Comment redynamiser la locomotive montréalaise

Publié le 09/05/2009 à 00:00

Comment redynamiser la locomotive montréalaise

Publié le 09/05/2009 à 00:00

Montréal est une ville en mouvement", dit Raymond Bachand, ministre québécois des Finances, du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation.

Certes, mais elle bouge moins vite que ses consoeurs nord- américaines, dit Daniel Gill, professeur à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal. "Montréal offre une bonne qualité de vie. Mais, côté performance, elle se classe bonne dernière en Amérique du Nord. Elle est en perte de vitesse."

Toutes les grandes agglomérations ont leurs problèmes. Mais ceux d'ici semblent plus aigus, note Mario Lefebvre, directeur du Centre des études municipales au Conference Board du Canada. Forte dans des secteurs de pointe comme le pharmaceutique et les jeux vidéo, Montréal souffre du déclin de son secteur manufacturier (de 2 à 3 % par an depuis 8 ans) et de sa population (en hausse de seulement 0,7 % par an). Sa prospérité, poursuit Mario Lefebvre, est pourtant essentielle à celle du Québec, les grandes villes étant les locomotives du développement économique. Comment relancer la machine ? Voici des pistes.

Deux langues, un défi

Constats

Montréal parle bien des langues, apportées par ses milliers d'immigrants, mais surtout le français et l'anglais, deux langues internationales. Ce qui fait de sa population une des plus bilingues de la planète, avec un taux moyen de 50 %, 80 % parmi les gens d'affaires.

Que penser de cette dualité ? "C'est un grand avantage", dit Jacques Lamarre, pdg de la firme d'ingénierie SNC-Lavalin, qui profite de cette manne de travailleurs bilingues, voire trilingues.

"Le français est un défi permanent. Les Québécois tiennent à leur culture, à leur langue, et il y a des contraintes inhérentes à cela, croit quant à lui Marcel Côté, associé fondateur de la firme Secor. L'économie du savoir exige une grande mobilité des personnes et des technologies. Montréal fait bien dans l'économie du savoir, moins bien dans la mobilité de sa main-d'oeuvre."

"Disons que ça ne simplifie pas la vie de Montréal", dit François Vaillancourt, professeur d'économie à l'Université de Montréal et auteur de plusieurs études sur la dualité linguistique. Il a vu, au fil des ans, la réduction des écarts de revenus entre les deux groupes linguistiques; il a aussi évalué ce que la migration du Québec vers le reste du Canada, surtout le fait d'anglophones, coûte au Québec : 19,3 milliards de dollars entre 1996 et 2001, soit 1,6 % du PIB. C'est toutefois mieux qu'entre 1976 et 1981, où cet exode avait réduit le PIB de 3,8 %.

"La dualité linguistique est une spécificité montréalaise qui a des effets économiques indéniables, renchérit Christian Dufour, professeur à l'ENAP. Et elle ne disparaîtra pas. L'anglais fait partie de notre réalité. C'est une donnée incontournable et fondamentale."

C'est aux Montréalais de décider si cette dualité est une chance ou pas, dit-il : "Le bilinguisme nous rend plus ouverts sur le monde. On n'est pas prisonniers de la dynamique nord-américaine. En contrepartie, le français peut nous isoler du reste du continent."

Solutions

Le rapport des Montréalais francophones à l'anglais reste à définir, l'avenir est ouvert, dit Christian Dufour, qui dénonce les "idéologues du bilinguisme". "Avant, on niait l'anglais. Maintenant, on tombe dans l'excès contraire. Une partie des francophones, éduqués, sont tentés par l'abdication. On banalise le bilinguisme. Mais on reste la seule société francophone en Amérique du Nord. Il ne faut pas abdiquer le français sous prétexte de réalisme."

François Vaillancourt est dans le camp opposé. Il croit que le bilinguisme est une richesse et qu'il faut que les francophones améliorent l'apprentissage de l'anglais, de la même façon que les jeunes anglophones apprennent maintenant le français. Il croit aussi que, pour le bien-être économique de Montréal, la loi 101 doit être appliquée de "façon raisonnable, souple". Et, pour cela comme pour bien d'autres choses, "la balle est dans le camp de Québec." M.T.

La galère des infrastructures isole la ville

Constats

Une ville est un lieu d'échanges et de déplacements, dit Daniel Gill, professeur à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal : "Or, pour se déplacer, il faut des voies de communication. Là-dessus, on s'est complètement gouré à Montréal."

"Un carnage", selon lui. Avec l'ouverture de la voie maritime en amont de Montréal, la ville a perdu sa place de plaque tournante du commerce maritime dans le nord-est de l'Amérique du Nord. Son aéroport international, construit en plein champ, il y a 35 ans, attire plus de vaches que d'avions. Et le vieil aéroport exigu et rafistolé qui l'a remplacé n'est toujours par relié au centre-ville par le train.

Le réseau routier montréalais est tout aussi inachevé, poursuit Daniel Gill : "Montréal est une des seules grandes villes qui n'a pas de voies périphériques, de sorte que ses axes routiers sont engorgés et qu'on y perd temps et argent. En ce moment, on ne fait que réparer ce qui a été brisé."

"Montréal est à 6 heures de train de Toronto, à l'époque des TGV !" s'exclame-t-il. Un vol pour New York coûte plus cher de Montréal que de Londres ou Dublin, car le Canada n'a pas déréglementé son ciel : "Montréal s'isole de plus en plus du reste de l'Amérique du Nord."

L'impact économique est majeur. "Des infrastructures inadéquates, dit Saeed Mirza, professeur émérite au Département de génie civil de l'Université McGill, font baisser la productivité et la compétitivité d'une ville, de même que la qualité de vie de ses habitants."

Solutions

Ottawa a annoncé des investissements de près de 45 milliards de dollars sur sept ans (2009-2016) dans les infrastructures du pays, "toutes plutôt mal en point", dit Mario Lefebvre, directeur du Centre des études municipales au Conference Board du Canada. Pour que Montréal en profite à sa juste valeur, il souhaite que le gouvernement fédéral n'investisse pas cette somme en fonction du nombre d'habitants, mais du nombre de personnes qui transitent par la ville.

Daniel Gill, quant à lui, souhaite un investissement massif dans les transports collectifs, notamment les trains à grande vitesse : "Il faut impérativement relier Montréal à New York et à Toronto par un TGV."

Montréal et sa région ont besoin d'une vision d'ensemble pour les 50, voire les 100 prochaines années, et non pas de projets à courte vue, dit de son côté Saeed Mirza. "Comme on est toujours dans l'immédiat, dans l'urgence, on ne regarde rien venir. On répare vite et mal, alors c'est à refaire, et on gaspille l'argent. Il faut profiter de la reconstruction de l'échangeur Turcot pour se demander : de quoi Montréal a-t-elle vraiment besoin ? Certainement pas de plus d'autoroutes, mais de transport en commun efficace et rapide." M.T.

Une ville à la gouvernance difficile

Constats

Montréal n'est pas une capitale. Et si elle a déjà été la métropole économique du Canada, ce n'est plus le cas. Qu'il s'agisse de la (très lourde) structure administrative qui la gère, de la limite de vitesse dans ses rues résidentielles ou de la rénovation de ses rames de métro, toutes les décisions qui la concernent sont prises dans les bureaux de la Grande Allée, à Québec, ou ceux de la Place du Portage, à Ottawa, d'où viennent ses budgets.

"On demande aux villes de faire du développement économique et de rivaliser avec Londres ou Paris, mais même une administration municipale ayant la meilleure des visions ne peut rien mettre en place sans pouvoir", dit Mario Lefebvre, directeur du Centre des études municipales du Conference Board du Canada.

Montréal est comme une filiale de grande entreprise, renchérit Jacques Lamarre, pdg de SNC-Lavalin. "Son siège social est ailleurs, à Québec. Comme toute filiale, elle ne peut pas prendre de décisions seule." Une situation qui, selon lui, explique bien des problèmes, notamment de leadership : "Les gens d'envergure préfèrent être là où se trouve le vrai pouvoir."

Les entrepreneurs qui souhaitent y investir doivent naviguer dans un dédale législatif. "Montréal est trop compliquée. Ça en décourage plusieurs", dit le chef de l'opposition à la Ville, Benoît Labonté.

Solutions

Pour le pdg de SNC-Lavalin, la solution passe par une mesure radicale : "Rapatrier des ministères à Montréal pour qu'on s'occupe de nous." Quant à la gouvernance même de la Ville, ce monstre à mille têtes, "personne ne veut y toucher" tant le dossier est explosif, souligne Jacques Girard, pdg par intérim du Centre financier international de Montréal. Mais tant qu'à être pris avec cette structure, "il faut tout faire pour la rendre plus efficace".

Benoît Labonté rapatrierait les pouvoirs stratégiques au centre, laissant aux arrondissements les services de proximité. "Il faut créer un climat propice aux investissements", dit-il.

De son côté, Mario Lefebvre ne toucherait pas nécessairement à la structure administrative. Il verserait plutôt 1 % de la TPS aux provinces et autant aux municipalités, de façon à ce qu'une ville comme Montréal puisse tirer profit des grandes manifestations sportives et culturelles qui se déroulent sur son territoire.

"Les conservateurs auraient très bien pu le faire, il y a deux ans, lorsqu'ils ont annoncé la baisse de 2 % de la TPS. Ils ont manqué une occasion extraordinaire de régler le déséquilibre fiscal." M.T.

Les impôts montent à Montréal et au Québec, tandis qu'ils baissent ailleurs

Constats

KPMG vient de publier son étude Choix concurrentiels 2008, qui compare les grands centres urbains de pays industrialisés. Montréal arrive au 6e rang sur 35, derrière Vancouver mais devant Toronto, pour l'impôt des sociétés, la taxe sur le capital, sur la consommation, les impôts municipaux et fonciers; bref, pour la facture globale de l'entreprise. C'est bien, mais la tendance qui est inquiétante, dit Bruno Desautels, associé en fiscalité d'entreprise chez KPMG Montréal.

Si Montréal a longtemps été une ville très avantageuse pour les entreprises du fait de sa politique fiscale à leur endroit, son avance se réduit d'année en année, constate-t-il : "Tandis que les autres provinces canadiennes diminuent leur taux d'imposition globale, nous augmentons le nôtre, de sorte que le Québec est passé du taux le plus favorable du pays, en 2001, au pire parmi les grandes provinces, aujourd'hui. À cela s'ajoute le fait qu'il y a moins de subventions et de programmes qu'avant. Or, quand une entreprise décide où elle s'installe, elle regarde tous ces facteurs incitatifs. Ça a un impact direct."

Pour Jacques Lamarre, pdg de SNC-Lavalin, la fiscalité des entreprises est encore acceptable au Québec par rapport au reste du Canada, mais elle est de moins en moins concurrentielle par rapport au reste du monde. Il juge par ailleurs les charges sociales imposées aux entreprises trop nombreuses. Et leur liste s'allonge...

Solutions

Montréal ne prélève pas de taxes sur les entreprises. Les décisions fiscales sont prises à Québec et c'est aussi là que se retrouve l'argent des impôts.

Bruno Desautels croit qu'il faut impérativement inverser la tendance à la la hausse des impôts aux entreprises, à défaut de quoi, la ville perdra un avantage concurrentiel au profit des autres métropoles canadiennes. "Il faut investir, pas seulement couper", dit-il.

Il comprend que les finances publiques ne sont pas au beau fixe par les temps qui courent, mais il préfère l'augmentation des taxes à la consommation plutôt que les impôts aux entreprises, quitte à subventionner les ménages les plus pauvres. M.T.

Le savoir sous-financé

Constats

Quatre universités, 170 000 étudiants, deux facultés de médecine, quatre de génie... Montréal compte le plus grand nombre d'étudiants du pays, qui alimenteront ses industries de haut savoir que sont l'informatique, l'aéronautique, l'ingénierie et le pharmaceutique. Une main-d'oeuvre que Jacques Lamarre, pdg de SNC-Lavalin, qualifie de "meilleure du monde".

Voilà pour les bonnes nouvelles. Les moins bonnes : depuis 10 ans, il manque 400 millions de dollars par année aux universités québécoises pour bien fonctionner; quelque 300 millions de dollars rien que pour celles de Montréal.

"Nos universités sont en concurrence avec l'élite mondiale. Or, à cause de ce sous-financement chronique, elles sont de moins en moins dans la course", dit Robert Lacroix, ex-recteur de l'Université de Montréal et fellow du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO). "Le savoir attire le savoir, poursuit-il. Nous nous targuons de vivre dans une économie du savoir, mais nous affamons les lieux où on crée cette connaissance. La qualité de la recherche diminue sans cesse. On détériore l'actif le plus précieux de Montréal."

Solutions

Il faut hausser les frais de scolarité, actuellement d'environ 2 000 $, pour qu'ils approchent de la moyenne canadienne, soit près de 5 000 $, dit Robert Lacroix : "Cela regarnirait les coffres des universités de 600 millions de dollars par année."

Des frais de scolarité faibles poussent à la médiocrité, selon Roger Martin, doyen de la Rotman School of Management de l'Université de Toronto. Et cela ne remplit même pas les salles de cours : la proportion de ceux qui ont au moins le baccalauréat dans la population montréalaise est de 26,5 %. C'est plus que la moyenne canadienne (22,9 %), mais loin derrière le taux d'autres grandes villes, comme Vancouver (30,7 %), Toronto (33,6 % et Ottawa-Gatineau (35,4 %). "C'est une grave erreur de maintenir vos frais de scolarité aussi bas, dit-il. Si Montréal et le Québec veulent prospérer, il faut les augmenter."

Le sujet revient régulièrement sur la place publique, mais sans appuis politiques, il sombre à nouveau dans l'oubli. "La question est taboue et le débat, chargé d'émotion, dit Mathieu Laberge, chercheur au CIRANO. Les étudiants forment un lobby puissant, et comme ils ne font que passer, ils ne voient pas la détérioration." Le chercheur prône la facturation asymétrique, appliquée dans le monde anglo-saxon : les étudiants paient selon le coût de leurs études et de ce qu'elles leur rapporteront plus tard. "Actuellement, selon ce principe, les étudiants en sciences humaines paient 38 % de leur formation, ceux en médecine, 5 %. Il n'y a pas d'équité." M.T.

martine.turenne@transcontinental.ca

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