Sans tambour ni trompette, Guitares Godin a chambardé sa chaîne logistique pour être plus efficace et accroître ses ventes en Europe. Dans 15 pays européens, le manufacturier québécois vend désormais directement ses instruments de musique aux détaillants sans passer par des distributeurs. Une stratégie inspirée du géant Apple qui donne de bons résultats.

«Nos ventes augmentent en moyenne de 10 % par année dans le monde. Or, en Europe, elles progresseront beaucoup plus vite grâce à cette stratégie», dit Robert Godin, qui a créé l'entreprise en 1972 et la dirige maintenant avec ses fils Patrick et Simon.

Une bonne performance, étant donné que le marché européen des instruments de musique est stable, voire en contraction dans certains pays, selon Euromonitor. «Nous prenons des parts de marché à nos concurrents», précise Robert Godin.

Godin vend 200 000 guitares par année dans 65 pays. Ses instruments sont fabriqués au Québec et au New Hampshire. Ses concurrents sont des géants comme Fender, qui affiche des revenus de 700 millions de dollars américains. Godin ne divulgue pas les siens, mais ils seraient supérieurs à 70 M$ US, selon la firme d'analyse Hoovers. La PME emploie près de 700 personnes.

Godin a déployé cette nouvelle stratégie en Europe en septembre 2012. Une approche qui est en fait la recette à l'origine de son succès au Canada et aux États-Unis, selon Robert Godin. Les ingrédients ? Des vendeurs qui rencontrent régulièrement les détaillants pour leur montrer les nouveaux modèles, et qui savent jouer de la guitare - un critère d'embauche pour ces postes.

«Nos agents européens visitent pratiquement chaque jour les marchands dans une quinzaine de pays d'Europe, dont la France, l'Allemagne et l'Italie, pour leur montrer nos nouveaux produits et leur qualité sonore», explique le président.

Cette présence sur le terrain permet de diversifier l'offre dans chaque magasin (Godin offre 350 modèles) et de s'assurer de leur bon positionnement en magasin. Les guitares de Godin, dont une sur cinq est achetée par des musiciens professionnels, se vendent de 300 à 3 000 $ l'unité.

Fermeture du centre européen de distribution

Dans la foulée de sa nouvelle stratégie, Godin a fermé son centre européen de distribution, situé aux Pays-Bas. Le manufacturier exporte désormais directement ses guitares aux détaillants. Par contre, dans ses 48 autres marchés, l'entreprise continue d'expédier ses produits aux distributeurs.

La complexité de ces marchés et les différences culturelles, comme en Amérique latine, font en sorte qu'il est plus difficile d'y faire des ventes directes.

Yan Cimon, spécialiste en stratégie d'entreprise à l'Université Laval, salue la nouvelle stratégie européenne de Guitares Godin. «Qui de mieux que l'entreprise pour être le porte-parole parfait de ses produits ?» Outre Apple, le fabricant de machines à café Nespresso fait aussi de la commercialisation directe.

Cette stratégie n'est toutefois pas sans inconvénient, souligne M. Cimon. «C'est plus difficile. Cela nécessite plus de temps. Il faut remplir la paperasse, sans compter la représentation sur le terrain.»

Un virage stratégique complexe

Ce changement de stratégie n'a pas été facile, admet Robert Godin. «Pour nous, ça a été tout un chambardement !» Par exemple, au lieu d'administrer un compte client par pays européen, le manufacturier de guitares en gère désormais des dizaines par pays. Pas une mince affaire, quand on sait que Godin gère des comptes clients allant de 30 à 60 jours.

De plus, comme Godin exporte directement ses guitares aux détaillants, l'entreprise a dû négocier de nouveaux contrats de logistique avec la société d'expédition DHL. «Il a fallu leur garantir des volumes», dit Robert Godin. En Amérique du Nord, DHL et UPS sont déjà parmi ses expéditeurs.

L'entreprise y a gagné en efficacité. Par exemple, si un consommateur de Berlin veut acheter une guitare qu'il a vue sur Internet mais qui n'est pas offerte en magasin, le commerçant peut la commander et se la faire livrer en moins de trois jours. «Avant, on aurait sans doute perdu ce client», souligne M. Godin.

Les commandes importantes (par exemple, un lot de 1 000 guitares) sont livrées par bateau. Ce qui prend plus que trois jours.

1972 Guitares Godin a été fondée en 1972.

200 000 L'entreprise fabrique plus de 200 000 guitares par année.

6 L'entreprise exploite six usines, dont cinq au Québec : La Patrie (deux), Princeville (deux) et Richmond (une). La sixième est située aux États-Unis, à Berlin (New Hampshire).

65 Les produits de l'entreprise sont vendus dans 65 pays.

DES CLIENTS RÉPUTÉS

Entre autres artistes, Win Butler, d'Arcade Fire, Leonard Cohen et Roger Waters, ex-Pink Floyd, utilisent des instruments de Godin.

GUITARES GODIN FABRIQUE...

350 modèles de guitares (classiques, acoustiques, électriques, basses électriques) et des ouds.

Source : Guitares Godin

LES ENJEUX DE GUITARES GODIN

LE RISQUE

Fabriquer les mauvaises guitares

«Notre seul risque d'affaires est de fabriquer des guitares qui ne répondent pas à la demande», dit Robert Godin. Pour réduire ce risque, l'entrepreneur et ses employés voyagent souvent à la rencontre de musiciens afin de comprendre leurs attentes (son, design, etc.). M. Godin donne aussi des séminaires, par exemple au Berklee College of Music, une école réputée de Boston. «J'y donne un atelier sur les meilleures techniques pour améliorer le son d'une guitare», dit l'entrepreneur. Une activité qui lui permet de jauger les attentes de la prochaine génération de guitaristes.

LE DÉFI

Continuer à susciter l'intérêt chez les jeunes

Godin n'est pas seulement en concurrence avec d'autres manufacturiers de guitares. La PME l'est aussi avec les loisirs liés à la technologie (jeux vidéo, réseaux sociaux, etc.). Des activités où les résultats sont immédiats. Rien à voir avec le temps requis pour apprendre à jouer de la guitare. «Ça demande tout un investissement en temps», souligne M. Godin. Des jeux comme Guitar Hero peuvent aussi inciter des adolescents à acheter une vraie guitare, selon l'entrepreneur.

LE CONSEIL

Bien cibler son marché

Pour réussir à l'international, Robert Godin affirme qu'il faut bien comprendre qui achète nos produits. «Il faut être certain de plaire à qui on veut vendre», dit-il, en précisant que la marque doit «être forte».

+ 13 % De janvier à novembre 2012, les ventes d'instruments de musique en Chine ont bondi de 13 %, soit plus rapidement que le PIB chinois (+ 7,8 % en 2012). Source : Musikmesse

Dans cette série, nous décodons la stratégie internationale d'une entreprise canadienne et analysons ses risques.

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