Michael ­Slaby: un chef du numérique doit être empathique

Offert par Les Affaires


Édition du 28 Octobre 2017

Michael ­Slaby: un chef du numérique doit être empathique

Offert par Les Affaires


Édition du 28 Octobre 2017

Par Diane Bérard

Michael Slaby, fondateur de Timshel et chef de la technologie pour les deux campagnes d’Obama

À l'approche des élections municipales québécoises, Les Affaires s'est entretenu avec l'Américain Michael Slaby, stratège numérique des deux campagnes d'Obama, aujourd'hui entrepreneur. Sa société, Timshel, crée des outils numériques augmentant l'impact des organisations qui s'attaquent à des enjeux sociaux.

Diane Bérard - Michael, à quoi vous employez-vous ?

Michael Slaby - Je travaille à l'intersection de la technologie et de la politique. J'emploie la technologie et les données pour soutenir les organisations qui tentent de résoudre des enjeux sociaux, environnementaux ou civiques. Il peut s'agir d'organisations à but non lucratif, des groupes de défense, des campagnes électorales ou des entreprises à but lucratif. Elles ont comme point commun le désir de susciter un changement et veulent s'appuyer sur la technologie pour y arriver.

D.B. - À Montréal, on constate l'émergence d'une communauté « Tech for good ». Votre travail s'inscrit-il dans cette foulée ?

M.S. - Oui. J'en avais marre que ce qui compte le plus pour moi, le changement social, soit un hobby. J'ai donc décidé d'en faire mon emploi. C'est pourquoi j'ai fondé Timshel. Nous avons créé la plateforme Groundwork, qui permet aux organisations de mobiliser des communautés. D'autres experts comme moi suivent mon parcours. Le big data et la technologie en général sont orientés vers le marketing et la publicité. Ces projets sont tout à fait valables pour l'efficacité et la productivité des organisations. Si on est honnête avec soi-même, cependant, on constate qu'ils ne changent pas le visage de la société de façon sensible. Ça explique la montée du mouvement « Tech for good ». La prochaine étape consiste à attirer les spécialistes de la technologie dans l'univers social de façon permanente, afin que leur contribution ne se limite pas au pro bono ponctuel.

Connexion, le salon de la transformation numérique

D.B. - Vous vous élevez contre la « taxe sur le sens » (purpose tax). De quoi s'agit-il ?

M.S. - C'est cette idée absurde que la faible rémunération associée aux OBNL et aux entreprise sociales est compensée par le sens que chacun de ces emplois apporte à la vie des employés. On doit payer les gens en fonction de ce qu'ils valent. Les compétences d'un informaticien sont aussi précieuses à l'OBNL qu'à l'entreprise à but lucratif.

D.B. - Quel est l'impact de cette « taxe sur le sens » ?

M.S. - Elle empêche les entreprises sociales de recruter les meilleurs employés parce qu'elles ne peuvent pas leur offrir un salaire associé à leur niveau de compétence. En se privant des meilleurs talents, elles se privent aussi de la technologie la plus efficace et des résultats que celle-ci permet d'atteindre. Pendant les deux campagnes électorales américaines, l'équipe d'Obama a eu accès aux meilleurs experts en technologie parce que nos budgets atteignaient des milliards de dollars. C'est ce qui nous a permis d'atteindre notre but.

D.B. - Vous avez été chef de la technologie pour les deux campagnes électorales d'Obama. Le modèle de mobilisation que vous avez créé pour ces campagnes peut-il être repris ?

M.S. - J'en doute. Nous avons extirpé le maximum d'un cocktail d'outils numériques et de plateformes pour raconter notre histoire et rallier les partisans. Sans des ressources humaines financières importantes, nous n'y serions pas arrivés. Bien sûr, tous les mouvements n'ont pas l'ampleur de la campagne présidentielle américaine. Toutefois, je suis convaincu qu'une organisation qui veut opérer un réel changement social ne peut pas compter uniquement sur le bénévolat de compétence en technologie. Elle doit aussi s'appuyer sur des compétences internes.

D.B. - Une organisation plus modeste peut-elle tout de même s'inspirer de votre utilisation de la technologie à des fins de changement social ?

M.S. - Nous avons placé la technologie et les médias sociaux au coeur de notre stratégie. Nous n'avons pas ajouté un outil : nous avons créé un nouveau modèle organisationnel. Toutes les organisations peuvent s'inspirer de ce principe pour créer une communauté, susciter l'engagement et amorcer un changement.

D.B. - On vante le pouvoir de la technologie et des médias sociaux pour influencer le changement. Il faudrait aussi parler de l'envers de la médaille...

M.S. - Vous faites allusion à la perte de contrôle associée au dialogue avec l'extérieur ? À la peur que la technologie rende plusieurs emplois obsolètes ? Tout cela est bien réel. C'est pourquoi il faut recruter des leaders numériques empathiques qui reconnaissent que la révolution qu'ils amènent bouleversera la vie de plusieurs employés. Des leaders courageux qui sauront expliquer pourquoi il faut ajouter de nouvelles compétences à l'organisation sans nier la valeur des compétences existantes. Et non pas des leaders numériques qui affirment avec arrogance : « J'ai la solution, tassez-vous et laissez-moi l'implanter. »

D.B. - Vous insistez sur la nécessité d'avoir des leaders numériques empathiques. Expliquez-nous.

M.S. - L'empathie repose sur la capacité à bâtir des relations. À se montrer humble dans nos rapports aux autres. À être des humains complets conscients qu'ils sont en relation avec d'autres humains. À reconnaître qu'au travail nos relations sont intellectuelles et stratégiques, mais aussi émotionnelles. C'est ce que je tente de faire chaque fois que je travaille avec une nouvelle organisation. Je reconnais les peurs et les craintes que soulève la technologie. Les organisations avec lesquelles je travaille aspirent à créer des changements sociaux. Pour y arriver, elles doivent accepter de changer elles-mêmes et de s'appuyer sur la technologie. Il faut qu'on puisse en parler franchement avant d'amorcer la transformation.

D.B. - Vous tirez une satisfaction de votre engagement politique et social, mais vous vivez aussi une grande frustration. Laquelle ?

M.S. - La disparition de l'optimisme me tue. Ce négativisme est manifeste lorsque les gens ne croient pas qu'ils peuvent, que l'on peut, améliorer les choses. En fait, on est généralement optimiste avec les gens qu'on connaît bien. On leur donne une seconde chance. On les aide. Cependant, on a du mal à étendre cet optimisme et cette confiance à une échelle plus vaste. Il faut persévérer, tendre vers ce sens de l'unité (togetherness) et croire qu'ensemble on peut réaliser des choses qui nous semblent impossibles seuls. On peut choisir les voix qu'on veut écouter.

D.B. - L'idéalisme a-t-il sa place en politique et en économie ?

M.S. - Oui. La politique devrait porter nos plus grands idéaux pour nos familles, pour nos communautés, pour notre pays. Sinon, ça rime à quoi ? Les systèmes sont malléables. Ce n'est pas parce qu'un problème a toujours existé qu'il doit exister pour toujours. De nombreux groupes détiennent plus de pouvoir potentiel qu'ils ne le croient.

D.B. - Quel est selon vous l'enjeu principal de la politique ?

M.S. - Le financement. C'est ce qui détermine à qui les politiciens consacreront leur temps. C'est un problème de proximité. Plus vous passez de temps en compagnie d'un groupe, plus vous vous sentez proche de ses enjeux. C'est la nature humaine. Votre perspective est très différente selon que vous passez du temps avec des citoyens ou avec des lobbyistes et des donateurs.

Consultez le blogue de Diane Bérard : www.lesaffaires.com/blogues/diane-berard

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