«Depuis trois ans, Detroit a attiré 85 nouvelles sociétés, dont Amazon et Twitter»

Publié le 03/08/2013 à 00:00, mis à jour le 14/08/2013 à 10:19

«Depuis trois ans, Detroit a attiré 85 nouvelles sociétés, dont Amazon et Twitter»

Publié le 03/08/2013 à 00:00, mis à jour le 14/08/2013 à 10:19

L'entrevue no 166

Matt Cullen

PDG, ROCK VENTURES

Le holding Rock Ventures est à Detroit ce que Starbucks est à Seattle, une icône. Rock Ventures a lancé le mouvement Opportunity Detroit et a investi 1,2 milliard de dollars américains dans des projets de revitalisation. Matt Cullen, pdg de Rock Ventures, a été nommé Personnalité humanitaire de l'année au Michigan en reconnaissance de ses efforts de justice sociale et d'inclusion.

Diane Bérard - Pourquoi Detroit a-t-elle déclaré faillite ?

Matt Cullen - Nous n'avions plus les moyens d'assumer nos obligations financières. Près de 45 % des revenus municipaux sont consacrés au paiement de la dette et au règlement de nos obligations à l'égard des investisseurs et des retraités. Il n'en reste pas suffisamment pour offrir des services à la population. Au bout de quelques années, 60 % du budget aurait été consacré à ces postes.

D.B. - Pourquoi Detroit a été poussée à cette extrémité, et pas les autres villes manufacturières américaines ?

M.C. - Detroit a longtemps été une ville mono-industrielle reposant sur une industrie cyclique, certes. Mais Detroit est aussi une ville très étendue, de 370 km2, qui perd des habitants depuis la fin des années 1960. Une situation qui s'explique en grande partie par les tensions raciales. Plus de 60 % des habitants sont partis au cours des dernières décennies, soit 1,1 million de contribuables. Et pour enfoncer le clou, nous avons vu défiler un cortège de politiciens corrompus. Privée de leadership et de revenus, Detroit a amorcé sa spirale vers le bas.

D.B. - Aux yeux du monde, la faillite de Detroit marque un creux. Pour les citoyens, le creux a été atteint il y a cinq ans. Expliquez-nous.

M.C. - La faillite de Detroit marque un creux médiatique. C'est une crise de relations publiques. Les habitants de Detroit, eux, ont vu le fond du baril il y a cinq ans. Les immeubles de centre-ville étaient à moitié vides. Les rues aussi. Puis, les projets de renaissance ont pris forme. Aujourd'hui, le centre-ville est plus dynamique qu'il ne l'a jamais été durant toute ma vie d'adulte. Les immeubles résidentiels affichent un taux d'occupation de 97 %. Et les immeubles de bureaux que Rock Ventures possède - plus de sept millions de pieds carrés - affichent presque complet.

D.B. - Quel rôle entrevoyez-vous pour la communauté d'affaires dans la renaissance de Detroit ?

M.C. - Il s'agit d'abord de créer des emplois pour ramener des citoyens. Plusieurs entreprises, comme Rock Ventures, Blue Cross Blue Shield, DTE Energy et GM, ont déplacé leurs bureaux de la banlieue au centre-ville, ramenant ainsi des milliers d'emplois au coeur de Detroit. Depuis trois ans, Detroit a attiré 85 nouvelles sociétés. Amazon et Twitter, par exemple, y ont installé de nouveaux bureaux. Quant à Rock Ventures, elle a investi 1,2 milliard de dollars américains dans la revitalisation du centre-ville, en incluant la promenade en bordure de la rivière Detroit. Un fonds de 140 millions de dollars est prévu pour développer et entretenir cette promenade. Il atteint déjà 120 M$ US, un financement venu des gens d'affaires et de la communauté philanthropique.

D.B. - Le centre-ville de Detroit va mieux. Qu'en est-il de la banlieue ?

M.C. - C'est notre prochain défi. Nous nous sommes concentrés sur le centre-ville parce que nous pouvions y récolter les gains les plus rapides. Mais la banlieue, elle, compte de nombreux immeubles abandonnés ainsi que des terrains vagues. On y trouve bien plus d'immeubles que d'habitants.

D.B. - Une entreprise en difficulté réduit sa taille. Comment réduit-on la taille d'une ville ?

M.C. - Quand GM a déclaré faillite, elle a fermé plusieurs usines et s'est départie d'éléments d'actif. Une ville ne peut pas procéder ainsi. Si elle se départit de ses actifs de valeur, que restera-t-il de la communauté ? Réduire la taille de Detroit passe plutôt par une réingénierie de la ville. Nous n'avons plus les moyens de soutenir l'étalement urbain. Il faut ramener la population près du centre. Et trouver de nouveaux usages aux territoires limitrophes : agriculture urbaine, parcs, etc. Le défi est énorme et nous n'avons aucun précédent sur lequel nous appuyer.

D.B. - Voit-on émerger des secteurs d'avenir ?

M.C. - Detroit devient un corridor de haute technologie. Les emplois dans ce secteur ne cessent de croître ; on voit paraître des îlots d'innovation. Cette effervescence rapporte. Notre société de capital-risque a réalisé des investissements lucratifs dans de nouvelles entreprises locales.

D.B. - Detroit doit gagner deux batailles : celle de l'emploi et celle du territoire. Expliquez-nous.

M.C. - Nous devons redresser notre bilan financier. Cela suppose à la fois le fait d'augmenter nos revenus et celui de réduire nos dépenses. L'augmentation de nos revenus, c'est la bataille de l'emploi. Il faut créer des emplois pour attirer des contribuables. C'est le rôle du corridor de haute technologie. La réduction des dépenses passe par la réingénierie de notre territoire. Il faut revoir l'utilisation de nos pieds carrés improductifs.

D.B. - Comment comptez-vous changer les perceptions à l'égard de votre ville ?

M.C. - Si vous faites une revue de presse, vous verrez que les conversations autour de Detroit ont changé depuis au moins un an. L'annonce de notre faillite a éclipsé temporairement nos bons coups. Mais notre stratégie de revitalisation, elle, ne connaît pas de recul. Quelques jours après la divulgation de la faillite, on annonçait un investissement immobilier de 55 M$ US ainsi que l'implantation d'un système de partage de vélos. Rock Ventures a lancé la marque Opportunity Detroit pour regrouper les initiatives de tous les acteurs. Nous avons attiré, par exemple, la conférence Techonomy Detroit, le rendez-vous national qui se penche sur le prochain chapitre de l'économie américaine. Un dossier pour lequel Detroit est un leader désigné.

D.B. - Detroit est gérée par un spécialiste en redressement nommé par l'État du Michigan. Il faudra bien qu'un maire reprenne le contrôle...

M.C. - Oui, nous avons besoin d'un leader. Mais je crois que les électeurs ont eu leur leçon. Ils sauront discerner les politiciens qui géreront la ville de façon durable des démagogues.

D.B. - Et si vous étiez maire ?

M.C. - Je gérerais Detroit comme une entreprise, en visant l'équilibre des revenus et des dépenses.

D.B. - Quel sera le plus grand défi des 12 prochains mois ?

M.C. - Respecter ceux à qui on a fait des promesses - les investisseurs, les retraités - sans compromettre le processus pour remettre la ville sur les rails.

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