" Nous n'avons ni allié, ni ennemi permanent "

Publié le 12/06/2010 à 00:00

" Nous n'avons ni allié, ni ennemi permanent "

Publié le 12/06/2010 à 00:00

Par Diane Bérard

Le 9 décembre 2008, Bruce Cox s'est présenté aux bureaux de l'ambassade du Japon au Canada et il a exigé qu'on l'arrête. Un geste symbolique de solidarité envers deux membres de Greenpeace Japon, Junichi Sato et Toru Suzuki, qui risquaient la prison pour avoir mis à jour un réseau de contrebande de viande de baleine. Ce n'est pas le premier ni le dernier coup d'éclat de Greenpeace : ses membres savent comment attirer l'attention des médias et de la population. Cependant, le 18 mai, la plus célèbre organisation environnementale canadienne a pratiqué un tout autre coup d'éclat. Cette fois, pas de bannière sur un gratte-ciel ni de militants enchaînés aux portes d'un siège social, comme cela avait été le cas à celui d'AbitibiBowater, à Montréal, en septembre 2008. Le coup d'éclat tient plutôt à une entente, une trêve de trois ans entre des entreprises forestières et des groupes environnementaux, dont Greenpeace. Celle-ci porte sur 72 millions d'hectares de forêt boréale. Les environnementalistes cessent leurs boycotts et les entreprises promettent de revoir leurs pratiques de coupe. Nous avons joint Bruce Cox à son bureau de Toronto.

Diane Bérard - Greenpeace devient-elle vert pâle ?

Bruce Cox - Parce que nous nous sommes assis à la même table que des représentants de l'industrie forestière et que nous avons signé une trêve avec eux ? Cela ne change rien à ce qui anime notre mouvement : nous continuerons à exposer les problèmes environnementaux et à dénoncer les pratiques dommageables des entreprises. Mais nous ne pouvons pas nous contenter de critiquer et de nous plaindre, cela signifierait que nous croyons qu'il n'existe aucune solution à ce gâchis. Ce qui serait intolérable.

D.B. - La trêve de trois ans signée avec l'industrie forestière vous a valu les foudres de Richard Desjardins et des membres de l'Action Boréale. A-t-elle aussi contrarié les membres radicaux de Greenpeace ?

B.C. - Pas du tout. Pour nos membres, il ne s'agit pas d'une entente controversée. Ils en ont vu passer d'autres. Elle est tout à fait représentative de notre stratégie de campagnes contre une société, un modèle sophistiqué qui doit aboutir tôt ou tard à la table de négociation. Lorsque nous nous y asseyons, nous avons des solutions à proposer et des objectifs bien précis en tête. Nous ne déclenchons jamais une campagne contre une entreprise pour la mettre en faillite, mais pour qu'elle change.

D.B. - Jusqu'à quel point cette entente règle-t-elle les choses ?

B.C. - Rien n'est terminé, ce n'est que le début. De nombreux partenaires restent à ajouter : tous les ordres de gouvernement, les Premières Nations, les syndicats, etc. Sans compter de nombreuses sociétés forestières qui résistent encore. Cette entente ouvre la voie à une solution durable.

D.B.- Prenez-vous tout de même un risque en signant cette trêve ?

B.C. - Oui. Si rien n'a bougé du côté des forestières dans trois ans, nous devrons repartir de zéro notre campagne contre leurs pratiques, car nous aurons perdu notre élan et les appuis populaires. Mais nous avons choisi de faire confiance. Ces entreprises ont été nos adversaires, aujourd'hui nous avons décidé de les croire.

D.B. - Quelle est votre stratégie pour mener une entreprise à négocier avec vous ?

B.C. - C'est long ! D'abord, il faut établir un rapport de force, trouver le point d'équilibre entre la grande entreprise et l'organisation non gouvernementale. L'entreprise a des ressources, une histoire, des employés, etc. Nous devons nous donner le même levier en gagnant divers appuis. Le reste est question de timing. Aucune entreprise forestière n'aurait signé cette entente il y a cinq ans. Elles n'étaient pas assez mal en point, le dollar canadien n'était pas à parité avec la devise américaine, et la concurrence était moins présente. Nous sommes conscients que les entreprises jonglent avec plusieurs enjeux et qu'elles iront toujours au plus pressant. Aujourd'hui, le marché des forestières canadiennes est si érodé qu'elles ne peuvent se permettre de perdre d'autres clients. Or, les acheteurs européens réclament des produits forestiers récoltés selon des pratiques environnementales saines. Voilà pourquoi nous avons pu nous asseoir à la même table.

D.B. - Y a-t-il des sociétés avec lesquelles vous ne vous assiérez jamais ?

B.C. - Oui, toutes celles du secteur nucléaire. Depuis les années 1950, ces entreprises répètent les mêmes promesses vides. Notre point de vue sur ce dossier est clair : qu'on ferme tout, il n'y a rien à faire avec ce secteur.

D.B. - Comment la question environnementale évolue-t-elle ?

B.C. - Le virage est lent, mais il existe. Des entreprises se préoccupent vraiment de leur responsabilité sociale. Mais je ne suis pas naïf, je sais que plusieurs sociétés font du greenwashing [N.D.L.R. De l'écoblanchiment, un procédé de marketing qui projette une image écologique responsable, alors que plus d'argent a été investi en publicité " verte ", le tout sans avoir entrepris d'actions tangibles en faveur de l'environnement.] et que donner du rendement aux actionnaires passe avant le dossier environnemental.

D.B. - Outre celui des forêts, d'autres dossiers progressent-ils ?

B.C. - Celui des supermarchés. Lentement, la façon dont les grandes chaînes achètent leur poisson est en train de changer : elles évitent les espèces en voie d'extinction ou récoltées selon des méthodes destructrices. Pour l'instant, les détaillants ont éliminé des espèces peu vendues, comme le requin. Ils doivent aussi considérer le retrait d'espèces populaires lorsque celles-ci font l'objet d'une pêche destructrice. [N.D.L.R. Metro a terminé au 4e rang (sur 8) du palmarès Greenpeace des détaillants alimentaires pour ses actions entreprises pour protéger la ressource halieutique.]

D.B. - S'associer à Greenpeace est devenu un outil marketing. Comment évitez-vous qu'on vous utilise ?

B.C. - Greenpeace est une marque et nous devons la gérer. Par exemple, nous ne faisons aucun cobranding, nous ne concluons aucune association avec des entreprises ou des regroupements. Nous n'avons ni allié, ni ennemi permanent. Nous évaluons chaque situation isolément, ce qui peut signifier, par exemple, de reconnaître les mérites de Kimberly-Clark pour un dossier en particulier tout en poursuivant le boycott d'un de ses produits. Notre indépendance est capitale, mais nous n'hésiterons pas à louanger le bon travail et les progrès accomplis par une entreprise sur le plan environnemental.

D.B.- Greenpeace est le lobby environnemental le plus connu du Canada, vous avez un pouvoir énorme. Comment composez-vous avec les dommages collatéraux que vous causez ? Vous demandez-vous parfois si vous allez trop loin ?

B.C. - C'est une préoccupation constante. Des dommages collatéraux, il y en aura toujours. Nous savons que les employés des entreprises que nous ciblons subissent les effets de nos campagnes. Mais ce n'est pas nous qui avons choisi ces pratiques qui détruisent l'environnement. Je sais bien que l'avenir des employés des chantiers d'extraction de sables bitumineux n'est pas rose, mais mon travail consiste à forcer les sociétés pétrolières à trouver une façon durable de travailler. Je suis aussi conscient que faire la promotion des énergies renouvelables n'aidera pas les employés du secteur nucléaire.

D.B. - Y a-t-il eu des moments particulièrement sombres pour Greenpeace Canada ?

B.C. - Oui, il y a quelques années, le quotidien The Province a titré " Greenpeace va-t-il détruire la Colombie-Britannique ? ". Le message de l'article était sans équivoque : Greenpeace est l'ennemi de tous les habitants de cette province. Cela faisait référence à nos pressions sur l'industrie forestière, un des piliers de l'économie de la province. Greenpeace s'est questionnée, mais la décision a été de maintenir nos pressions, car notre cause est juste.

D.B. - Greenpeace est-elle une organisation entêtée ?

B.C. - Nous pouvons adopter une ligne dure à l'occasion, mais nous ne sommes pas une organisation inflexible.

D.B. - Quelles qualités votre organisation recherche-t-elle chez ses leaders ?

B.C. - D'abord, beaucoup de connaissances. De nombreux gens d'affaires nous voient comme des " poseux de bannières ", alors que ce n'est qu'une infime partie de notre travail. On oublie que notre mission comporte deux volets : dénoncer et trouver des solutions. Dénoncer est facile, mais trouver des solutions est drôlement plus exigeant.

Il faut repérer les personnes qui ont vraiment de l'influence dans chaque dossier pour s'adresser directement à eux, car ils sont les catalyseurs de changement. Cela exige une bonne compréhension de la société civile et de son fonctionnement. Notre action est très stratégique.

Le monde des affaires sous-estime souvent les compétences des membres de Greenpeace qui leur font face.

D.B. - Vous vous définissez comme un optimiste...

B.C. - C'est exact. Je ne serais pas ici si je croyais qu'il n'y a rien à faire pour sauver l'environnement. Dans le dossier des changements climatiques, par exemple, de nombreuses solutions techniques existent. Il reste à les implanter. Mais je suis patient. Tous les membres de Greenpeace le sont. Nous avons une vision à long terme, pour nous le dossier environnement n'est pas la " saveur du mois ". Vous nous croiserez sur votre chemin demain et après-demain.

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