Le PDG idéal

Publié le 01/10/2009 à 00:00

Le PDG idéal

Publié le 01/10/2009 à 00:00

Quelles qualités - de coeur, de corps et de l'esprit - font le patron idéal ? Commerce a posé la question à trois recruteurs, à un psychologue, à un banquier, à un analyste financier, à un gestionnaire de fonds, à un administrateur et à un spécialiste des relations publiques.

En 2000, lorsque le légendaire Jack Welch a quitté GE, qu'il dirigeait depuis 22 ans, le conseil n'a pas eu à chercher loin pour le remplacer. C'est Jeff Immelt, jusqu'alors président de la division des équipements médicaux, qui a repris les commandes. L'histoire est connue. Mais peu de gens savent que deux autres candidats internes étaient sur les rangs : Robert "Bob" Nardelli et James McNerney. Home Depot est venu chercher le premier et 3M a mis le grappin sur le second. À présent, Bob Nardelli dirige Chrysler, et James McNerney est PDG de Boeing.

Tout était planifié depuis six ans. À partir du moment où Jack Welch s'est mis à songer à la retraite, GE a commencé à concevoir un autre patron. Mieux, elle en a conçu trois, pour avoir le choix. Commerce aussi a décidé d'en créer un : le patron parfait. Il s'agit, bien sûr, d'un idéal. Mais plutôt que de considérer cet idéal comme une mission impossible, il faut y trouver une source de réflexion et d'inspiration pour ceux qui exercent - ou qui souhaitent exercer - des fonctions dans des domaines les plus exigeants qui soient : la gestion des êtres humains.

Une vraie vision

Définir son marché, déterminer qui sont ses concurrents et ses alliés, tout cela est plutôt facile pour un dirigeant, constate Richard Joly, président de Leaders & Cie, une firme de recrutement de cadres. Par contre, rares sont ceux qui savent déceler les occasions que ce marché recèle, en profiter et passer à l'action.

Il cite l'exemple d'Alain Bou-chard, président de Couche-Tard. "D'abord, il connaît très bien son métier, son secteur et son positionnement dans le marché. Mais c'est aussi un grand stratège. Il n'a pas besoin d'une batterie de consultants pour lui dire comment faire rouler des dépanneurs."

Certains dirigeants semblent lire l'avenir. Or, la vision n'est pas le fruit d'un don mystique, dit Jan B. King, ancienne présidente de Merritt Publishing, auteure et coach de PDG. "Les bons dirigeants cherchent constamment des occasions pour leur entreprise. C'est une discipline qu'ils s'imposent tous les jours. Ce qui ressemble à de la clairvoyance est en fait le résultat d'un travail constant et acharné pour assurer la pérennité de leur entreprise", dit-elle.

L'intégrité

"C'est là une des conditions non négociables du poste de président", croit Jean-Claude Lauzon, directeur général du bureau montréalais de Korn/Ferry. Il s'agit, entre autres, de donner l'exemple. Comme Yvon Charest, président de l'Industrielle Alliance, qui milite en faveur d'un modèle de rémunération des dirigeants en fonction de la prise de risque et de l'équité à l'interne. "Ce président n'est pas le mieux payé de son industrie, mais c'est de loin celui qui redonne le plus", soutient Richard Joly. En 2008, Yvon Charest a gagné 1,9 million de dollars, sans prime de rendement. Selon le Centre canadien de politiques alternatives, la rémunération moyenne des PDG des 100 plus grandes entreprises canadiennes de son industrie est de 10 millions de dollars, alors que les employés gagnent en moyenne 40 000 dollars.

Être intègre, c'est aussi résister à la tentation des raccourcis dangereux. "Il est très facile, pour un PDG, de réduire les budgets de R-D pour présenter une belle image aux actionnaires, mais c'est le début de la fin pour l'entreprise", dit Jean-Claude Lauzon.

L'intégrité va bien au-delà du fait qu'on ne vole pas ses actionnaires, selon Jean Lacouture, vice-président de l'Institut des administrateurs agréés. C'est aussi une question de transparence.

Le courage de décider

On paie les PDG pour qu'ils prennent des décisions. Or, ils le font de moins en moins, selon certains recruteurs, dont Nathalie Franscici, vice-présidente de Mandrake. "Et je ne parle pas nécessairement de décisions difficiles, mais de décisions au quotidien !" dit-elle. Peut-on les blâmer ? Depuis des années, les ouvrages de management prônent la gestion participative. Le but était noble : amener les employés à se responsabiliser, et leurs patrons, à recueillir de nouvelles idées auprès de ceux-ci. Certains patrons semblent plutôt avoir compris qu'il fallait laisser les décisions aux employés...

Pas le patron idéal. "Quelqu'un doit trancher et ce n'est ni le conseil d'administration, ni les actionnaires, ni l'équipe, c'est lui !" affirme Gaétan Morin, premier vice-président, Investissements, au Fonds de solidarité FTQ.

Si les patrons manquent parfois de courage, c'est peut-être en raison des risques. "Il est impossible de rassembler toute l'information nécessaire avant de prendre une décision, dit Claude Paquet, psychologue industriel et vice-président de Dolmen Capital Humain. Chaque décision comporte sa part de risque." D'ailleurs, rares sont les PDG, même parmi les plus admirés, qui n'ont jamais connu d'échecs. Avez-vous déjà essayé le Apple Power MacG4 Cube ? Ce serait étonnant, car c'est un des flops les plus retentissants d'Apple. Cette fois-là, Steve Jobs s'est trompé.

Il y a les décisions risquées, comme le lancement d'un nouveau produit, et les décisions difficiles, comme le congédiement des employés. Or, si celles-ci peuvent être difficiles pour des gestionnaires de premier niveau, elles le sont beaucoup moins pour des PDG. "À de très hauts niveaux, vous devenez comme une machine. Vous êtes là pour la cause, pour l'entreprise, et vous êtes prêt à tout pour réussir. La prise de décisions de ce genre fait partie du poste", dit Jean Guilbault, ancien président de Héroux Devtek et de Rolls Royce Canada, aujourd'hui recruteur chez Dolmen Capital Humain.

Éliminer des postes quand les choses vont mal, c'est ce que l'on attend d'un PDG. Il faut beaucoup plus de courage pour aller à contre-courant de ce que veulent les marchés, pense pour sa part Valérie Gauthier, vice-rectrice de HEC Paris. "Les PDG doivent tenir compte de l'impact social et environnemental de leur entreprise et lui donner une direction en ce sens. Pour le faire, ils devront avoir le courage de ne pas céder à la pression du court terme", explique-t-elle.

Le sens du marketing

Avoir du leadership, c'est "embarquer tout le monde dans la chaloupe et les faire ramer dans le même sens", dit Gaétan Morin, du Fonds de Solidarité FTQ. Le PDG est le vendeur le plus important de l'entreprise, ajoute Jean Lacouture, qui a lui-même dirigé une entreprise pendant 22 ans. Jack Welch disait que tout leader devrait être capable de nommer et d'expliquer clairement à quiconque les trois priorités de son entreprise.

"Les excellents patrons font preuve d'une capacité de synthèse exceptionnelle,", dit Bernard Motulski, titulaire de la Chaire de relations publiques et de communication-marketing à l'Université de Montréal. Il cite l'exemple de Henri-Paul Rousseau. On aura beau le blâmer pour les déboires de la Caisse de dépôt, il reste un orateur efficace. "Il présente seulement deux ou trois idées simples et il y revient constamment, note Bernard Motulski. Et si on veut le pousser plus loin, il est aussi capable de plus de profondeur. Ce n'est pas juste une couche de vernis", ajoute le coauteur du livre Comment parler aux médias.

Bon communicateur ne signifie pas nécessairement communicateur flamboyant. Les meilleurs PDG n'imposent pas leurs vues lors d'une réunion. Ils prennent des notes et ne se prononcent qu'à la fin, pour faire la synthèse de tout ce qui s'est dit. "Ils ne quittent jamais une réunion sans donner un plan d'action", souligne Daryl White, chef de l'investissement chez BMO Marché des capitaux.

D'ailleurs, les dirigeants les plus respectés n'ont pas toujours besoin de parler : "Quand les cadres supérieurs d'une entreprise entrent dans une salle de réunion, on sait souvent qui parmi eux est le grand patron", continue Daryl White. Serait-ce le fameux charisme ? "Souvent, ce sont leurs réalisations qui les précèdent et qui parlent pour eux", dit Claude Paquet, de Dolmen Capital Humain. Réussir donne confiance en soi, et la confiance attire la réussite. "De la confiance, il en faut une bonne dose pour exercer cet emploi, dit le recruteur Jean Guilbault, car quelle que soit la décision que vous prendrez, on vous jugera. Je ne voudrais pas d'un PDG qui se laisserait constamment influencer par les événements."

Le PDG aura beau afficher la mine la plus optimiste, pour les financiers, seuls les résultats comptent. Pour se permettre des extravagances à la Sir Richard Branson, le président de Virgin, il faut une feuille de route impeccable. "Prenez le président de Potash, William Doyle, illustre Raquel Castiel, vice-présidente et responsable de la gestion du portefeuille d'actions américaines chez Investissements Standard Life. Il est flamboyant, c'est son style. Mais on le connaît et on sait qu'il est performant."

Polyvalence

"Un prétendant au poste de PDG doit oublier sa vie antérieure. S'il était comptable, il ne deviendra pas le super comptable de l'entreprise", dit Jean Guilbault. Trop souvent, les nouveaux présidents abordent leur rôle avec un seul point de vue, celui qu'ils connaissent déjà.

Daryl White, de BMO Marché des capitaux, constate que les bons PDG sont aussi habiles en marketing et en production qu'en ressources humaines ou en gestion financière. "Ils ne sont pas experts dans tous ces domaines, mais ils n'ont de faiblesses marquées dans aucun d'entre eux", dit-il. Le chef de la direction n'a pas besoin d'être meilleur que son chef des finances, "mais il doit connaître ses chiffres, ajoute Raquel Castiel, sinon, c'est carrément insultant pour le chef des finances".

Le PDG idéal peut jouer sur deux tableaux : l'ensemble et les détails. Il a l'intelligence de savoir quand intervenir et quand rester à l'écart. "S'il y a une crise, les bons PDG mettront la main à la pâte, car les conséquences pour l'entreprise peuvent être graves. En d'autres circonstances, il doit savoir laisser jouer ses équipes, ne serait-ce que pour ne pas tuer leur créativité", conclut Daryl White.

Le sens politique

Rien ne prépare le PDG au grand paradoxe de fonction : être celui qui a le plus de pouvoir dans son organisation, mais aussi celui qui peut le moins s'en servir !

"Il y a une quantité de choses que vous ne pouvez plus faire, et d'autres aspects que vous êtes seul à gérer, comme les exigences d'un client important, l'impatience de votre banquier, les attentes des actionnaires...", résume Jean Lacouture, qui a mis sur pied Huis Clos, une firme qui organise des rencontres confidentielles de PDG désireux de partager leurs expériences. "C'est un métier qui s'apprend à partir du jour 1 de sa nomination..."

Non seulement les PDG doivent être polyvalents, mais ils doivent aussi s'adapter à un environnement changeant. "Prenez par exemple le secteur des médias : le modèle d'affaires actuel est obsolète, le prochain n'est pas encore inventé, et on dit aux dirigeants : "Maintenant, faites de l'argent !"" dit Richard Joly.

Globe-trotter

Mondialisation oblige, le super PDG doit savoir ce qui se passe à l'extérieur de son entreprise. "C'est ce que j'appelle avoir un passeport plein d'estampes, dit Jean-Claude Lauzon. Les PDG doivent comprendre les enjeux des pays du Maghreb, les tensions au Moyen-Orient, pourquoi la Chine tient aux Wigours, ce qui se passe au Honduras et ce que signifie l'acronyme BRIC..."

Une entreprise comme Rio Tinto Alcan, par exemple, qui possède 40 usines dans 27 pays, ne pourrait pas se passer d'une femme comme Jacinthe Côté à sa tête. Elle sait que la consommation de son produit croît au même rythme que le PIB par habitant. Ce n'est pas un hasard si tous les jours, elle consulte les indicateurs économiques des pays en émergence. "Les dirigeants québécois de cette trempe sont rares. Au Québec, on les compte sur les doigts d'une main", ajoute Jean-Claude Lauzon.

L'humilité

Le leader de niveau 5 que décrit dans son livre Jim Collins, auteur du best-seller Good to Great, est l'exemple parfait du leader humble. Pour Richard Joly, Jacques Lamarre, l'ancien président de SNC Lavalin, incarne cette qualité. "Ce n'est pas une vedette, et pourtant, il a fait de SNC la plus grande firme d'ingénierie du monde", dit-il.

Un bon président doit avoir suffisamment confiance en lui pour prendre des décisions, mais ne pas avoir un ego gonflé au point de n'en faire qu'à sa tête. "Il y a 30 ans, le PDG disait : "On tourne à droite", et tout le monde tournait à droite sans poser de questions, dit Gaétan Morin, du Fonds de solidarité FTQ. Cette forme de dictature est terminée. De nos jours, un président qui ne s'assure pas de l'adhésion de ses troupes n'ira nulle part."

Les PDG ne peuvent plus ignorer les enjeux environnementaux et sociaux qui bousculent la planète. "Sinon, ils mettent leur entreprise en péril, car cela signifie qu'ils sont déconnectés de leurs employés et de leurs clients", dit Sidney Ribeaux, cofondateur et coordonnateur général d'Équiterre, qui souhaite voir les PDG agir plus et parler moins. D'après lui, il faudrait plus de dirigeants comme Alain Lemaire, le président de Cascades. "Il est sensible à ces questions, et il gère son entreprise en s'appuyant sur les trois piliers du développement durable : l'environnement, la société et l'économie."

La résilience

On parle peu de la santé du PDG comme d'un critère de réussite. Pourtant, quand celle-ci flanche, la Bourse s'emballe. Autrefois, les dirigeants discutaient affaires autour de dîners bien arrosés. Aujourd'hui, ils prennent plutôt des petits-déjeuners... après s'être entraînés ! "La plupart d'entre eux sont très disciplinés. Ils annulent rarement leur rendez-vous chez le médecin et font régulièrement un bilan de santé", confie Doris Langlois, entraîneur personnel rattaché au club sportif MAA, au centre-ville de Montréal, qui entraîne une demi-douzaine de PDG québécois connus.

La bonne santé physique apporte un équilibre et une résilience supplémentaires face à l'adversité.

Le sens de l'humour

Neuf travailleurs sur dix pensent qu'il est important qu'un patron ait le sens de l'humour. "Cela permet de désamorcer une situation tendue, souligne Nathalie Franscici. L'humour lui permet aussi de se rapprocher de ses employés." Le rapprochement nécessaire pour que ceux-ci aient envie d'aider leur PDG, affirme Jean Lacouture. "Je dis souvent aux présidents que s'ils ont des problèmes, ce ne sont pas les actionnaires qui les aideront, mais leurs employés. Si un dirigeant n'a pas su créer des liens avec son personnel au fil du temps, celui-ci ne sera pas là pour lui quand il en aura besoin."

kathy.noel@transcontinental.ca

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