Discussion autour du design

Publié le 28/09/2013 à 00:00, mis à jour le 26/09/2013 à 09:55

Discussion autour du design

Publié le 28/09/2013 à 00:00, mis à jour le 26/09/2013 à 09:55

Ils viennent d'horizons variés, mais ont tous un point en commun : ils adorent le design. Et pas que le romantique, celui qui fait rêver. Ils s'intéressent au design pour ce qu'il peut apporter aux clients, aux citoyens, à la société. Bref, ils le voient comme un outil indispensable pour améliorer nos vies.

Le 5 septembre, Les Affaires organisait une table ronde sur le design. Nous avions lancé plusieurs invitations, conscients des agendas chargés de ceux que nous souhaitions entendre. Leurs réponses rapides et enthousiastes nous ont plus que surpris ! Clairement, la place du design au Québec les préoccupe.

Ça se sentait d'ailleurs pendant les trois heures de la rencontre. Les discussions ont été animées, même enflammées parfois. Les participants ont bien sûr énuméré ce qui cloche, mais surtout, ils ont suggéré des pistes afin que le design puisse contribuer pleinement à l'essor du Québec.

Pour briser la glace, la première question semblait assez simple : sommes-nous assez audacieux au Québec ? Les réponses ont fusé... bien différentes de celles qu'on attendait. «L'audace réfère à une vision romantique du design, dit Michel Lauzon, associé chez Lemay. C'est un bon ingrédient, mais ce n'est pas une condition sine qua non pour un design de qualité.» La créativité, la valeur, l'innovation et la fonctionnalité, par contre, le sont.

Claude Beaulac, directeur général de l'Ordre des urbanistes du Québec, définit d'ailleurs un bon design comme étant celui qui répond pleinement aux besoins définis. C'est vrai pour les villes, mais aussi pour les infrastructures, les lieux de travail et les produits. «La qualité du design passe par de meilleurs processus, qui doivent faire converger l'intérêt de tous les intervenants», dit-il.

Ce n'est pas le talent créatif qui manque au Québec, tous les participants à la table ronde s'entendent là-dessus. Le problème se situe plutôt du côté de ceux qui passent les commandes.

«Ce n'est pas jojo !» s'exclame l'architecte paysagiste Claude Cormier, qui a entre autres aménagé la plage de l'Horloge et le square Dorchester, à Montréal. «Il y a bien un projet de qualité par-ci par-là, mais c'est très peu relativement à la quantité des projets qui se font au Québec», dit celui qui a réalisé plusieurs mandats d'envergure à Toronto ces dernières années. Les créateurs québécois sont capables d'être audacieux, juge-t-il, mais ils sont bloqués par la loi du plus bas soumissionnaire. Cette loi amène à construire de «manière pauvre» des infrastructures avec lesquelles les Québécois devront vivre pendant 50, voire 100 ans, en plus d'être «en train de tuer une industrie».

Charles-Mathieu Brunelle aussi est préoccupé. Lui qui a piloté la construction de la TOHU et celle du nouveau Planétarium croit que les prétentions de Montréal comme ville de design sont justement... des prétentions. «Il faut se relever les manches, et ça presse !» En supposant que Montréal soit réellement une ville créative, ça devrait paraître beaucoup plus. «Si on continue de construire du banal, on aura un développement économique banal», dit le patron de l'Espace pour la vie (Jardin botanique, Insectarium, Biodôme et Planétarium).

Même Marie-Josée Lacroix, qui a pourtant travaillé à la désignation de Montréal comme ville UNESCO de design, est d'accord avec lui. «Une ville design, ça doit se voir, se vivre, se sentir. Montréal est une ville de designers, mais ce n'est pas encore une ville de design», dit la commissaire au design et chef d'équipe au Bureau du design de la Ville de Montréal. À ses yeux, la désignation de ville de design n'est pas un couronnement, mais plutôt «une invitation à participer à un projet collectif».

Cette aspiration devrait être celle de tout le Québec. En effet, ce n'est pas parce qu'un projet se réalise à Sept-Îles qu'il doit être moins intéressant qu'à Montréal.

«Le gouvernement doit être exemplaire dans ses critères et ses bâtiments.»

- Nathalie Dion

Tous autour de la table s'entendent : le secteur public peut et doit jouer un rôle majeur dans l'amélioration du design au Québec. Le fédéral, le provincial et les municipalités peuvent à la fois créer un effet d'entraînement et imposer des exigences plus élevées.

Ce qui demande du courage... plutôt rare par les temps qui courent. «De peur de déplaire, les élus ne prennent pas de décisions», dit Mario Gagnon, président de l'Association des designers industriels du Québec (ADIQ). Le Québec a grandement besoin d'un fil conducteur en matière de design, mais cela nécessite une volonté politique. «C'est ça qu'on n'a pas aujourd'hui.»

Hélène Godin, associée chez Sid Lee, abonde dans le même sens : les beaux et grands projets demandent de l'argent, de la vision, un processus de concours et un pouvoir politique. «Les projets grandioses sont des gestes politiques portés par une vision», résume-t-elle.

Une municipalité québécoise se démarque-t-elle quant au design ? «On devrait envoyer des fleurs à la Ville de Québec», répond spontanément Charles-Mathieu Brunelle. «Tant en terme d'aménagement que d'animation, ajoute-t-il, il se passe quelque chose à Québec.» Autour de la table, tous hochent la tête.

Nathalie Bondil est d'accord, mais nuance : «Québec est la capitale nationale, en plus d'avoir un vrai leadership municipal. C'est pareil pour Toronto, d'ailleurs. On ferait aussi bien [à Montréal] si on avait les mêmes atouts.» Il faut donc éviter de se flageller, sans pour autant baisser les bras.

Une autre municipalité pourrait se démarquer par la force des choses très bientôt. Lac-Mégantic doit en effet revoir son aménagement. «Ce sera un fichu exemple de reconstruction», dit Mario Gagnon, qui espère que les décideurs sauront transformer le plus possible cette catastrophe en occasion.

«Si on dit qu'on ne peut pas faire n'importe quoi dans l'exploitation des ressources, ça devrait être la même chose dans le bâti.»

- Charles-Mathieu Brunelle

Trop d'occasions de développement ont été ratées et trop de promoteurs ont construit librement des aberrations ces dernières années, estiment nos panélistes. Pour redresser la barre, ils suggèrent la mise en place d'une politique nationale de l'architecture et de l'aménagement du territoire. «Déjà 16 pays en ont une, dont la France et l'Angleterre», fait valoir Nathalie Dion, présidente de l'Ordre des architectes.

Actuellement, chaque ministère aborde les questions de design à sa façon, avec des résultats très inégaux. «Une politique nationale amènerait une réflexion globale plutôt qu'en vase clos.»

Ce serait l'occasion rêvée pour amener les citoyens à s'interroger sur l'environnement dans lequel ils souhaitent vivre dans le futur. Comment veulent-ils se déplacer ? Quelle place souhaitent-ils faire à l'environnement ?

Selon Hélène Godin, cette «quête de l'identité» serait un excellent point de départ pour amorcer des transformations majeures. «C'est la clé pour pouvoir exprimer une audace dans laquelle les gens vont réellement vivre.» Un peu comme l'a fait Bordeaux en transformant les modes de déplacement sur son territoire. «C'est beaucoup plus que du transport : c'est un geste identitaire fort.»

Pour Charles-Mathieu Brunelle, il est grand temps de «convaincre les gens de construire la ville de l'avenir». Il rêve de voir les Québécois hausser leurs exigences. «La qualité de vie et les impacts environnementaux devraient faire partie intrinsèque de tout ce qu'on fait. On devrait l'imposer, tout simplement.»

«C'est comme du bon vin : à force d'en goûter, on ne veut plus de piquette.»

- Claude Beaulac

Le design est d'abord et avant tout une question de culture générale. Tout le monde peut comprendre, à condition qu'on lui explique. «Le public est très réceptif à la valeur ajoutée du design», juge Michel Lauzon. Encore faut-il, toutefois, documenter cette plus-value. «Il faut sortir des termes flous et quantifier les retombées.» Avec ces informations en main, les gens verront très bien si un projet a un impact positif sur leur vie.

Véronique Rioux aimerait que la sensibilisation aille encore plus loin. «La culture du design devrait s'inculquer à l'école», estime cette consultante en design industriel. «On pourrait parler des bons projets, comme le Quartier international et le Quartier des spectacles, et expliquer ce qu'ils apportent.»

Börkur Bergmann, directeur du Centre de design de l'UQAM, croit lui aussi que le design devrait être abordé au primaire et au secondaire. «Ça ferait comme l'écologie et le tabac : les enfants reviendraient avec ça à la maison.»

Pour Félix-Antoine Joli-Coeur, l'éducation passe effectivement par la célébration des bons coups... mais aussi par l'acceptation des échecs. En design comme dans d'autres domaines, l'innovation comporte son lot de risques. «Actuellement, le coût d'essuyer un échec est grandement supérieur au bénéfice d'obtenir un succès.» Si on veut que les décideurs osent, il faut changer cette dynamique.

«On a besoin d'une approche intégrée, parce que les utilisateurs sont incontournables.»

- Nancy Shoiry

En plus d'éduquer les citoyens, il faut les engager plus tôt dans le processus. «Si on impose un projet, c'est sûr que les gens vont s'opposer !» dit Nathalie Dion. La consultation est souvent faite beaucoup trop tard à ses yeux. «Si les gens sont consultés dès le début, tout un processus d'acceptabilité aura été fait.»

Claude Cormier y va toutefois d'une mise en garde : à trop respecter les susceptibilités de chacun, on risque de stagner. «La consultation est essentielle, mais il ne faut pas devenir fous avec ça.» L'architecte paysagiste opte plutôt pour l'écoute, puis la traduction. «On doit inventer en tenant compte des commentaires entendus, mais il faut absolument amener une évolution.»

Des consultations plus en amont permettraient justement de profiter pleinement de cette capacité d'écoute des designers, croit Claude Beaulac. «Un bon designer va au-delà des messages qui lui sont donnés. Il perçoit le non-dit, comprend quelque chose qui n'était pas nécessairement exprimé.» C'est grâce à cette juste interprétation, ajoute l'urbaniste, que le quartier Saint-Roch et la promenade Samuel-De Champlain, à Québec, ont autant de résonance dans la population.

Attention, cependant, de verser dans la consultation excessive, prévient Michel Lauzon. Derrière laquelle se cachent trop de politiciens. «Oui, il faut consulter, mais il faut doser. Et oser prendre des décisions.»

«Il faut faire des concours plus souvent et mieux les promouvoir.»

- Nathalie Bondil

En décembre, le Musée des beaux-arts de Montréal appelait les concepteurs à soumettre leurs idées pour le cinquième pavillon de l'institution. Sa directrice est encore surprise des résultats. «Pour un montant assez modeste, nous avons obtenu des résultats qui ont totalement dépassé nos attentes.» Mme Bondil est maintenant convaincue que «les concours permettent d'avoir un meilleur design pour un budget donné».

Marie-Josée Lacroix, du Bureau du design, croit elle aussi «énormément aux concours». Non seulement permettent-ils de faire émerger de nouveaux talents, dit-elle, mais ils les outillent pour percer à l'international - où tout se fait par voie de concours ou presque. La Ville de Montréal transforme même les présentations des propositions en outil pédagogique, invitant le public à y assister. «En écoutant les questions du jury, les gens comprennent mieux les enjeux.»

«Le pont Champlain doit être un porte-étendard.»

- Hélène Godin

Si certains autour de la table sont plutôt tièdes par rapport aux concours - ils souhaiteraient qu'ils soient dotés de plus de moyens financiers et construits de façon à développer l'expertise locale - tous s'entendent sur une chose : le pont Champlain doit faire l'objet d'un concours.

Plus qu'une infrastructure reliant deux rives, c'est un projet aux dimensions économiques, environnementales et sociales. «À quoi va-t-il servir ? Et à qui ?» dit Laurent Simon, de HEC Montréal. «Veut-on qu'il change la vie des gens à court terme, en leur permettant de traverser en voiture, ou à plus long terme ?»

Pour s'assurer que Champlain sera un «vrai pont», Nathalie Bondil a invité ses copanélistes à prendre position. Ils ont répondu à son appel, comme vous pouvez le lire à la page 10, sous la forme d'une lettre commune.

«Le privé doit se joindre au mouvement si on veut que le design s'améliore au Québec.»

- Félix-Antoine Joli-Coeur

Pour avoir de bons projets, il faut de bons clients. Or, la majorité des projets construits dans la province le sont par le privé.

Heureusement, les entreprises sont de moins en moins difficiles à convaincre. «Les gens d'affaires sont très pragmatiques, dit Michel Lauzon. Si on leur démontre les impacts positifs d'un bon design sur la rentabilité, l'image de marque, la santé des employés et la productivité, ils vont payer.»

Les entreprises pourraient toutefois aller encore plus loin, suggèrent plusieurs. «On ne peut pas les obliger à procéder par voie de concours, mais elles pourraient le faire !» plaident d'une même voix Nathalie Bondil et Charles-Mathieu Brunelle.

Pourquoi pas ? Après tout, comme dit Claude Beaulac, «l'audace part de ceux qui passent la commande, pas des designers».

marie-claude.morin @tc.tc

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