Entrevue n°317: Irina Shames, ex vp ventes, CNN International


Édition du 25 Février 2017

Entrevue n°317: Irina Shames, ex vp ventes, CNN International


Édition du 25 Février 2017

Par Diane Bérard

Irina Shames roule sa bosse dans le secteur des médias depuis une dizaine d'années. Elle siège aussi à l'antenne new-yorkaise de l'International Adversiting Association (IAA). Mme Shames a été conférencière lors de l'événement Infopresse «Télévision et multiécran» du 22 février dernier.

L'entrevue

n° 317

Diane Bérard - Que pensez-vous de la façon dont les médias vendent leur lectorat aux annonceurs ?

Irina Shames - On décompose trop le consommateur d'information. On s'imagine qu'il n'est qu'un aspect de lui à la fois. Pourtant, il écoute peut-être CNN juste avant de se rendre à une classe de yoga ou au gym. Si on pense de façon plus holistique, on ratera moins d'occasions d'affaires.

D.B. - Un nouveau titre émerge, CMTO (Chief Marketing Technology Officer). Quel impact cela aura-t-il sur le secteur des médias ?

I.S. - La fusion de la fonction marketing et de la techno rappelle que la techno est le plus important catalyseur des bouleversements de notre secteur. Pour le meilleur et pour le pire. Nous subissons le pire depuis des années. Apprenons à profiter du meilleur.

D.B. -Votre profil LinkedIn indique que vous êtes spécialiste de la création, de l'innovation et de la monétisation dans le secteur des médias. Beaucoup de médias créent. Monétiser des créations est moins évident...

I.S. - Ce n'est pas parce que l'on crée que l'on est créatif. De nombreux médias traditionnels refusent d'essayer des approches créatives pour générer de nouveaux revenus. Même si la publicité classique rapporte de moins en moins, il est plus facile de s'en tenir à ce que l'on connaît. Et puis, les médias traditionnels craignent de mener des projets pilotes avec une marque, parce que «ça ouvrirait la porte aux demandes des autres marques». Mais il n'y a pas que l'attitude. La structure des médias traditionnels freine souvent les innovations qui pourraient mener à la monétisation. Trop de services à consulter, trop d'approbations à obtenir.

D.B. - Selon vous, MTV et Fox News sont deux exemples de stratégies à ne pas suivre. Pourquoi ?

I.S. - Ces médias misent sur des stratégies à court terme. J'ai travaillé chez MTV. C'était l'icône de l'avant-garde. Un jour, YouTube a approché MTV pour diffuser leurs vidéos sur le Web. MTV n'y voyait aucun intérêt. Elle a choisi d'ignorer YouTube, «en attendant que ça passe». Aujourd'hui, MTV est un dinosaure. Et, pour s'en sortir, elle vise les adolescents qui regardent la télé en rentrant de l'école. Connaissez-vous des ados qui ont ce comportement ? Quant à la direction de Fox News, elle cherche encore à tirer la majorité de ses revenus de la télévision.

D.B. - Parlez-nous du virage de CNN...

I.S. - J'ai dirigé les ventes de CNN International pendant deux ans. La première année, lorsque je rencontrais des clients, ils me parlaient tous de notre chaîne de télé en continu. Pour eux, CNN se limitait à ça. Après un an, le discours a changé. On me parlait de l'application, on évoquait des revenus numériques et des revenus sociaux. Les revenus de télé diminuent, soit, mais les revenus totaux, eux, augmentent. Les médias doivent accepter que certaines activités, autrefois lucratives, seront réalisées à perte parce que les revenus sont redistribués. Au lieu de gaspiller du temps et des ressources en tentant de rentabiliser ces activités, mieux vaut développer de nouvelles sources de revenus pour les financer.

D.B. - Pourquoi le site Buzzfeed est-il un modèle de succès ?

I.S. - Ce site a été lancé en 2006. Il ne suivait aucun modèle d'affaires des médias traditionnels ni aucun historique. Il a été démarré avec un seul but : capter rapidement l'attention du plus grand nombre de consommateurs d'information. La direction de Buzzfeed s'est montrée ouverte à ce qui s'est présenté à elle. Une marque approchait le site pour qu'il lui crée du contenu ? Buzzfeed acceptait. Pendant ce temps, les CNN de ce monde disaient non à cette forme de contenu commandité (branded content). Ou ils tergiversaient en se passant la balle d'un service à un autre. Buzzfeed a bâti un solide modèle de revenus et une base de lecteurs. Cela étant acquis, le site a commencé à produire ses propres textes, en plus d'agréger les contenus les plus populaires. Il a recruté Ben Smith, du site Politico, pour s'aventurer dans le journalisme sérieux long format. Les médias établis, eux, parcourent la route inverse. Ils tentent d'ajouter au journalisme traditionnel du contenu à monétiser. C'est beaucoup plus ardu.

D.B. - Certains médias traditionnels ont-ils réussi leur virage ?

I.S. - Le New York Times et le Washington Post sont de bons exemples de repositionnements réussis. Le New York Times, par exemple, tire toujours des revenus des abonnements corporatifs qui donnent accès aux articles derrière le mur payant, mais il accepte le déclin de certaines sources de revenus. Il a investi, entre autres, dans la vidéo ainsi que dans des applications de réalité virtuelle. [NDLR : Le NYT a annoncé au début de février qu'il produira un podcast quotidien.]

D.B. - Les nouvelles sources de revenus, comme le marketing de contenu, peuvent-elles remplacer entièrement les revenus publicitaires traditionnels ?

I.S. - Non, ce n'est pas possible. Les nouvelles sources de revenus ont un coût. Elles exigent une plus grande contribution de la part du média. Il faut plus de travail pour superviser du contenu commandité que pour afficher des bannières publicitaires.

D.B. - Le contenu commandité que créent les marques est-il plus pertinent et efficace que la publicité traditionnelle ?

I.S. - De nombreuses marques deviennent des médias, mais peu d'entre elles réussissent. C'est un métier et ce n'est pas le leur. Chez CNN, j'ai souvent eu à dire à des clients : «Le contenu que vous voulez produire ne rejoindra pas nos lecteurs. Travaillons ensemble pour le revoir afin qu'il touche mieux la cible.»

D.B. - Les sources les plus innovantes de génération de revenus sont-elles les plus lucratives ?

I.S. - L'innovation stimule le progrès, mais elle ne rapporte pas nécessairement tout de suite. Et une innovation ne rapporte pas toujours en elle-même. Elle peut stimuler une autre idée qui, elle, sera rentable. Il est également possible qu'elle ne rapporte jamais. Cependant, on ne s'en sort pas : il faut prendre des risques.

D.B. - Vous avez travaillé en Europe et en Amérique du Nord. Quelles différences observez-vous entre ces deux univers médiatiques ?

I.S. - C'est aux États-Unis que naissent les nouveaux médias ainsi que les sociétés de publicité numérique. C'est un environnement dynamique, créatif et concurrentiel. En Europe, l'industrie bouge lentement. Les médias n'ont pas accès à cette effervescence. Toutefois, ils peuvent observer et apprendre des médias américains pour être prêts lorsque leur tour viendra.

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