Françoise-Hélène Jourda, Architecte et Militante

Publié le 28/09/2013 à 00:00, mis à jour le 26/09/2013 à 09:49

Françoise-Hélène Jourda, Architecte et Militante

Publié le 28/09/2013 à 00:00, mis à jour le 26/09/2013 à 09:49

C'est l'égérie européenne de l'architecture écoresponsable. Couronnée d'une vingtaine de prix, la Française Françoise-Hélène Jourda milite depuis 30 ans pour une architecture qui bâtit aujourd'hui en pensant à demain. Elle croit aux constructions en bois et estime que c'est en rénovant les bâtiments existants qu'on aura la plus grande portée écologique.

Diane Bérard - Après 30 ans de militantisme architectural, y a-t-il encore des choses qui vous découragent ?

Françoise-hélène jourda - Oh oui ! Tout cet argent gaspillé en construction qui devrait aller à la rénovation. Les bâtiments existants consomment trop d'énergie et produisent trop de gaz carbonique. Et puis toujours cette obsession de construire en béton et en métal ! (soupir)

D.B. - Avons-nous atteint la fin des projets pharaoniques ?

F.-H.J. - J'en doute. La crise a peut-être réduit momentanément les investissements. Mais, comme le pdg et le politicien, l'architecte veut «laisser sa marque». On lui dit, et il se dit, qu'il faut que les bâtiments durent. Qu'ils aient la qualité d'être classés monuments historiques.

D.B. - On reconnaît le rôle esthétique de l'architecture. Vous lui faites porter une responsabilité bien plus importante...

F.-H.J. - La construction consomme 40 % des ressources de la planète et elle est responsable d'à peu près 40 % des émissions de gaz à effet de serre. On ne peut pas limiter le rôle des architectes à l'esthétique. Ils ont une écoresponsabilité.

D.B. - Qu'est-ce que l'architecture responsable ?

F.-H.J. - Celle qui essaie de réduire au minimum son impact sur les générations futures. Elle construit des bâtiments qui permettent aux générations futures d'avoir à leur disposition les mêmes ressources que celles que nous avons aujourd'hui. Il s'agit d'une révolution culturelle bien avant une révolution technologique. Il faut repenser notre métier, mais aussi le revaloriser. Ne plus être seulement l'esthète, celui qui bâtit une jolie façade ou un joli balcon. Devenir celui qui va repenser les espaces de vie. Cela nous donne une très grande responsabilité et nous oblige à abandonner une partie de notre ego.

D.B. - L'architecture responsable ne doit pas être durable. Pourquoi ?

F.-H.J. - L'architecture responsable n'est pas celle qui dure, mais celle qui permet un développement durable. Un bâtiment doit disparaître pour ne pas encombrer la planète. On doit prévoir sa démolition dès le moment de sa construction. Il doit être démoli pour laisser place aux besoins des générations futures. Il est impossible de prévoir les besoins de ceux qui nous suivront. Dans 30 ans, un immeuble de bureaux sera peut-être plus utile s'il est transformé en espace vert ou en coop de logement. Les utilisateurs d'un bâtiment devraient pouvoir choisir s'ils désirent le conserver ou le démolir. Paris est rempli d'immeubles «durables» dont on ne peut rien faire.

D.B. - Vous évoquez le concept de «réversibilité». De quoi s'agit-il ?

F.-H.J. - Tout ce qui est construit aujourd'hui doit pouvoir être défait demain.

D.B. - Autant de démolition créera beaucoup de pollution, non ?

F.-H.J. - Si vous construisez en béton et en acier, certes. Mais pas si vous construisez en bois. Ce matériau a tous les avantages. Il est renouvelable, s'il provient de forêts bien gérées évidemment. On peut donc l'utiliser sans en priver les générations futures. Et puis, le bois massif brûle très lentement en se recouvrant d'une couche de carbone. Ainsi, le coeur du bâtiment n'est pas atteint, ce qui empêche l'immeuble de s'écrouler, comme c'est le cas d'une construction en acier. Enfin, construire en bois fait appel au savoir-faire de métiers oubliés. Sans compter qu'on peut préfabriquer des constructions en bois en atelier puis les livrer n'importe où à des coûts bien plus faibles que si elles étaient en béton.

D.B. - Comment transformer nos manières de construire ?

F.-H.J. - Architectes et ingénieurs doivent collaborer plus étroitement. Pour l'instant, l'architecte dessine et l'ingénieur réalise. Nos immeubles seraient mieux conçus et économiseraient plus d'espace si nous cherchions des solutions ensemble. Travailler l'un après l'autre ajoute des couches de construction inutiles.

D.B. - Et nos manières de vivre dans le bâtiment...

F.-H.J. - Il faut vivre davantage ensemble. Revoir l'utilisation de l'espace, prévoir des parties communes : le jardin, la laverie, peut-être une chambre d'amis et une salle de réception à partager. On gagne de la superficie et de la valeur sociale.

D.B. - À quoi ressemble le logement idéal ?

F.-H.J. - Il n'existe pas de maison idyllique. Il n'existe que de l'habitat conçu à un moment donné pour une famille, un client, un locataire dans un emplacement donné, dans des conditions données. Il faut renoncer à l'idée d'un produit magique. Chaque fois, il faut tout repenser.

D.B. - Parlons des villes. L'architecture et le design y sont étroitement liés. Est-ce que leur évolution vous console ou vous désole ?

F.-H.J. - Paris me désole. Prenez le projet du plateau de Saclay. À 20 km de Paris, on veut créer une Silicon Valley française : grandes écoles, université, organismes de recherche, entreprises... Une sorte de ghetto de surdoués de l'éducation. La ville doit se construire sur la ville, pas à côté de celle-ci. Misons sur la mixité des constructions, des usages et des populations.

D.B. - Vous n'êtes pas une fan de l'étalement géographique...

F.-H.J. - Je crois au concept de la densification. La densité économise l'espace. Elle laisse la place aux espaces verts et à l'agriculture.

D.B. - Vous êtes entrepreneure et consultante en urbanisme, mais aussi professeure. Pourquoi enseignez-vous ?

F.-H.J. - Cela me force à adopter des positionnements très clairs face à l'architecture. Les étudiants se montrent très critiques. Ils vous poussent dans vos derniers retranchements. Vous êtes forcé de construire un discours articulé. Cela m'aide considérablement dans ma pratique professionnelle.

D.B. - L'architecture responsable peut-elle devenir un outil de développement économique ?

F.-H.J. - Elle est certainement créatrice d'emplois, puisqu'elle suppose la transformation-destruction des bâtiments.

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