«On répète "Travaillez fort, vous en récolterez les fruits." Cela ne s'applique qu'aux hommes blancs.» - Aminatou Sow, cofondatrice Tech LadyMafia


Édition du 25 Novembre 2017

«On répète "Travaillez fort, vous en récolterez les fruits." Cela ne s'applique qu'aux hommes blancs.» - Aminatou Sow, cofondatrice Tech LadyMafia


Édition du 25 Novembre 2017

Par Diane Bérard

En 2014, le magazine Forbes l'a élue dans son classement «Top 30 under 30» pour la technologie. L'Américaine Aminatou Sow fait du lobbying pour que les femmes cessent de quitter le secteur de la technologie ou renoncent à y entrer. Son action cible à la fois les médias, les entreprises, le gouvernement et les femmes. Elle était de passage à Montréal pour le forum Femmes, leadership et communication d'Infopresse.

L'entrevue

n° 339

Diane Bérard - Vous illustrez bien notre époque : vous avez acquis votre éducation technologique en ligne et auprès de votre communauté...

Aminatou sow - En effet, je suis diplômée en science politique. C'était en 2007, au début de la crise économique. Pas d'emploi à l'horizon, et la prise de conscience du fossé entre les connaissances et les compétences acquises à l'université et celles requises pour décrocher le type d'emploi auquel j'aspirais. Nous étions plusieurs copines à Washington à réaliser nos lacunes en technologie. Nous en avons regardé des tutoriels !

D.B. - En 2015, Google vous a recrutée pour joindre sa division d'impact social. C'était un emploi de rêve, pourtant vous l'avez quitté. Pourquoi ?

A.S. - Je menais toutes sortes de projets personnels parallèles. En 2012, j'ai cofondé la communauté Tech LadyMafia, avec mon amie Erin Meyer. En 2014, j'ai lancé le podcast Call Your Girlfriend, avec mon amie Ann Friedman. Tous ces projets connaissaient un certain succès, mais je me suis demandée: «Que se passerait-il si j'y consacrais 100 % de mon temps ?»

D.B. - Le premier projet qui vous a rendu célèbre est Tech LadyMafia. Comment est-il né ?

A.S. - Un jour, une copine m'a montré un article datant de 1967, du magazine Cosmopolitan, qui s'intitulait «The Computer Girls». Il initiait les lectrices à un secteur émergent féminin, la programmation. On y mentionnait les excellents salaires liés à cette profession qui ouvrait de nouveaux horizons professionnels et financiers aux femmes. Aujourd'hui, où sont les programmeuses ? Quant aux rares femmes qui bossent à Silicon Valley, elles gagnent jusqu'à 61 % moins que leurs collègues masculins, selon la firme de recherche Joint Silicon Valley Venture. Tech LadyMafia n'a qu'un but : sensibiliser les femmes et les hommes à l'enjeu des femmes dans le secteur de la technologie afin qu'il en résulte davantage d'occasions pour elles.

D.B. - Quel but visez-vous ?

A.S.- Nous voulons proposer des solutions. Il est vrai qu'on trouve peu de femmes en technologie. Les médias soulignent régulièrement cette pénurie. Toutefois, j'en connais beaucoup qui travaillent dans ce secteur. Nous leur offrons un canal où s'exprimer et se développer pour se faire connaître... et reconnaître. Tech LadyMafia est un groupe fermé où nous tenons de vraies conversations. La plus récurrente est liée au salaire : «Facebook m'a offert cet emploi. Voici la description, combien devrais-je être payée ?» On se coach aussi entre nous pour les compétences de gestion : «Je viens d'être promue. Je n'ai jamais géré personne avant, quels conseils pouvez-vous me donner ?» Ou encore, «Voici ce qui m'est arrivé. Je crois qu'il s'agit de harcèlement, ou je suis victime de discrimination, qu'en pensez-vous ? Comment puis-je en parler avec mon supérieur ?» Ou bien, «Je souhaite une promotion, je veux m'améliorer dans ma tâche. Sur quoi devrais-je me concentrer ?»

D.B. - Y a-t-il des hommes dans ce groupe ?

A.S.- Non, ce ne serait pas utile pour le type de discussions que nous souhaitons. Cependant, nous avons un groupe informel d'hommes que nous consultons régulièrement. Pour connaître le salaire d'un homme qui occupe un poste équivalent à celui d'une de nos membres, il faut le demander à un homme.

D.B. - Quelles réalisations attribuez-vous à Lady TechMafia ?

A.S. - Nous travaillons sur plusieurs fronts à la fois. Nous avons changé la couverture de la technologie de certains grands médias. Votre média a besoin d'une astronome ? Il y en a dans notre groupe. Une astronaute ? Nous en avons aussi ! Nous contribuons ainsi à normaliser la présence des femmes en technologie. Nous améliorons aussi le sort de celles-ci. Nous constatons une amélioration du salaire de nos membres. En moyenne, elles gagnent plus qu'il y a quatre ans, au moment de la fondation de notre organisation. Leur salaire a augmenté parce qu'elles l'ont réclamé, ou parce qu'elles ont eu une promotion. Nous incitons aussi les femmes à persévérer, à envisager leur présence dans cette industrie comme une carrière, pas un passage. Ce sera difficile. Mais nous leur rappelons que nous sommes 3 000 qui sont là pour les aider à s'accrocher.

D.B. - De nombreuses études affirment que la diversité est bonne pour les affaires. Pourtant, de nombreuses entreprises résistent à l'hétérogénéité. Pourquoi est-ce le cas selon vous ?

A.S. - Les biais individuels de dirigeants sont plus forts que le capitalisme. C'est une affaire d'individus, pas d'entreprise. Facebook ne dit pas, par exemple : «Je n'embaucherai personne de plus de 50 ans ou de femmes.» Ce sont les individus qui recrutent qui ne sont pas prêts à faire tout ce qui doit être fait pour que l'entreprise soit plus profitable. Si on décortique tous les points de chute des entreprises, toutes ces fois où elles ont échoué, tôt ou tard vous découvrirez un biais humain. Prenez le cas d'Uber, une entreprise hyper-profitable. Qu'est-ce qui est en train de la faire tomber ? Le harcèlement sexuel. Uber n'a pas réussi à offrir un environnement sain et sécuritaire pour ses employées. Ce biais se révèle plus puissant que son désir de faire de l'argent et que son modèle d'affaires.

D.B. - Comment combat-on les biais individuels qui mènent à la discrimination au travail ?

A.S. - Dans le cas des sociétés technologiques, il faut leur servir leurs propres arguments. Ces sociétés ne jurent que par les mégadonnées. Elles ne peuvent pas dire qu'elles se fient aux données pour développer leurs produits, puis les ignorer au moment de composer leurs équipes. Or, les données affirment que la diversité est rentable.

D.B. - Vous blâmez aussi le mythe de la méritocratie pour la discrimination professionnelle. Expliquez-nous.

A.S. - On répète «Travaillez fort, vous en récolterez les fruits.» Cela ne s'applique qu'aux hommes blancs. Sur une période de 10 ans, plus de la moitié des femmes quittent les sociétés technologiques. Elles quittent un des secteurs les plus prometteurs de l'économie. Pourquoi ? Elles regardent en haut de la pyramide et ne voient personne qui leur ressemble. Ou, pire encore, il n'y a qu'une femme. C'est le syndrôme Sheryl Sandberg. Cette femme est formidable, mais il en faut une dizaine comme elle. Seule, elle ne peut rien faire. Chaque fois qu'une femme se trouve seule à la table, elle devrait se demander : «Comment pourrais-je en amener trois autres ?»

D.B. - Quels sont les piliers de la méthode Sow pour induire le changement ?

A.S. - Reposez-vous sur la force du nombre. Parlez constamment de l'enjeu que vous attaquez. Acceptez d'être le visage de votre cause. Attaquez-vous à la racine du problème. De nombreux progrès exigent un changement de législation, sinon, ils ne durent pas.

Consultez le blogue de Diane Bérard : www.lesaffaires.com/blogues/diane-berard

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