Inventer au lieu de déprimer

Publié le 01/06/2009 à 00:00

Inventer au lieu de déprimer

Publié le 01/06/2009 à 00:00

Les récessions sont des périodes propices pour innover. Les idées nouvelles permettent aux entreprises de rester dans le coup une fois la reprise venue.

Qu'ont en commun la pomme de terre, la télévision et le Web ?

Tous trois sont apparus alors que personne ne les attendait, après une récession, une crise, voire une guerre mondiale. Ils ont occupé un créneau inexploité, s'harmonisant du coup à des changements de comportement des consommateurs.

La culture de la pomme de terre s'est répandue en Europe à la fin du 18e siècle, au moment où le marché des céréales connaissait une crise sans précédent. Antoine Parmentier cherchait une façon innovante de combler le manque de céréales, et ainsi, la pomme de terre est devenue un aliment de base.

La télévision a été développée au cours de la Deuxième Guerre mondiale et le nombre de postes récepteurs a explosé dans les foyers pendant les années 1950. Enfin, Internet a conquis en un temps record des masses de consommateurs, lors de la récession du début des années 1990.

Des idées innovantes, une période incertaine, une société en changement, des occasions à saisir... Une recette qui fait mouche, comme l'histoire récente le montre.

L'industrie automobile n'a plus jamais été la même après la crise pétrolière de 1973. Les Japonais ont rapidement compris où le marché se dirigeait, et ont construit des voitures plus petites et moins énergivores. Les Américains, non. Ils paient aujourd'hui leur aveuglement.

En plein éclatement de la bulle techno, alors qu'on ne donnait pas cher des entreprises qui oeuvraient dans ce secteur, Google et Apple ont continué d'investir des sommes colossales afin de développer de nouvelles idées. En 2003, Apple a pris le marché par surprise en lançant le iPod, devenu en quelques années objet iconique ; de son côté, Google a consolidé sa position de leader dans la conception de moteurs de recherche.

Innover en période de crise ou de récession, c'est profiter des moments creux pour tenter de voir et de comprendre la direction que prend la société, et avec elle, les consommateurs.

"Il est toujours important d'innover, mais c'est encore plus vrai en période de récession", dit Dave Caissy, directeur principal chez Zins Beauchesne et associés, une firme spécialisée en marketing, développement et innovation. L'entreprise qui en a les moyens doit profiter de ce contexte mouvant pour augmenter ses investissements en innovation. "Car qui dit changements dit occasions, nouvelles niches, nouveaux marchés. La force d'innover de l'entreprise déterminera si elle sortira de la récession en croissance ou en décroissance."

"Les Japonais nous ont montré la voie, et les Coréens, dans une moindre mesure", dit Mehran Ebrahimi, professeur au Département de management et technologie à l'École des sciences de la gestion (ESG) de l'UQAM. "Après la récession du début des années 1990, puis celle de 1996-1997, ils ont créé des produits innovants dans les domaines de l'automobile, de l'imagerie numérique et de l'informatique, parce qu'ils ont énormément investi en R-D."

Le réflexe naturel du gestionnaire pendant une récession en est un de repli, souligne Laurent Simon, professeur agrégé au Service de l'enseignement du management à HEC Montréal. Et le premier service à pâtir sera celui de la R-D, dont la valeur n'est pas toujours tangible. "Or, il faut faire l'inverse, dit-il : s'ouvrir, explorer tout en demeurant réaliste, regarder ailleurs, adopter un mode de pensée original et développer des alliances stratégiques. On garde l'oeil sur le tableau de bord, d'accord, mais il faut aussi surveiller la route."

Nul besoin d'une boule de cristal pour comprendre de quoi demain sera fait. Le souci de l'environnement, d'une alimentation saine ou de l'empreinte de chaque individu sur cette planète n'est pas près de disparaître. La surconsommation aura tendance à diminuer, et l'achat de biens plus durables à augmenter. "Il y a aussi des tendances démographiques lourdes, dit Laurent Simon. Les marchés axés sur la qualité de vie et les soins de santé se développeront inévitablement."Il ne faut pas oublier la montée des nouvelles générations ainsi que l'évolution sans cesse croissante des technologies de l'information, ajoute Dave Caissy. "Il n'y aura jamais eu autant d'occasions à saisir qu'après cette récession."

L'affaire du patron

Lorsqu'il pense à une entreprise innovante, Laurent Simon pense aussitôt au développeur de jeux vidéo Ubisoft qui, par ailleurs, est le sujet de sa thèse de doctorat.

"Ils ont toujours fait le choix du talent et celui d'aller de l'avant, dit-il. Ils connaissent une croissance constante."

Cédric Orvoine, directeur des communications chez Ubisoft Montréal, estime que l'innovation fait partie de l'ADN de l'entreprise. "Dans le jeu vidéo, on ne peut pas s'asseoir sur ses lauriers, dit-il, ralentissement économique ou pas. Nous avons réalisé d'importants investissements depuis trois ans, notamment pour développer une nouvelle technologie utilisée sur un de nos plus grands succès, Assassin's Creed (huit millions d'exemplaires vendus). Il faut améliorer constamment les produits, les faire évoluer."

Ubisoft est un des principaux développeurs de jeux compatibles avec la console Nintendo, cette entreprise japonaise qu'on avait enterrée trop vite il y a quelques années, à l'arrivée de Sony et de Microsoft. Ses dirigeants n'ont pourtant jamais jeté l'éponge et ont investi massivement dans la R-D, lançant la console Wii, un succès phénoménal. "Leur exploit a été de chercher à conquérir une toute nouvelle clientèle, soit les utilisateurs très occasionnels de jeux vidéo, notamment les femmes", explique Laurent Simon.

Une autre caractéristique fondamentale de l'entreprise innovante est sa capacité à prendre des risques. Ubisoft n'a jamais hésité à en prendre, dit Cédric Orvoine. Au lieu de développer des jeux à partir de personnages et d'histoires déjà bien établis (Harry Potter et consort), Ubisoft a fait le pari de développer ses propres personnages (par exemple, le Prince de Perse) et de créer des jeux différents nés de l'imagination de ses créateurs.

"Pour y parvenir, ajoute-t-il, il faut que la créativité et l'innovation fassent partie des valeurs de l'entreprise, comme chez Google où on a créé un environnement de travail qui encourage les idées nouvelles." Tous, du PDG au simple employé, sont engagés dans le processus.

Car les entreprises qui réalisent des projets innovants ont toujours à leur tête un dirigeant qui y croit fermement, dit Dave Caissy. "C'est essentiel pour développer une culture d'innovation. Car l'innovation est un investissement pour l'avenir. Pendant une récession ou une crise, les PME ont des problèmes à régler dans l'immédiat. Il faut donc croire à l'innovation."

Il cite Exfo, à Québec, un fournisseur d'équipement de test de fibre optique. "Quand Nortel s'est effondrée, Exfo a continué à maintenir un niveau de financement très élevé en R-D, et ce, malgré le fait qu'elle ait été cotée en Bourse et était donc vulnérable face aux pressions des actionnaires. Cela a été payant : aujourd'hui, les dirigeants rachètent leurs actions."

Toutes ces entreprises innovantes ont un autre point commun : elles se défont rarement de leur main-d'oeuvre.

En cette ère de suprématie des idées, comme l'a dit en substance le marketeur et conférencier vedette Seth Godin devant un parterre montréalais à la fin d'avril, celles-ci viennent essentiellement de la main-d'oeuvre.

C'est la première valeur de l'entreprise, dit Laurent Simon. "Et la pénurie de main-d'oeuvre durera bien au-delà de cette récession", dit-il.

"Supprimer un poste est un geste définitif, poursuit Dave Caissy. Le personnel qualifié ne retourne jamais dans une entreprise où il a été mis à pied. Et comme cela prend du temps avant qu'un employé en R-D commence à contribuer en idées, et ultimement, en création de valeur, sa perte est une perte sèche de connaissances, sans compter qu'il risque d'aller chez les concurrents."

Le piège du court terme

Il n'y a pas si longtemps, l'industrie pharmaceutique et l'industrie aéronautique étaient des modèles dans le domaine de l'innovation, investissant des sommes importantes en R-D.

Ce n'est plus le cas aujourd'hui, dit Mehran Ebrahimi qui, outre son poste de professeur à ESG-UQAM, est aussi directeur du Groupe d'études en management des entreprises de l'aéronautique.

Tout occupées à satisfaire l'appétit insatiable de leurs actionnaires, elles en ont oublié leur principale raison d'être, l'innovation, et risquent d'en pâtir à moyen terme.

"Au Canada, aujourd'hui, la tendance dominante dans la gestion des entreprises est financière : on évalue la contribution de chaque partie à la création de la valeur. Or, les services de R-D ne contribuent pas à la valeur immédiate. D'où les pressions lors des assemblées d'actionnaires."

Il prend pour exemple Air Canada : le peu de profits réalisé par cette société au cours des dernières années a été versé aux actionnaires. "Il ne restait plus rien pour innover."

Même chose pour l'industrie pharmaceutique : de 1991 à 2002, les entreprises oeuvrant dans ce secteur ont versé quatre fois plus d'argent en dividendes que dans le développement de nouveaux médicaments. "Or, cela prend entre 12 et 15 ans pour développer de nouvelles molécules. On évalue qu'une pharma doit en élaborer entre 2,3 et 2,4 par an pour survivre. En ce moment, nous en produisons entre 1,2 et 1,3. Et 75 % des médicaments mis sur le marché sont d'anciens produits qui bénéficient d'une deuxième vie dans le traitement d'autres maladies. Il n'y a pas de médicaments vedettes dans le pipeline. Nous fonctionnons selon la logique du profit. Ce n'est pas viable."

Montréal est la troisième ville du monde en aéronautique. "Or, entend-on parler d'innovation dans ce secteur ? Développe-t-on les avions verts, qui sont l'avenir ? Quand on examine l'ensemble des budgets de recherche, c'est faible. Et cela prend sept ans pour développer un avion. Nous pratiquons la logique du très court terme." Pas celle de l'innovation.

martine.turenne@transcontinental.ca

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