Croître, mais pas à tout prix

Publié le 03/03/2012 à 00:00, mis à jour le 02/03/2012 à 09:56

Croître, mais pas à tout prix

Publié le 03/03/2012 à 00:00, mis à jour le 02/03/2012 à 09:56

Par Archives

Quand la recette fonctionne, pourquoi la chambouler ? L'améliorer un peu, d'accord, mais pas au risque d'en perdre le goût d'origine. Adoptant un raisonnement similaire, Réjean Robitaille n'a pas l'intention de dévier de sa stratégie. Il juge en effet que celle-ci a permis à la Banque Laurentienne, qu'il dirige depuis 2006, de traverser la crise financière plus sereinement que ne l'ont fait les autres banques canadiennes.

Par Marie-Claude Morin

Réjean Robitaille n'est pas peu fier de la progression de la Banque Laurentienne ces dernières années. Au point d'en faire le thème de sa tournée annuelle des employés. «Nos cinq dernières années ont été les meilleures de la Banque et ça, dans un marché assez olé olé», fait valoir d'emblée le pdg lors d'une rencontre avec Les Affaires au siège social de l'institution financière, au centre-ville de Montréal. Comme il attribue cette réussite au positionnement très ciblé de la Banque, il n'est pas question pour lui de s'éparpiller dans de nouveaux créneaux.

Ce comptable diplômé de HEC Montréal jure également que la Banque ne prendra pas de risques indus pour maintenir sa croissance. S'il se réjouit lorsqu'on lui mentionne que ses courtiers sont particulièrement combatifs dans le marché, il assure que l'institution ne sacrifiera ni ses critères d'octroi de prêts, ni sa marge bénéficiaire. «Du volume, ça ne m'intéresse pas si ce n'est pas rentable», dit l'homme de 51 ans, à la Banque depuis 24 ans.

Il faut dire que la Banque Laurentienne était au bon endroit au bon moment durant la crise financière. Plus petite et plus concentrée que ses concurrentes, elle tire 60 % de ses revenus de son réseau de succursales. Or, propulsé par le marché immobilier, le volume de prêts des banques a connu une croissance annuelle moyenne de 10 % depuis cinq ans. À l'opposé, le ralentissement des marchés de capitaux (émissions d'actions et d'obligations) a pesé sur les résultats des grandes banques canadiennes ; la Banque Laurentienne en a peu senti les effets, puisque cette division représente moins de 10 % de ses activités.

L'institution, qui a soufflé récemment ses 165 bougies, reçoit tout de même une partie du mérite. «Depuis quelques années, on voit une nette amélioration sur les plans opérationnel et stratégique», juge Christian Godin, gestionnaire chez Montrusco Bolton. Grâce à une saine gestion, la direction a comblé une partie de son retard de rentabilité par rapport aux autres banques canadiennes. Les rattraper complètement prendra encore de cinq à dix ans, croit M. Godin. «Ce n'est pas une mince affaire, mais c'est réalisable.»

Augmenter les ventes croisées

L'amélioration de la rentabilité repose davantage sur une augmentation des revenus que sur une baisse des dépenses, estime Gabriel Dechaine, analyste de Credit Suisse. Comparant les activités de détail des banques canadiennes, il estime que la Laurentienne génère 4 millions de dollars (M$) par succursale, comparativement à une moyenne de 8 M$ chez ses concurrentes. Les coûts par succursale et par employé sont quant à eux sous la moyenne. «Essentiellement, la Laurentienne est inefficace à générer des actifs et des revenus», juge M. Dechaine, qui doute de voir les ratios de performance s'améliorer en 2012 ou 2013, vu le ralentissement de la croissance.

De son côté, la direction dit prendre des mesures concrètes pour accroître ses ventes croisées. «Notre taux de pénétration a pas mal augmenté depuis cinq ans, ce qui prouve que notre plan est le bon, mais il reste encore beaucoup d'occasions», affirme Réjean Robitaille. Seulement 30 % de ses clients, par exemple, possèdent une carte de crédit de l'institution, contre une moyenne de 60 % dans l'industrie.

Pour s'emparer d'une plus grande part des affaires de ses clients, l'institution a investi dans des bases de données qui lui permettent de mieux cerner leurs besoins. Elle a aussi récemment réorganisé la direction des succursales et elle a accru le suivi auprès de ses employés. «On donne maintenant des objectifs, de la formation et de la rétroaction aux employés. Ça peut paraître banal, mais ça ne se faisait pas antérieurement», dit le pdg, assurant par ailleurs que les négociations pour le renouvellement de la convention collective (échue depuis décembre 2011) progressent bien.

La Banque table également sur ses réseaux non traditionnels, comme les équipes mobiles de démarcheurs hypothécaires, le réseau virtuel (où les clients du service téléphonique sont assignés à un conseiller), les succursales conviviales (aires de jeu et de lecture, entre autres) et les guichets dans le métro (dont les résultats ont dépassé les attentes en attirant de nouveaux clients). Sur le terrain, l'approche différente de la Laurentienne est visible, constate Jasmin Bergeron, professeur de marketing à l'ESG UQAM. «Les stratégies marketing des banques sont pratiquement identiques. La différence réside dans l'exécution, et la Laurentienne exécute bien.» En plus d'être plus petite que les autres, l'institution n'a pas besoin d'attendre l'approbation des dirigeants de Toronto pour bouger, ajoute M. Bergeron.

Sortir de la marge d'intérêt

Les taux d'intérêt au plancher et la concurrence plus vive compriment les marges d'intérêt, c'est-à-dire les profits que font les banques sur les prêts. Une situation qui touche particulièrement la Banque Laurentienne, prévient M. Dechaine, puisque près des deux tiers de ses revenus sont liés au taux d'intérêt, par rapport à environ la moitié dans les six grandes banques canadiennes. De plus, sa marge d'intérêt, sous la moyenne de l'industrie en 2011 à 2,02 %, risque de diminuer à environ 1,84 %, estime l'analyste.

«Avec les taux et les marges bas, c'est d'autant plus important de diversifier nos activités. Il faut se détacher de certains produits liés directement aux marges d'intérêt et aller chercher d'autres revenus», dit M. Robitaille. Il illustre cette stratégie par la récente acquisition de MRS, un fournisseur de services aux conseillers financiers qui sera intégré à B2B Trust, la division de la Laurentienne spécialisée dans ce créneau.

En plus de lui acheter MRS pour 200 M$, la Laurentienne s'est aussi entendue avec Mackenzie pour devenir un distributeur principal de ses fonds communs, mettant du coup fin à son entente précédente avec l'Industrielle Alliance. «Ce sera une amélioration notable pour les clients», dit M. Robitaille. Selon lui, les clients auront accès à une gamme de fonds plus diversifiée, offrant de meilleurs rendements et coûtant moins cher.

M. Robitaille souhaite également accroître les revenus provenant du secteur commercial, où la marge est plus élevée. Alors que le volume des prêts de la Banque a crû de près de 8 % l'an dernier, ceux du secteur commercial augmentent de plus de 10 % depuis plusieurs années, fait-il valoir. «Nous nous attendons à ce qu'une bonne part de la croissance provienne du secteur commercial.» La concurrence dans ce créneau s'est toutefois accentuée au dernier trimestre, notent les analystes.

La Banque pourrait bonifier son offre d'assurances, actuellement limitée à l'assurance-crédit. Le pdg exclut toutefois un retour dans la manufacture de fonds, ainsi que l'ouverture de bureaux à l'étranger ou un retour du réseau de succursales à l'extérieur du Québec. «Ce serait trop diversifié.» Comme c'est en étant concentrée que la Banque s'est distinguée de ses pairs durant la crise, M. Robitaille ne voit pas de raison valable de prendre ce risque.

UN MARCHÉ TIÈDE FACE AU TITRE

Avec une progression de 51 % en Bourse depuis cinq ans (par rapport à - 18 % pour l'indice S&P/TSX des services financiers) et des hausses régulières du dividende, la Banque Laurentienne a été favorable au portefeuille de ses actionnaires. La croissance à venir risque toutefois d'être moins explosive, prévoient analystes et gestionnaires.

La moitié des douze analystes sondés par Bloomberg recommandent toujours l'achat du titre, alors que les six autres suggèrent plutôt de le conserver. La tiédeur du marché ne se limite pas à cette institution. Le secteur financier en général est jugé par plusieurs comme pleinement évalué, entre autres parce que les investisseurs assoiffés de dividendes s'y sont rués.

D'ailleurs, les attentes quant au dividende ne sont pas étrangères à l'intérêt des investisseurs pour la Laurentienne. «Toutes les banques sont susceptibles de bonifier leur dividende, mais comme la Laurentienne affiche un ratio de versement inférieur à son objectif, elle pourrait l'augmenter plus que les autres», estime Jean-François Gagnon, gestionnaire chez Fiera Sceptre.

Quant au titre lui-même, les analystes entrevoient qu'il passera de 45 $ à 53 $ d'ici un an. À huit fois les bénéfices attendus en 2012, il s'échange à escompte par rapport aux titres des grandes banques canadiennes. John Reucassel, analyste chez BMO Marché des capitaux, ne s'attend cependant pas à une révision du multiple : «Les perspectives quant à la croissance du bénéfice par action et à l'amélioration du rendement sur le capital sont limitées, vu les faibles taux d'intérêt, le climat de concurrence et la croissance ralentie du volume de prêts.»

Il importe de se rappeler que la Banque Laurentienne est un titre défensif de son secteur, dit Christian Godin chez Montrusco Bolton. Comme elle est peu active dans les marchés des capitaux, elle souffre moins lorsque les Bourses jouent au yoyo. «Par contre, le titre ne monte pas aussi vite que le reste du marché en période haussière.»

MARIE-CLAUDE. MORIN@tc.tc

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