Force d'attraction

Publié le 20/10/2012 à 00:00

Force d'attraction

Publié le 20/10/2012 à 00:00

Dénicher et retenir les meilleurs talents, c'est un défi pour toutes les entreprises, mais plus particulièrement pour les PME, qui sont incapables de concurrencer les grandes sociétés sur le terrain des conditions de travail. La tâche n'est pas insurmontable.

Un tantinet espiègle, Pascale Pageau s'en amuse : «Les vacances ? C'est pitoyable pour l'entreprise, mais formidable pour nos travailleurs : elles sont illimitées !» Quand elle a bâti son affaire en 2005, la présidente du cabinet d'avocats montréalais Delegatus n'a pas lésiné sur les bonnes conditions de travail. «L'idée première venait d'un besoin de conciliation travail-famille», explique cette mère de quatre jeunes enfants. La structure, atypique dans le monde traditionnel du droit, répondait au besoin de «créer une atmosphère plus axée sur la créativité, la flexibilité et l'innovation.» L'avocate ne s'est pas trompée. Ce sont là trois ingrédients essentiels à toute PME en quête de personnel qualifié et fidèle.

Installée à l'avant-dernier étage d'un immeuble victorien de l'avenue McGill College, la firme a laissé de côté l'aspect tape-à-l'oeil des grands cabinets d'avocats. Objectif : économiser sur le coût des opérations. L'aire de travail ouverte réduit les exigences en superficie et favorise les discussions constructives. Autre économie, et non des moindres : les professionnels savent utiliser un ordinateur, l'assistance d'une adjointe est superflue. «Le rayonnement de notre entreprise vient de la qualité des services rendus, pas de leur emballage.» Et c'est précisément cette stratégie qui permet à la firme d'attirer une main-d'oeuvre hautement qualifiée. Ses avocats ont un statut de travailleur autonome, assorti d'une entente d'exclusivité. Dès lors que le service est optimal, il importe peu de savoir où, quand et en combien de temps le travail a été fait : l'autodétermination règne. En créant un environnement et des conditions de travail sains, le cabinet s'est forgé une réputation telle qu'aujourd'hui, les candidats se bousculent au portillon. «Les grands bureaux forment les juniors à merveille, nous les récupérons après quelques années, quand ils constatent qu'ils n'ont pas de vie. C'est une mine d'or pour nous !» affirme Pascale Pageau.

Faut-il aller jusqu'à offrir des vacances illimitées pour dénicher des talents ? La main-d'oeuvre représente un véritable enjeu de concurrence entre PME. Et pas des moindres : Emploi-Québec prévoit que 1,4 million d'emplois seront à pourvoir d'ici 2020, tous secteurs confondus. Un quart pour répondre à la croissance de l'emploi, trois quarts pour relever les troupes parties à la retraite. Si 97 % des emplois qui seront créés d'ici 2020 se rapportent au secteur des services, les autres domaines ne sont pas moins concernés par le défi de la main-d'oeuvre. Dans son baromètre annuel, Sous-traitance industrielle Québec (STIQ) avance que 71 % des fabricants interrogés en 2011 avaient des problèmes de recrutement. C'est 19 % de plus qu'en 2009. Ce même sondage souligne les difficultés qu'il y a à retenir le personnel chez 52 % des répondants, un bond de 12 % en deux ans. Le directeur du développement des affaires de STIQ, Richard Blanchet, rappelle l'impact du manque de main-d'oeuvre. «Refus de contrats, incapacité à produire... j'ai déjà entendu des entreprises dire que si elles ne parvenaient pas à recruter, elles ne pourraient ni servir leurs clients ni innover.»

Pas facile pour les PME d'égaler les conditions des grandes entreprises ou de la fonction publique. La Régie des rentes du Québec estimait en 2010 que les secteurs publics et parapublics couvraient 95 % de leurs travailleurs en matière de régime de retraite. Au privé, ce chiffre chute à 34 % et concerne surtout les grandes entreprises. Si l'on comprend les REER collectifs, seulement le quart des PME offre un régime de retraite. Les disparités règnent aussi en ce qui a trait aux salaires. En 2011, un agent d'administration touchait en moyenne 40 631 dollars s'il travaillait dans une PME de 200 à 499 employés, par rapport à 50 264 dollars dans le secteur public. Pour un conducteur d'équipements lourds, le fossé se creuse, de 40 919 dollars à 48 950 dollars, et pour un directeur marketing, de 86 469 dollars à 96 691 dollars. À ces chiffres d'Emploi-Québec, Statistique Canada ajoute que le salaire hebdomadaire moyen dans les PME québécoises augmente avec la taille de l'entreprise : en 2011, il était de 663,20 dollars dans les PME qui comptent jusqu'à 49 employés, de 749,38 dollars dans celles de 50 à 299 employés, et de 923,57 dollars dans celles 300 à 499 employés. Les plus petits doivent donc miser sur autre chose.

«Presque tous les secteurs sont touchés», estime Diane-Gabrielle Tremblay, directrice de l'Alliance de recherche université communauté sur la Gestion des âges et des temps sociaux (ARUC-GATS). La méconnaissance des employeurs en matière de solutions facilement applicables et peu coûteuses est à blâmer, selon la coauteure d'une recherche sur les moyens d'attraction et de rétention de la main-d'oeuvre. «Certains ne se donnent simplement pas le temps ni les moyens d'y réfléchir», observe-t-elle. Chantal Belleau, agente de développement à la Conférence régionale des élus de l'Outaouais, abonde dans ce sens. «Les employés disent que ce qui les retient n'est pas le salaire, mais la qualité de vie au travail. Les employeurs disent que la main-d'oeuvre part à cause du salaire. Il y a donc un malentendu fondamental entre les deux. Les employeurs se trompent en pensant que tout ce qu'il leur reste à faire, c'est augmenter le salaire.»

L'argent ne fait pas le bonheur

En tête de liste des bonnes pratiques, donc, la souplesse. Certes, toute tâche doit être rémunérée à sa juste valeur. Cependant, les employeurs, les experts et les employés interrogés sont unanimes : l'argent ne fait pas le bonheur.

Dès l'élaboration de son plan d'affaires, le cofondateur de Frima Studio, Steve Couture, avait pour objectif de faire de l'entreprise «le lieu de travail le plus "le fun" du monde». Lorsque deux géants du jeu vidéo s'installent à Québec deux ans plus tard, c'est la panique. «L'un d'entre eux arborait une bannière "Nous recrutons" qui devait valoir à elle seule plus que notre loyer de l'époque ! J'avais l'impression qu'ils cherchaient à recruter mes employés ! Nous avons pensé augmenter les salaires, puis nous nous sommes dit que nous perdrions cette guerre de surenchère, que ce serait David contre Goliath. Nous avons plutôt développé des stratégies créatrices.» Au menu : paniers de fruits frais quotidiens, aires de jeux et de détente, passes d'autobus, systèmes de points cumulés à la performance échangeables contre des services en tout genre, cinq jours de congé maladie payables si non utilisés, trois semaines de vacances... À ces programmes s'ajoutent la conciliation travail-famille grâce aux horaires flexibles, mais aussi l'engagement et la consultation. Le volet Frimagination permet aux employés de proposer un projet aux décideurs. S'il est retenu, l'employé peut dégager du temps pour le réaliser. Si le projet est commercialisé, l'employé touchera des redevances sur le produit final. «Cette idée nous est venue pendant que nous nous demandions ce que nous pouvions offrir à nos employés que des géants ne pourraient pas leur proposer. Dans une grande organisation, ce genre de latitude est difficile à obtenir.»

Que vaudraient la flexibilité et l'incitation à s'engager sans un environnement de travail agréable ? La qualité de vie à l'emploi est un des éléments les plus recherchés par les employés. Chacun des 65 membres du personnel d'APN, une entreprise manufacturière de Québec qui fabrique des pièces de haute technologie pour les secteurs de l'aviation et de la Défense, peut voir la lumière du jour depuis son poste de travail. Les fenêtres comptent pour 60 % de la surface extérieure de l'immeuble. On y accorde une importance considérable à la propreté, et l'usine a été délibérément bâtie dans un boisé. «Nous avons parié sur l'investissement dans l'environnement de travail», explique le vice-président Yves Proteau. Le secteur d'activité n'étant pas des plus populaires auprès des jeunes, l'entreprise a compris qu'elle devrait se démarquer. Même approche chez CPM Solutions Mécaniques Avancées, une entreprise située à Châteauguay. Pour attirer une main-d'oeuvre qui se raréfie, les deux PME soignent leurs relations avec les écoles techniques, les cégeps et les universités, afin de se donner une bonne visibilité. Le fait de se faire connaître des établissements de formation et d'engager des stagiaires permet d'avoir accès à un bassin d'employés potentiels, pense Yves Proteau. CMP organise des visites industrielles pour les écoles et laisse à ses employés le soin de présenter eux-mêmes leur travail. Toujours chez CMP, la consultation du personnel a été une des clés qui a permis de trouver des méthodes de rétention. Machinerie et équipements à la fine pointe de la technologie, programme de génération d'idées associé à un système de récompenses qui favorise l'engagement et le sentiment d'appartenance, installation de sièges ergonomiques : autant de mesures qui découlent de souhaits exprimés par les employés et considérés par la direction. Comprendre les attentes et les besoins a aussi mené à une bonification de la politique de santé et sécurité au travail (SST). Tout le monde y gagne : les blessures sont moins fréquentes, ce qui représente une économie de 30 % en frais d'assurance, et une gestion allégée des congés de maladie pour la direction. Question de logique, selon Michel Labrecque, vice-président aux ressources humaines. «Qui voudrait rester dans une entreprise s'il n'y est pas bien traité ?»

Capital humain

Chez InterSources, une équipe de psychologues du travail et de conseillers en développement organisationnel, Josée Blondin a bâti ses affaires autour des enjeux de rétention et d'attraction de la main-d'oeuvre. La dirigeante prodigue ses conseils aux PME en mal de ressources qualifiées et fidèles. Le capital humain est pour elle la première richesse d'une entreprise. «On ne peut pas penser uniquement à la production. Ce qui est à la base de nos PME, ce sont les individus qui les composent. Si une entreprise ne se démarque pas par son capital humain, c'est celle d'à côté qui prendra le marché.» Une fois additionnés, les frais afférents au départ d'un employé peuvent atteindre jusqu'à six fois son salaire, estime Josée Blondin. Investir dans le capital humain est donc à long terme une stratégie rentable pour l'entreprise.

Annie Maurice, de Pixi Studio, l'a parfaitement compris. «La qualité et le talent des gens que nous parvenons à recruter sont nos plus grandes ressources», explique-t-elle. Face à la concurrence féroce des géants montréalais de l'animation 3D, la PME a mis l'accent sur le concept d'«employeur de choix», autrement dit, sur des conditions de travail optimales. Inévitables horaires souples, mais aussi, engagement dans la planification stratégique, le programme de commissions, la formation continue, l'assurance collective... Avec pour effet de combler autant Alain Blanchette, père de famille, qu'Émélie Simard, qui n'a pas d'enfant. Le premier arrive au bureau à 5 h 30, sa collègue, le soir. Alain bénéficie par ailleurs d'un horaire aménagé qui lui permet d'enseigner, Émélie se voit confier des responsabilités administratives. «Nous, nous gérons l'entreprise, mais eux, ils y travaillent, dit Annie Maurice. Nous essayons donc de toucher à ce qui est motivant pour tous.» Un salaire plus élevé pourrait-il les débaucher ? «Non, assure Émélie Simard, j'ai ici des avantages dont je ne bénéficierais pas dans un grand studio.»

En effet, David l'a emporté sur Goliath. L'atout d'une PME réside dans la souplesse que lui confère sa taille. Et la réussite de cette approche commence dès l'embauche. Julie Hubert dirige un verger et emploie 130 personnes au plus fort de la période de la cueillette des pommes. «On se trompe quand on engage trop vite. C'est plus payant de prendre le temps d'embaucher correctement. Il faut aussi tester le savoir-être des candidats. Une tâche, ça peut s'apprendre. Une bonne attitude, c'est plus difficile.» Mission, vision et valeurs de l'entreprise : trois sphères qui, si elles sont clairement définies, aideront les recruteurs à trouver le personnel qui restera. Non sans investir les moyens nécessaires, toutefois, affirme Steve Couture. Pendant qu'il élaborait sa politique de ressources humaines, il ne se consacrait pas au développement d'affaires. Aujourd'hui, avec un taux de roulement fortement diminué - tout comme chez les autres entreprises citées - il sait qu'il en ressort gagnant.

27 %

C'est le pourcentage de la main-d'oeuvre actuellement à l'emploi qu'il faudra remplacer d'ici 2020.

1/3

des employés des domaines de la finance, de l'assurance, de l'administration, de la transformation, de la fabrication et des services publics quitteront le marché du travail d'ici 2020.

12,3 %

Taux d'activité anticipé pour 2020 des personnes de 65 ans et plus. En 2000, il était de 3,3 %, en 2011 de 8,7 %. En 2020, quelque 100 000 emplois de plus qu'en 2010 seront occupés par des boomers.

54 %

des emplois à pourvoir entre 2011 et 2020 seront occupés par des jeunes de 34 ans et moins.

17 %

Pourcentage de la main-d'oeuvre issue de populations immigrantes entre 2011 et 2020.

97 %

des 316 000 emplois qui seront créés d'ici 2020 le seront dans le secteur des services.

Source : «Le marché du travail au Québec, perspectives à long terme 2011-2020», Direction de l'analyse et de l'information sur le marché du travail d'Emploi-Québec, septembre 2011

JOUEZ VOS MEILLEURES CARTES

Vous ne pouvez concurrencer ni les salaires des grandes entreprises, ni les régimes de retraite de la fonction publique ? Qu'à cela ne tienne, les stratégies gagnantes sont ailleurs :

Vendez-vous

Dès l'offre d'emploi, mettez en avant vos atouts.

Travaillez votre souplesse

La flexibilité est votre avantage numéro un.

Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fasse

Pensez à ce qui vous motive, et offrez-en autant à vos employés.

Jouez gagnant-gagnant

Formez vos employés et permettez-leur de s'épanouir professionnellement.

Dites-le avec des fleurs

On omet trop souvent de souligner les bons coups.

Soignez l'embauche

Assurez-vous que vos recrues correspondent aux valeurs de l'entreprise .

Soyez présent

Rendez-vous dans les centres de formation et aux événements reliés à votre secteur d'activité.

Soyez généreux, vos employés vous le rendront

La participation aux bénéfices séduit beaucoup.

Consultez

Au besoin, faites appel à des experts en ressources humaines.

Innovez

Soyez créatifs, sondez vos employés afin de cerner leurs attentes.

Individualisez les stratégies

La génération Y revendique «la vie avant le travail». Offrez-lui des avantages adaptés à ses aspirations.

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