année, le plus important brasseur de la planète, Anheuser-Busch InBev propriétaire de Budweiser, des produits Labatt et Corona impose un jugaad à son équipe marketing. Il réduit leur budget tout en leur demandant d'augmenter leur performance. Le but : ébranler le statu quo afin de trouver de nouvelles solutions.

Cesium : la résilience ou la faillite

Vicken Kanadjian sait ce que c'est que d'avoir à développer de nouvelles avenues à cause de la pression externe. Son entreprise, Cesium Telecom, a été involontairement plongée dans la tourmente en 2008 pendant que son marché disparaissait. Depuis sa création, en 2003, l'entreprise montréalaise importait les plus récents modèles d'appareils cellulaires de l'étranger pour les vendre sur le territoire canadien. « Les fournisseurs canadiens de services ont commencé à offrir gratuitement des appareils en échange de contrats de deux ou trois ans », raconte-t-il. Le résultat est alors catastrophique : Vicken Kanadjian assiste impuissant à la disparition de son marché.

Cesium Telecom joue le tout pour le tout et mise sur sa plus grande force : son réseau de contacts. « Nous avons abandonné toutes nos activités d'importation de téléphones et avons proposé un nouveau portefeuille de produits à nos clients. En six mois, nous sommes passés de distributeur de téléphones cellulaires à distributeur d'accessoires pour appareils mobiles. La pression était énorme », se rappelle Vicken Kanadjian.

Son grand coup : la signature en 2008 du contrat qui permet à l'entreprise d'importer et de distribuer les accessoires du iPhone 3G, premier appareil intelligent d'Apple commercialisé au Canada. La porte est ouverte pour étendre ses activités aux téléphones Androïd et, éventuellement, aux tablettes électroniques. Depuis, le chiffre d'affaires de l'entreprise a quintuplé. Il frôle maintenant 28 millions de dollars. La croissance devrait se poursuivre au rythme de la popularité des téléphones intelligents et des tablettes électroniques.

« Bon nombre de nos concurrents ont dû fermer leurs portes. La pire décision aurait été de ne pas agir. Ce que je retiens de cette période ? Il valait mieux bouger, quitte à se tromper, que de rester inactif », dit-il.

Les histoires d'entreprises mises en échec par leur propre marché sont courantes. Ashley Good rappelle que faire des affaires est aujourd'hui plus complexe. Les entreprises évoluent dans un univers en plein bouleversement. Elles doivent s'adapter constamment. « Emprunter de nouvelles avenues et faire face à des contextes d'échec fait partie de leur quotidien », résume-t-elle.

Pour éviter les écueils et les utiliser comme leviers, il faut tout d'abord bien se connaître, estime Jacques De Larochelière, PDG et cofondateur d'Isaac Instruments. L'entreprise technologique de Chambly, en affaires depuis plus de vingt ans, s'est taillé une place enviable dans l'industrie automobile grâce à une technologie qui enregistre et traite en temps réel les informations relatives au comportement d'un véhicule et de son conducteur.

Sa réussite, elle la doit en partie aux erreurs qu'elle a commises et aux périodes difficiles qu'elle a traversées. L'ingénieur ne s'en cache pas. Passionné de course automobile, il a conçu une technologie qui sert tout d'abord, dans les années 1990, à recueillir et à traiter les données de voitures de course en vue d'augmenter leurs performances. Le secteur se révèle peu prometteur. La totalité des mauvaises créances vient de coureurs automobiles. Première leçon : passion ne rime pas nécessairement avec occasion d'affaires. « Nous avons compris au bout de quelques années que les coureurs automobiles étaient de faux riches », dit-il.

Il se tourne alors vers les constructeurs qui désirent amasser et traiter des données lors de la phase de conception de leurs véhicules. Une stratégie qui rapporte finalement. Isaac Instruments signe avec les plus grands noms de l'industrie : General Motors (GM), Ford, Chrysler, Honda, Toyota, John Deer et Caterpillar.

Tout va bien jusqu'à la crise économique de 2008, qui ébranle sérieusement l'industrie automobile. GM et Chrysler évitent alors la faillite de peu, et la production mondiale de Toyota chute de 21 %. Les budgets de recherche et développement sont réduits, ce qui menace le secteur des essais de véhicules qui représente jusqu'à 75 % des revenus d'Isaac Instruments. « Ça s'est écrasé d'une façon spectaculaire. À l'automne 2008, j'avais trois soumissions sur mon bureau. En quelques semaines tout a changé. Mes clients m'ont appelé pour me dire : 'On n'a plus une cenne et on a perdu la moitié de nos employés'' » se rappelle Jacques De Larochelière.

« C'est lorsqu'on doit essuyer un revers qu'il est crucial de connaître ses forces et ses faiblesses. Cette connaissance nous permet de savoir quelles sont les menaces qui planent et les occasions qui se présentent à nous. Cette connaissance nous permet d'agir plutôt que de réagir », explique-t-il.

La situation pousse Isaac Instruments à miser sur un nouveau secteur, celui du transport et de la distribution de marchandises. Les entreprises québécoises comme Transport Robert et Transwest appréhendent une forte diminution de leurs volumes d'affaires à cause de la crise et veulent réduire leurs frais. Jacques De Larochellière saisit l'occasion. La technologie d'Isaac Instruments permettra d'améliorer la performance de leurs flottes de camions en déterminant les types de conduite les moins coûteux et les itinéraires les plus rentables. « Entre le pire et le meilleur des conducteurs, les coûts varient de 30 % », précise-t-il. Sans le savoir, la crise économique pousse l'entreprise à défricher un secteur qui représente actuellement 75 % de son chiffre d'affaires, évalué aujourd'hui à 10 millions.

L'ancien coureur automobile laisse tomber en riant : « Il faut oser. Et dans ce genre de situation, j'ai toujours préféré appuyer sur l'accélérateur que sur la pédale de frein. En ce sens, la course automobile et les affaires se ressemblent ».

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