«C'est la comptabilité environnementale qui sauvera le monde»

Publié le 19/10/2013 à 00:00

«C'est la comptabilité environnementale qui sauvera le monde»

Publié le 19/10/2013 à 00:00

Par Diane Bérard

REI a servi d'inspiration à Mountain Equipment Co-op (MEC). Fondée il y a 75 ans par Mary et Lloyd Anderson, cette coop d'équipement de plein air compte 120 magasins et en ouvre de 5 à 7 par année. En 2012, ses 3,5 millions de membres se sont partagé un dividende de 100 M$. Kirk Myers était conférencier à la journée Momentum 2013, à Montréal.

Diane Bérard - Recreational Equipement inc. (REI ) est-il un détaillant qui fonctionne selon une structure coopérative ou une coop active dans le secteur du commerce de détail ?

Kirk Myers - Les deux, Dieu merci ! À l'ère des médias sociaux et de l'économie collaborative, qu'est-ce que le client recherche ? Un lien, une connexion spéciale avec les autres consommateurs et les détaillants. Qui de mieux qu'une coop pour comprendre et offrir ce lien ? Les coops sont parfaitement adaptées au 21e siècle.

D.B. - Facile d'être vert quand on vend de l'équipement de plein air. C'est votre mission, non ?

K.M. - REI a des réflexes verts, c'est vrai. Mais cela ne rend pas notre vie plus facile, au contraire. Les attentes envers nous, de même qu'à l'égard de MEC ou de Patagonia, sont bien plus élevées. On s'attend à ce que nous agissions sur tous les fronts. Mais une coop est une entreprise. REI pose des gestes dont l'impact le plus important touchera à la fois l'organisation et la société. Nous établissons des priorités.

D.B. - Comment être vert quand on ne vit pas autant en communion avec la nature que REI ?

K.M. - Toutes les entreprises font face aux mêmes tendances, peu importe leur secteur. Le prix du baril de pétrole augmente et les réserves s'épuisent, comme pour bon nombre de ressources naturelles d'ailleurs.

D.B. - On se doute qu'à choisir entre croître et être vert, les entreprises opteront pour le premier...

K.M. - C'est un faux dilemme. Pour l'instant, il faut encore choisir, parce que le système n'est pas conçu en fonction d'un développement durable. Lorsque le design, la production et la livraison seront bâtis dans un esprit de développement durable, le dilemme disparaîtra.

D.B. - Vous appartenez à une industrie qui suremballe. Que faites-vous pour y remédier ?

K.M. - Les sacs de plastique dans lesquels sont livrés nos vêtements constituent un véritable cauchemar. Trop volumineux pour en disposer facilement. Pas assez importants pour justifier un investissement dans une technologie apte à les traiter. Nous avons amélioré la situation en nous joignant à d'autres acteurs de notre secteur. Cela a donné des emballages de types «rouleaux de sushis» qui exigent moins d'enrobage.

D.B. - Vous dites que la comptabilité environnementale va sauver le monde. Expliquez-nous pourquoi.

K.M. - J'aimerais que les entreprises aient toutes une éthique environnementale. Mais ce n'est pas nécessaire pour qu'il y ait développement durable. Il suffit que les dirigeants apprennent à compter. Et surtout qu'ils sachent mesurer. Dès qu'on calcule l'impact de nos pratiques d'affaires, on se rend compte de tout ce qu'elles nous coûtent. Et de tout ce qu'on perd en chemin. Saviez-vous que plusieurs fabricants de vêtements gaspillent l'équivalent d'un chandail pour enfant chaque fois qu'ils confectionnent un modèle pour adulte ? Ce constat a donné naissance à l'indice Higg, qui mesure les pratiques liées à la chaîne d'approvisionnement du secteur du vêtement. C'est là un exemple parmi d'autres.

D.B. - Le mois dernier, des crues soudaines ont paralysé le Colorado et vos affaires. Quelles leçons en tirez-vous ?

K.M. - Ce n'est qu'un début. Les crues soudaines constituent un problème récurrent au Colorado. Mais le changement climatique vient l'amplifier. Il a entraîné, entre autres, la multiplication de certains insectes qui ravagent les arbres. Ils ne sont plus assez nombreux pour retenir les eaux pluviales. Les inondations de septembre ont forcé la fermeture de deux de nos magasins de la région de Boulder pendant quelques jours. De telles situations se multiplieront. Les entreprises doivent s'attendre à ce que leurs affaires courantes et leur chaîne d'approvisionnement soient de plus en plus perturbées.

D.B. - Comment une entreprise passe-t-elle de gestes environnementaux à la pièce à une politique de développement durable ?

K.M. - Elle développe une expertise en comptabilité environnementale pour cesser de saupoudrer ses efforts. Le développement durable, c'est du développement, ce qui signifie que vous cherchez à maximiser votre rendement comme pour n'importe quel investissement.

D.B. - L'urbanisation, ce n'est pas très gagnant pour un fabricant d'équipement de plein air...

K.M. - En effet, cela pose un défi (rires). Sans compter qu'on trouve bien moins de propriétaires de véhicules chez les jeunes que chez les parents lorsqu'ils avaient leur âge. Aller à la montagne pose désormais un défi. Il a fallu adapter nos produits, les rendre plus polyvalents. Qu'ils servent à la fois aux activités de plein air et à celles de «quasi plein air», comme la marche dans les parcs urbains. On trouve encore des mordus qui pratiquent le plein air pour se dépasser. Mais s'y sont ajoutés des adeptes d'un plein air moins extrême. Ceux-là sont davantage en quête d'une expérience sociale que de sensations fortes. Ils ne veulent pas souffrir !

D.B. - Votre ex-présidente, Sally Jewell, a cité Best Buy comme étant un concurrent. Vraiment ?

K.M. - Pour que les gens utilisent nos vêtements, ils doivent sortir de leur maison. Cela suppose d'éteindre leurs multiples appareils de divertissement. Se débrancher. Nous sommes donc en concurrence avec les produits vendus chez Best Buy et tous les détaillants du même genre.

D.B. - Vous investissez beaucoup dans la prochaine génération de clients. En quoi consiste votre stratégie ?

K.M. - Le livre Last Child in the Woods de Richard Louv met en évidence la rupture entre les jeunes et la nature. Celle-ci ne fait carrément pas partie de leur vie. Nous travaillons à créer ce lien. La Fondation REI accorde des bourses à des organismes qui font la promotion du plein air chez les enfants, comme l'East Atlanta Kids Club Cycling and Triathlon et Outdoor Outreach, qui a permis à plus de 5 000 enfants de goûter à l'escalade, au surf, à la planche à neige, etc.

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