«Cipla s'est battue pendant sept ans pour un verdict qui aurait dû prendre 24 heures»

Publié le 20/04/2013 à 00:00, mis à jour le 18/04/2013 à 09:56

«Cipla s'est battue pendant sept ans pour un verdict qui aurait dû prendre 24 heures»

Publié le 20/04/2013 à 00:00, mis à jour le 18/04/2013 à 09:56

L'entrevue no 151

Yusuf K. Hamied

PRÉSIDENT DU CONSEIL CIPLA

La Cour suprême indienne vient de refuser un brevet à la suissesse Novartis. Un combat de sept ans mené par Yusuf K. Hamied, président du fabricant de génériques Cipla. On surnomme le Dr Hamied le «Robin des Bois de l'industrie pharmaceutique». En 2001, il a défié les multinationales pharmaceutiques en offrant aux patients africains atteints du SIDA un traitement à 250 $. Il compte maintenant démocratiser le traitement du cancer.

Diane Bérard - Le 1er avril, la Cour suprême de l'Inde a rendu un jugement historique qui a donné raison à l'industrie générique en refusant un brevet à Novartis...

Yusuf K. Hamied - Historique pour qui ? Les médias et les sociétés pharmaceutiques font tout un plat d'une décision de la Cour suprême indienne qui ne consiste qu'à appliquer la loi. Notre entreprise, Cipla, a dû se battre sept ans avant que ne soit rendu un verdict qui aurait dû prendre 24 heures.

D.B. - Pourquoi la Cour a-t-elle refusé le brevet pour la nouvelle version de Glivec [Gleevec, en Amérique du Nord] ?

Y.K.H. - Elle a estimé que cette version ne constitue pas une innovation. Il ne s'agit que d'une version légèrement modifiée de ce médicament, déjà offert sous une autre forme. C'est une stratégie répandue chez les pharmas, nommée evergreening [mise à jour en continu]. Celle-ci consiste à présenter une version légèrement modifiée d'un médicament en fin de brevet afin de prolonger la période de protection. Le gouvernement indien accorde des brevets à des médicaments lorsqu'il estime que ceux-ci constituent une réelle nouveauté ou que le bénéfice thérapeutique s'avère significatif. La nouvelle version de Glivec ne remplissait aucun de ces critères.

D.B. - L'Inde produit 20 % des médicaments génériques mondiaux. La Cour a-t-elle pris une décision nationaliste, progénérique et antipharma ?

Y.K.H. - Je dirais plutôt qu'elle a pris une décision antimonopole. On parle beaucoup de brevet et de protection. Mais cette histoire en est d'abord une de monopole. Le Cour suprême a dit à Novartis : voilà des années que vous enregistrez des profits sans affronter aucune concurrence. Comptez-vous chanceux.

D.B. - L'Inde a aboli sa loi sur les brevets en 1972 pour la réintroduire en 2005, lorsqu'elle s'est jointe à l'OMC. On pourrait conclure que l'Inde ne respecte pas la propriété intellectuelle...

Y.K.H. - C'est effectivement une image que les lobbyistes pharmaceutiques entretiennent. Depuis 2005, le gouvernement indien a accordé 6 000 brevets pharmaceutiques. À peine une douzaine ont été contestés. L'Inde respecte la propriété intellectuelle. Quant aux sociétés génériques comme Cipla, elles ne sont pas folles. Nous n'allons pas dépenser 40 000 $ par jour en frais juridiques lorsque nous n'avons pas de cause.

D.B. - Novartis a déclaré que ce jugement freinera les progrès médicaux, qu'il décourage la «découverte pharmaceutique innovante» et constitue un revers pour les patients. Que répondez-vous ?

Y.K.H. - Faites le tour des médicaments les plus rentables du monde. Combien d'entre eux sont issus des laboratoires des entreprises qui les vendent ? Allons-y de deux exemples, parmi les plus lucratifs. Roche récolte gros grâce au Tamiflu, un traitement de la grippe qu'elle n'a pas développé. Quand à Pfizer, elle a «hérité» du plus grand blockbuster de tous les temps, le Lipitor (anticholestérol), en achetant Warner-Lambert en 2000.

D.B. - Vous estimez que, malgré la menace des pharmas de ne plus investir dans le développement des médicaments pour le marché indien, l'Inde sort gagnante de ce jugement. Pourquoi ?

Y.K.H. - L'Inde compte 110 millions de patients psychiatriques, 80 millions de patients affichant des troubles cardiaques, 50 millions atteints de l'hépatite... Chez nous, le dossier de la santé est une suite ininterrompue de crises. Il est impensable d'accorder un monopole à une entreprise de ce secteur. Toute décision qui permet l'accès à des traitements de qualité à meilleur coût est positive.

D.B. - Au moment où les sociétés pharmaceutiques dénoncent le manque de protection des brevets indiens, vous jetez de l'huile sur le feu en prônant l'abolition de ceux-ci, en vous inspirant... du Canada. Expliquez-nous.

Y.K.H. - En 1969, la Canada a voté la loi S-91 permettant de copier n'importe quel brevet, pour des fins d'exportation, en échange d'un versement de royautés de 4 % du prix de vente net. La loi S-91 a été appliquée pendant 23 ans, soit jusqu'en 1992. L'abrogation de la loi S-91 était une des conditions à l'entrée du Canada dans l'ALENA. Si c'était bon pour le Canada, pourquoi est-ce si terrible pour l'Inde ?

D.B. - Le Canada songerait lui-même à assouplir sa loi sur les brevets pharmaceutiques. Vous avez rencontré Stephen Harper à ce sujet il y a deux ans. De quels changements est-il question ?

Y.K.H - Il s'agit du projet de loi S-232. Celui-ci permettrait aux fabricants de médicaments génériques d'obtenir une licence unique de durée indéterminée. Celle-ci autoriserait l'exportation de tout produit pharmaceutique breveté au Canada vers tout pays admissible mentionné dans la législation, sans qu'il soit nécessaire de négocier au préalable avec les titulaires de brevet, ni de préciser la quantité de médicaments qui sera requise pour une période donnée. À l'heure actuelle, les pays en développement et les fabricants de médicaments génériques doivent se soumettre à un processus qui exige de traiter chaque pays et chaque commande séparément, en plus de limiter les contrats à deux ans. Le Canada doit adopter le projet de loi S-232 ; c'est ce que j'ai dit au premier ministre Harper lors de sa venue en Inde, il y a deux ans.

D.B. - Vous faites partie de la distribution du documentaire Fire in the blood présenté au festival Sundance en 2013. De quoi traite ce documentaire ?

Y.K.H. - De la façon dont les multinationales pharmaceutiques ont protégé leur monopole sur le traitement du SIDA jusqu'au milieu des années 1990. Elles ont privé les patients de l'Afrique et de l'Inde d'un accès abordable à ces médicaments qui auraient pu sauver leur vie.

D.B. - Pourquoi apparaissez-vous dans ce film ?

Y.K.H. - Cipla a développé une version générique du traitement contre le SIDA. Nous comptons faire pour le cancer ce que nous avons accompli pour le SIDA et rendre son traitement accessible aux plus démunis. C'est pourquoi, en 2012, nous avons réduit le prix de plusieurs de nos traitements anticancer de 75 %.

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