" Certaines transactions créent de la valeur, d'autres détruisent les entreprises "

Publié le 06/03/2010 à 00:00

" Certaines transactions créent de la valeur, d'autres détruisent les entreprises "

Publié le 06/03/2010 à 00:00

La Montréalaise Allison Dent déménage ce mois-ci à Londres, d'où elle dirigera Global M&A, un groupe mondial qui se spécialise dans les fusions et acquisitions dans le marché des entreprises de moyenne taille. Cette jeune femme de 37 ans a déjà fondé trois entreprises. La première remonte à son adolescence : un club de gardiennage dont chaque membre devait lui verser 10 % de ses cachets ! La deuxième, U-swap.com, sorte de eBay pour étudiants, est devenu le plus important réseau pour les 18-25 ans en Amérique du Nord. La troisième, Synergis Capital, cofondée avec Stéphane LeBouyonnec, est membre du réseau Global M&A. Le conseil et les membres de Global M&A ont unanimement choisi Allison Dent pour réaliser une mission délicate : transformer cette association sans but lucratif en entreprise véritable. Nous l'avons rencontrée dans un salon privé du Club Mont-Royal, juste avant son départ pour Londres.

Diane Bérard - Comment réagissez-vous lorsqu'on dit : " Pas une autre entreprise d'ici vendue à des Américains ! "

Allison Dent - J'essaie de rationaliser. De me dire qu'il s'agit d'un compliment pour nos entrepreneurs, que cela signifie qu'ils ont du flair et du talent. Sinon, on ne leur aurait pas fait d'offre. Parfois aussi, je sais que la vente est une étape nécessaire. La croissance de l'entreprise plafonne et les projets à venir exigent trop de ressources, l'entrepreneur ne peut y parvenir seul. Alors, j'essaie de tirer le maximum pour ceux qui restent. Que la transaction devienne une réelle occasion de croissance. Mais, même dans le cas des meilleures transactions, j'éprouve toujours un peu de tristesse. Comme vous, je souhaiterais que ce soit chaque fois l'entreprise québécoise qui achète.

D.B. - Y a-t-il toujours un gagnant et un perdant dans toutes les transactions ?

A.D. - Non. En fait, c'est loin d'être la situation idéale. Certains clients laissent leurs frustrations de côté parce que le prix qu'ils paient ou qu'ils reçoivent compense. Mais pour moi, une transaction c'est bien plus qu'un prix.

D.B. - Avez-vous le sentiment que vos clients vous dévoilent leurs motivations véritables ?

A.D. - C'est mon travail de les découvrir. Je fais ce métier parce que je comprends les êtres humains. Dans ma famille, nous sommes toutes un peu " sorcières " lorsqu'il s'agit de " lire " les gens. Petite, lorsque nous croisions des gens dans la rue et que ma mère leur faisait la conversation, je savais tout de suite s'ils lui plaisaient ou pas. C'est ce que j'appelle " sentir " les gens. Et puis, je ne me contente jamais d'affirmations simples de la part de mes clients du genre : " Je veux devenir le plus important. " Cela ne veut rien dire. Le plus important quoi ? Pour quelles raisons ? Veut-il vraiment devenir le plus important ou plutôt le plus efficace ou le plus spécialisé ? Chaque entreprise a sa stratégie, et en principe, chaque entrepreneur possède sa vision. C'est la responsabilité du conseiller en fusions et acquisitions de le comprendre.

D.B. - Qu'est-ce qui nous étonnerait le plus à propos de votre métier ?

A.D. - La moitié des transactions se terminent de façon opposée à la manière dont elles ont débuté.

L'entrepreneur qui voulait vendre finit par nous avouer qu'il préférerait réaliser des acquisitions s'il en avait les moyens. Alors, nous lui trouvons du financement plutôt qu'un acheteur. Quant à l'entrepreneur qui affirmait vouloir acheter, il nous laisse souvent entrevoir qu'au fond il est fatigué et aspire plutôt à une retraite paisible. Alors, nous vendons.

D.B. - Vos transactions se terminent-elles toujours bien ?

A.D. - Non. Je travaille avec des êtres humains et mes transactions sont à leur image : certaines sont intéressantes et créent de la valeur, alors que d'autres ne créent rien. Parfois même, certaines transactions mènent à la destruction de l'entreprise. Je me souviens de cet entrepreneur qui savait fort bien que l'acheteur liquiderait sa PME et licencierait ses employés pour ne conserver que la liste de clients. J'en ai discuté avec lui, mais il a vendu quand même, car il voulait son argent. Ce n'est pas le plus beau côté de notre métier.

D.B. - Votre transaction idéale ?

A.D. - L'entreprise où le numéro deux a patienté pendant des années pour décrocher sa place au soleil. Après la vente, le nouvel acheteur l'a promu dirigeant. Aujourd'hui, l'entreprise est mieux gérée, les employés bénéficient de programmes de formation et un système de bonis a été implanté. Autrement dit, en trouvant le bon acheteur nous avons permis à ce cadre de s'épanouir.

D.B. - Quelle est la partie la plus agréable de votre métier ?

A.D. - La négociation ! J'adore négocier et j'ai l'énergie qu'il faut pour tenir le coup jusqu'à la fin. Je suis très patiente et je sais décoder les signes. Il y a quelque chose de très physique dans une négociation. Lorsque votre vis-à-vis cède, son corps parle. C'est à ce moment-là que je sors le contrat avec toutes les clauses.

D.B. - Le mot synergie est très à la mode, signifie-t-il vraiment quelque chose ?

A.D. - On l'emploie beaucoup, c'est vrai. Et souvent à tort, pour bien paraître. Mais ce n'est pas du vent. Des synergies, cela se calcule. C'est la somme de l'argent qu'on gagnera et celle qu'on économisera grâce à cette transaction. Cela exige des heures de travail. Si vous écrivez dans le contrat que l'achat de l'entreprise A permettra des synergies de 100 millions, vous devez détailler ligne par ligne, dollar par dollar, d'où viendra cette somme. C'est ainsi que les transactions sérieuses sont réalisées.

D.B. - Le Québec se vend-il bien ?

A.D. - Le Québec et le Canada sont faciles à vendre aux acheteurs internationaux. Nous sommes rassurants. Ils aiment notre côté structuré, réservé et notre système bancaire ! Et puis, les acheteurs internationaux savent que plusieurs entrepreneurs québécois et canadiens n'ont pas de relève, ce qui fait de leur entreprise des cibles de choix. Pour les entrepreneurs, ces acheteurs internationaux, surtout européens, sont intéressants, car ils paient des prix plus élevés que les Américains.

D.B. - Les Chinois vont-ils nous acheter en bloc ?

A.D. - Il y a un gros effet de mode attaché à la Chine. Mais il faudra patienter avant d'assister à de véritables transactions matures. Les Chinois ne vendent pas leurs entreprises à des étrangers. Pour l'instant, tout ce que l'on peut espérer, ce sont des joint venture.

D.B. - Et la Russie ?

A.D. - Pour l'instant, les entreprises de cette région font surtout des affaires entre elles.

D.B. - Dans quels pays observe-t-on le plus d'action en matière de fusions et acquisitions

A.D. - D'abord, au Brésil : une culture européenne et un processus de négociation semblable à celui du Québec. C'est aussi un marché qui offre un volume intéressant. On voit aussi beaucoup de transactions de qualité issues de la Norvège, de la Suède et de la Suisse.

D.B. - Quels secteurs sont ciblés ?

A.D. - Les métaux, bien sûr, la demande mondiale croît constamment. La santé aussi. Les occasions associées à la réforme Obama vont transformer certaines de nos entreprises en cible. On va vouloir les acheter pour tester leurs produits et services avant de les lancer sur le marché américain.

D.B. - Et quelle est votre mission au cours des prochains mois ?

A.D. - Uniformiser les façons de faire de nos 44 bureaux internationaux afin que nous agissions comme une vraie entreprise, et non plus comme le regroupement que nous étions. Je dois veiller à ce que nous travaillions tous avec les mêmes outils, que nos présentations aux clients se ressemblent, ultimement, que notre façon d'entrer en contact avec nos clients soit semblable, quel que soit le pays. Ce sera tout un défi. Il est question d'unir des cultures et des personnalités fortes.

D.B. - Quelle serait votre transaction de rêve ?

A.D. - Vendre une entreprise techno super-nichée à Bill Gates ou à Steve Jobs.

Le pourquoi

Allison Dent a fait deux fois la prestigieuse liste finale du Top 40 under 40, un concours national qui met en vedette les leaders de moins de 40 ans. Elle appartient au club sélect des financiers québécois. Au terme d'un processus de plusieurs mois, une firme de chasseurs de têtes et le conseil d'administration de Global M&A, de Londres, l'ont choisi à l'unanimité pour mener la réunification d'une société qui compte 44 bureaux.

Le chiffre

5

Nombre de langues que Mme Dent parle; l'anglais, le français, l'espagnol, l'italien et le japonais.

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