«Du jour au lendemain, nous avions presque trop d'argent à dépenser» - Tobias Lütke, fondateur et pdg de Shopify


Édition du 27 Février 2016

«Du jour au lendemain, nous avions presque trop d'argent à dépenser» - Tobias Lütke, fondateur et pdg de Shopify


Édition du 27 Février 2016

« Nous voulons outiller les détaillants de manière à ce qu’ils puissent offrir une expérience « amazonesque » à leurs clients », explique Tobias Lütke, pdg de Shopify. [Photo : Cindy Boyce]

Alors que les anciennes coqueluches du commerce en ligne, dont Gilt Groupe, Etsy et Fab, ont perdu beaucoup de valeur, rien ne semble ralentir l'ascension de Shopify, qui offre une plateforme de création de boutiques en ligne.

La société d'Ottawa, qui a fait son entrée en Bourse en mai 2015, a même vu ses revenus progresser de pas moins de 99 % en un an. Pour comprendre comment Shopify fait pour prospérer dans une industrie aussi difficile, nous avons interviewé son pdg, Tobias Lütke, qui était de passage à Montréal le 18 février pour inaugurer les nouveaux bureaux de l'entreprise. Son objectif ? Faire passer l'effectif de Shopify à Montréal de 50 à 200 employés.

Les Affaires - Shopify fait un bon travail pour démocratiser la vente en ligne auprès des petits détaillants. Toutefois, le véritable problème des petits détaillants est de trouver le moyen de résister à Amazon. Comment pensez-vous qu'ils peuvent tirer leur épingle du jeu ?

Tobias Lütke - Amazon va gagner avec tous les produits qui ont un code à barres. Autrement dit, il n'y aura jamais de boutique Shopify qui aura du succès en vendant du détergent Tide, parce que c'est ce que fait Amazon. On n'y peut rien. Quand même, beaucoup de produits intéressants vont échapper à Amazon. Presque tous les meubles de nos nouveaux bureaux à Montréal ont été achetés dans des boutiques Shopify. Et ce sont justement des objets qui ne laissent personne indifférent.

L.A.- Concrètement, que faites-vous pour aider les petits détaillants ?

T.L. - Nous voulons outiller les détaillants de manière à ce qu'ils puissent offrir une expérience «amazonesque» à leurs clients. Aujourd'hui, on leur permet de faire leurs envois à partir de centres de distribution partenaires, d'acheter leurs étiquettes de livraison directement auprès de nous et même d'offrir la livraison le même jour grâce à notre partenariat avec Uber dans des villes comme Los Angeles, San Francisco, New York et Toronto.

L.A. - Shopify a beau avoir son siège social à Ottawa, une ville bilingue, votre produit ne donne pas la possibilité aux détaillants d'offrir une expérience entièrement bilingue. Cela se réalisera-t-il bientôt ?

T.L. - Oui, ça s'en vient. Cela dit, notre priorité est de permettre aux gens de gérer leur boutique en ligne dans la langue de leur choix. Nous investissons dans ces choses, mais je n'ai rien à annoncer aujourd'hui.

L.A. - Vous avez de nombreux concurrents, comme Bigcommerce et Squarespace. Comment faites-vous pour vous en démarquer ?

T.L. - Ces entreprises sont très différentes de la nôtre. Ce qui distingue Shopify, c'est que le problème que nous avons voulu résoudre est celui des multiples canaux de vente. À la fin de la journée, les marchands devaient noter ce qu'ils avaient vendu sur leur site Web, dans leur boutique physique et sur Amazon Marketplace, puis entrer ces données dans un chiffrier et espérer ne pas avoir vendu plus que ce qu'il y avait en stock. Essentiellement, chaque marchand à qui nous parlions était devenu un système d'intégration humain. C'est la raison pour laquelle ces marchands n'affichaient pas de croissance, car ils ne voulaient pas ajouter de nouveaux canaux de vente. Nous avons fait de notre outil de création de boutiques en ligne «l'application qui tue» de notre offre, mais dans les faits, notre produit est une plateforme qui donne la possibilité à nos marchands de vendre sans effort par l'intermédiaire de multiples canaux de ventes. C'est encore aujourd'hui notre stratégie, et c'est la raison pour laquelle on permet aux marchands de vendre directement sur Facebook et sur Pinterest.

L.A. - Vous parlez d'intégration de multiples canaux. Que pensez-vous des systèmes de points de vente, un créneau dans lequel vous êtes en concurrence avec Lightspeed, une des start-up montréalaises les mieux financées ?

T.L. - Je pense que l'industrie [des systèmes de points de vente] est à un stade préhistorique et que Lightspeed est en train de changer les choses. Lightspeed est très forte pour les détaillants ayant plusieurs emplacements. Ce n'est pas un marché que nous visons. Nous avons bâti le système de points de vente de Shopify comme un autre canal de vente. Ça s'adresse davantage à un détaillant qui ouvre sa première boutique physique ou qui vend ses produits dans un salon d'artisanat. La raison pour laquelle on l'a bâti est qu'on a eu énormément de requêtes de nos clients qui voulaient synchroniser les ventes réalisées par leur système de point de vente avec leurs autres canaux de vente sur Shopify.

L.A. - Lightspeed a acheté la plateforme de boutiques en ligne SEOshop en novembre dernier. Souhaiteriez-vous faire de même en achetant un fournisseur de systèmes de points de vente en ligne ?

T.L. - Ça ne fait pas partie de nos plans actuellement. Les systèmes de points de vente, c'est un passe-temps pour nous. Ça prend beaucoup de discipline pour ne pas dévier de notre chemin, car nous devons constamment nous adapter à de nouvelles manières de vendre. Pour nous, le plus important est de nous assurer que Shopify reste extrêmement simple à utiliser.

L.A. - Le fait que Shopify soit devenue une société à capital ouvert est-il une source de distraction ?

T.L. - Au départ, Shopify était destinée à être une entreprise traditionnelle qui verse ses bénéfices à ses dirigeants, à la manière des entreprises européennes. C'est probablement parce que je suis allemand que j'avais cette vision. Après avoir fait un premier tour de financement en 2010, nous avons dû nous transformer en entreprise à grande croissance. La transition a été difficile, car du jour au lendemain, nous sommes passés d'une entreprise qui n'avait jamais d'argent à une entreprise qui en avait presque trop à dépenser. C'est difficile, car il faut s'assurer que chaque dollar qu'on dépense rapporte ; c'est là qu'on a commencé à faire des prévisions financières. J'ai l'impression que la différence, depuis que nous sommes en Bourse, est que nous devons maintenant partager plusieurs choses que nous faisions déjà quand nous étions une société à capital fermé.

L.A. - Quel est l'impact de l'entrée en Bourse sur vos employés ? Y a-t-il eu des départs ? A-t-on vu apparaître des Ferrari dans le stationnement ?

T.L. - Certaines personnes ont acheté des choses que je n'aime pas. Shopify a créé beaucoup de millionnaires et, malgré tout, il n'y a eu presque aucun départ. On a aussi observé un fort gain de confiance en soi chez les employés.

L.A. - Vous faites partie des rares start-up technos canadiennes qui sont entrées en Bourse au cours des dernières années. Que pouvez-vous faire pour stimuler l'écosystème de start-up au Canada ?

T.L. - Nous travaillons avec des accélérateurs, car nous croyons que notre boutique d'applications est méconnue des start-up en tant que moyen de commercialiser leur technologie. Par exemple, il y a une application grâce à laquelle les clients d'une boutique Shopify peuvent soumettre une photo d'eux portant les vêtements qu'ils viennent d'acheter. Ça s'appelle «Action Shots», et les créateurs de cette application font des millions de dollars. Pourquoi ? Parce que 250 000 commerçants sont sur la plateforme et, si vous leur proposez une application qui leur permettra d'augmenter leurs ventes, ils l'achèteront. De nombreuses start-up dans les villes où nous avons des bureaux bâtiront ce type d'applications, car nous allons mettre nos employés à disposition des accélérateurs pour répondre aux questions de leurs entrepreneurs. Il s'agit de quelque chose qui va de soi dans la Silicon Valley, mais qu'on veut implanter au Canada.

PROFIL

Shopify (SH, 29,09 $)

Activite: Plateforme de création de boutiques en ligne

Siège social: Ottawa

Année de fondation: 2004

Nombre d’employés: 1 100

Capitalisation boursière: 2,18 G$

Revenu en 2015: 205,2 M$

Perte nette en 2015: 18,8 M$

Suivez Julien Brault sur Twitter @julienbrault

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