" Aucune préqualification n'est appliquée, je peux soumissionner contre des bandits ! "

Publié le 11/12/2010 à 00:00

" Aucune préqualification n'est appliquée, je peux soumissionner contre des bandits ! "

Publié le 11/12/2010 à 00:00

Jacques Lamarre a dirigé SNC-Lavalin pendant 13 ans, à la suite de son frère Bernard. Jeune ingénieur, M. Lamarre a participé au chantier du Stade Olympique. Puis, en 1979, il a témoigné à la Commission Malouf qui a tenté de faire la lumière sur les dérapages de ce chantier. Trente et un ans plus tard, l'industrie de la construction vit une autre crise. Les Affaires a rencontré Jacques Lamarre au Club Mont-Royal, pour recueillir son point de vue sur ce secteur qu'il connaît si bien et parler du rôle de patron, qui lui a valu le titre de pdg canadien de l'année, en 2004.

Diane Bérard - L'industrie de la construction se porte très mal. Québec doit-il intervenir ?

Jacques Lamarre - Absolument. On a fait des commissions, Cliche, Gaspésia, etc., et c'est toujours pareil. Mettre des gars en prison tous les 15 ans ne donne rien. Le système est perverti. Si j'étais le chef du Québec, je laisserais la police liquider le passé, trouver les coupables, et je m'occuperais du futur en votant immédiatement une loi pour changer les règles du jeu de l'industrie de la construction.

D.B. - Quel est le problème de ce secteur ?

J.L. - C'est un sujet délicat... Tout le monde a les mains liées : les entreprises autant que les syndicats. L'entrepreneur qui décroche un contrat doit composer avec les travailleurs que le syndicat choisit d'envoyer sur son chantier. Un risque qu'aucun autre secteur n'assume. Quel entrepreneur accepterait de travailler avec des employés sélectionnés par d'autres ? Et si la firme d'ingénierie veut choisir elle-même ses ouvriers, elle doit " se montrer reconnaissante " envers le syndicat afin qu'il la laisse faire. C'est ainsi que s'est installée une culture de pots-de-vin. De son côté, le syndicat est également coincé : il aimerait envoyer ses meilleurs éléments, mais il subit de la pression de la part de ses membres qui ne travaillent pas. Bref, ce système ne pourrait fonctionner que s'il n'y avait que de bons ouvriers. Ce qui est impossible. L'autre problème est l'absence d'alignement entre les intérêts des travailleurs et ceux de l'entrepreneur. Lorsque le projet tourne mal, les employés sont payés quand même. Pire, s'il s'étire, les ouvriers gagnent plus.

D.B. - Les syndicats constituent-ils le problème ?

J.L. - Non. J'aime les syndicats, les bons syndicalistes et les bons travailleurs. Mais, en ce moment, le système ne rend justice à personne. Le respect a disparu et tout le monde en paie le prix.

D.B. - Et le processus d'appel d'offres gouvernemental ?

J.L. - Il témoigne d'un manque de respect envers les soumissionnaires. Aucune pré-qualification n'est exigée, je peux soumissionner contre des bandits ! Le gouvernement doit développer un processus avec des règles claires et l'appliquer de façon transparente. La firme qui ne se qualifie pas doit savoir pourquoi. Ainsi, elle peut s'améliorer et être admissible la prochaine fois.

D.B. - Croyez-vous que les firmes de génie-conseil ont elles-mêmes du travail à accomplir pour ramener la confiance dans le secteur de la construction ?

J.L. - Je ne sais pas. Le dossier le plus délicat est probablement celui des contributions aux partis politiques par les employés. Celles-ci peuvent donner une impression de retour d'ascenseur. Or, SNC-Lavalin a perdu les deux plus gros contrats gouvernementaux des dernières années, ceux des autoroutes 25 et 30. Pour moi, c'est la preuve que les dons que notre personnel fait librement n'ont rien à voir avec le résultat des appels d'offres. Pour les autres firmes, je ne peux pas me prononcer.

D.B. - Comment devrait-on régler le dossier du financement des partis ?

J.L. - J'ai essayé de faire ma part : je voulais qu'on recueille les dons aux partis politiques à la même période que les dons à Centraide. Nous aurions publié le total des dons de nos employés aux différents partis en même temps que notre contribution à Centraide. Évidemment, contrairement à Centraide, SNC n'aurait pas égalé les dons politiques de ses employés ! J'ai proposé ma solution au Directeur général des élections du Canada et il a refusé. J'ai dit : " Que le diable l'emporte ! " et j'ai fermé le dossier.

D.B. - Concernant le rôle de pdg, vous citez le courage comme une qualité essentielle. Comment différencier un pdg courageux d'un pdg entêté ?

J.L. - Lorsque votre conseil comprend pourquoi vous défendez une idée, c'est que vous faites preuve de courage. Si votre démarche n'a aucun sens aux yeux d'observateurs extérieurs, cela signifie que vous êtes guidé par vos émotions ; c'est de l'entêtement.

D.B. - Avez-vous déjà eu envie de " congédier " votre conseil ?

J.L. - (rires) Disons que je ne lui ai jamais dit " Si vous ne faites pas ça, je démissionne ! " Mais il m'est arrivé de dire " Si vous n'acceptez pas ceci, je serai obligé de vous remplacer ! "

D.B. - Un pdg peut-il modifier sa stratégie en cours de route ? Comment le conseil doit-il réagir ?

J.L. - Trop de pdg se " peinturent dans un coin " avec leur stratégie. Pour la réaliser coûte que coûte, ils prennent de mauvaises décisions. Il arrive que la situation ne soit pas telle qu'on l'a évaluée : c'est alors la responsabilité du pdg de dire qu'il faut ajuster le tir. Et celle du conseil de ne pas le pénaliser pour sa franchise. Par contre, le conseil doit se méfier du pdg qui ne joue pas franc-jeu en disant " Ce n'est pas tout à fait ce que je vous ai dit... ".

D.B. - Quelle est la responsabilité la plus délicate du pdg ?

J.L. - Gérer les nominations et leurs conséquences sur les relations au sein du personnel. Ma méthode était simple : avant d'accorder une promotion, je vérifiais toujours auprès des employés concernés s'ils étaient d'accord. Il faut s'assurer que tout le monde a la bonne place dans l'autobus, mais aussi que chacun est heureux de la place que les autres occupent. Ainsi, les employés pouvaient rentrer chez eux et dire à leur conjoint " Le pdg m'a demandé mon opinion ".

D.B. - Quel a été votre outil de gestion le plus précieux ?

J.L. - Le temps. Dans le cas des nominations, il m'est arrivé de retarder une décision pour laisser le temps aux employés récalcitrants de mettre de côté leur émotion. Souvent, ils comprenaient pourquoi j'avais choisi tel candidat et se rallaient à ma décision. Pour le reste, j'ai toujours réclamé 12 heures de réflexion avant de décider. Rares sont les décisions qui ne peuvent attendre au lendemain. La nuit porte toujours conseil.

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