" À quoi sert un quota de femmes cadres s'il n'y a pas de candidates ? "

Publié le 05/03/2011 à 00:00

" À quoi sert un quota de femmes cadres s'il n'y a pas de candidates ? "

Publié le 05/03/2011 à 00:00

Parmi les 180 plus importantes sociétés allemandes, une seule est dirigée par une femme, SKW Métallurgie. Il s'agit d'Ines Kolmsee, et sa société fabrique des produits chimiques pour l'industrie de l'acier. Au cours des deux dernières années, l'expansion géographique de SKW s'est accélérée, ce qui a forcé la pdg à revoir la structure de l'entreprise... et son propre emploi du temps. Ines Kolmsee a aussi tenu tête à ses actionnaires pour maintenir son plan de développement à long terme en dépit de la crise économique. Je l'ai jointe en Autriche, où elle faisait un séjour de ski avec son mari et ses trois enfants.

Diane Bérard - Vous avez été recrutée comme pdg d'une société à actionnaire unique. Depuis décembre 2006, SKW est cotée en Bourse. Est-ce plus exigeant maintenant ?

Ines Kolmsee - Non. En fait, je me sens plus libre. Lorsque vous avez plusieurs actionnaires au lieu d'un seul, vous jouissez d'une marge de manoeuvre plus importante pour la prise de décision.

D.B. - Brésil, Bhoutan, Russie... Sous votre direction, la société SKW Métallurgie prend rapidement de l'expansion géographique. Comment contrôlez-vous les risques associés à une croissance trop rapide ?

I.K. - Je ne les ai pas contrôlés. J'étais partout, je voyageais entre l'Allemagne, le Brésil et le Bhoutan, constamment sous l'effet du décalage horaire. J'ai dû me rendre à l'évidence : il fallait revoir notre structure et recruter. Nous étions fiers de notre organisation minimaliste, mais elle était incompatible avec notre plan de croissance.

D.B. - Comment un pdg sait-il que son entreprise s'étend trop loin, trop vite ?

I.K. - Je n'arrivais plus à parler une fois par semaine à tous mes directeurs principaux. Privée d'un accès régulier aux informations du terrain, je mettais en péril la suite des choses. J'ai donc revu ma gestion du temps et de mes responsabilités.

D.B. - Expliquez-nous brièvement votre modèle d'affaires.

I.K. - Nous vendons des produits chimiques servant au traitement de l'acier. Ceux-ci ne représentent qu'une infime part du coût de fabrication de l'acier, mais ils sont essentiels. Cela explique que nos clients acceptent des prix élevés. Par contre, nos produits deviennent rapidement des marchandises, ce qui nous oblige à constamment investir dans la R-D pour les remplacer.

D.B. - Votre secteur est-il en expansion ?

I.K. - Géographiquement seulement, car on observe peu de nouvelles utilisations de l'acier. Notre croissance passe donc par les nouveaux clients des pays émergents.

D.B. - SKW Métallurgie est le premier investisseur allemand du Bhoutan et le plus gros investisseur étranger. N'est-ce pas une position risquée ?

I.K. - Vous savez, pour nous, le Bhoutan est beaucoup moins exotique qu'il n'en a l'air. D'abord, nous y sommes grâce à un partenariat avec une firme locale, TAI, que nous connaissons depuis 1995. Nous sommes partenaires en Inde. La décision d'ouvrir cette usine bouthanaise fut donc prise rapidement : nous connaissions le partenaire, nous avons rencontré des représentants du gouvernement, nous avons eu confiance. Le Bouthan se trouve entre deux pays très corrompus, l'Inde et la Chine, mais lui l'est peu. [Le Bhoutan occupe le 36e rang sur 178 du classement selon l'indice de perception de la corruption de Transparency International.]

D.B. - Et en Russie, à combien évaluez-vous le risque d'affaires, sur une échelle de 1 à 10 ?

I.K. - Je dirais 7. Il faut protéger nos usines contre le vol de métaux précieux et nos employés contre les demandes répétées de pots-de-vin. Pour tenir le coup là-bas, une entreprise doit élaborer une politique anti-corruption très claire et s'y tenir. Le pdg doit aussi être cohérent : n'exigez pas d'un côté que votre division russe soit rentable tout de suite et, de l'autre, que vos employés respectent la politique anti-corruption; c'est incompatible.

D.B. - Pouvez-vous donner un exemple concret de demande de pot-de-vin que vivent vos employés en Russie.

I.K. - Là-bas, les pompiers sont particulièrement corrompus. Or, ce sont eux qui accordent plusieurs permis d'exploitation pour les usines. À plusieurs reprises, ils ont exigé des voyages tous frais payés en France - nous avons une usine près de Paris - en échange desdits permis. Nos employés ont la consigne de refuser et d'emprunter la voie officielle, plus longue, pour décrocher ces permis.

D.B. - Comme pdg, comment se prépare- t-on à transiger avec des partenaires d'autres cultures ?

I.K. - Je me présente avec l'esprit ouvert au lieu de me dire que je sais tout et qu'ils ne savent rien. Je ne suis pas comme ces pdg qui ont une vision du monde centrée sur l'Europe ou sur les États-Unis. Dans un pays étranger, j'observe beaucoup.

D.B. - Comment SKW est-t-elle passée à travers la crise ?

I.K. - Nous avons effectué des coupures, comme toutes les entreprises. Mais, notre budget de R-D est demeuré intact et notre plan de diversification géographique aussi. Pour tenir le coup, nous avons lancé de nouveaux produits et misé sur une approche à valeur ajoutée. Au lieu de vendre uniquement des produits, nous proposons aux clients de traiter leur acier avec nos produits, dans nos usines.

D.B. - Vous avez tenu tête à vos actionnaires qui exigeaient davantage de coupures...

I.K. - En effet, j'ai dit : " Ceci est ma stratégie à long terme et je n'en dérogerai pas. " De toute façon, chacun y allait de sa solution anti-crise. Si j'avais affronté un bloc monolithique, j'aurais remis en question ma stratégie. Mais il n'y avait aucun front commun.

D.B. - Vous êtes la seule femme à la tête d'une société publique allemande. Qu'est-ce que votre ADN a de différent ?

I.K. - Ce n'est pas mon ADN qui est différent, c'est mon parcours ! On ne m'a pas nommée à la tête d'une grande société publique, j'ai joint une petite société privée qui est devenue une grande société publique. J'ai créé mon poste. J'aurais fait face aux mêmes barrières que les autres professionnelles allemandes si j'avais été cadre intermédiaire d'une grande société visant un poste de pdg.

D.B. - Malgré tout, vous êtes opposée aux quotas pour les postes de gestion accordés aux femmes. Pourquoi ?

I.K. - La plupart du temps, ils ne sont pas réalistes et causent plus de tort que de bien. À quoi sert de m'imposer un quota de femmes cadres s'il n'existe pas de candidates pour combler ces postes ? Il faut considérer le bassin de candidates disponibles dans chaque industrie, établir des quotas particuliers et promouvoir les cas de réussite.

D.B. - Vous affirmez que, pour augmenter le nombre de femmes cadres, ce n'est pas l'attitude des hommes envers les femmes au travail qui doit changer, mais leur attitude dans la vie privée. Expliquez.

I.K. - Les patrons savent que les femmes portent encore la responsabilité de la vie familiale. C'est pourquoi ils hésitent à leur donner une promotion, craignant qu'elles s'absentent trop souvent. Tant que les hommes ne quitteront pas plus souvent à 17 heures et qu'ils ne prendront pas congé en cas de maladie des enfants, l'attitude des patrons envers les femmes cadres n'évoluera pas.

D.B. - Éprouvez-vous des difficultés à recruter des femmes scientifiques ?

I.K. - Oui. Les femmes choisissent leur employeur en fonction du produit qu'il fabrique, elles ont besoin de l'aimer et de s'y identifier. Les hommes, eux, choisissent en fonction des perspectives de carrière. Alors, quand on produit de la poudre pour la désulfuration de l'acier, vous comprendrez qu'il faut travailler très fort pour attirer des femmes. En vantant notre côté international, par exemple.

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