Voici ce qu'un policier m'a révélé sur l'art de la vente

Publié le 13/04/2016 à 16:50

Voici ce qu'un policier m'a révélé sur l'art de la vente

Publié le 13/04/2016 à 16:50

Par Matthieu Charest

[Photo: Shutterstock]

Un vendeur, peu importe son domaine d’expertise — publicité, assurances, téléphones portables — doit vous persuader que son produit, que son service est le meilleur. Celui qui comblera vos besoins. Pour y arriver, il doit faire fi des objections, séduire, créer des liens.

N’est-ce pas la même chose pour un enquêteur lors d’un interrogatoire ? Il veut vous mettre à l’aise. Il veut que vous cessiez de le voir comme un ennemi, il doit devenir un confident. Il veut vous vendre l’idée de lui faire confiance.

Bien sûr, entre acheter le nouvel iPhone et avouer un crime, il y a une marge. Une immense différence.

Mais les techniques pour vous amener à passer à l’acte sont très similaires. Et si un homme peut vous amener à avouer un meurtre, il peut sans doute vous vendre le nouveau gadget électronique.

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L’interview-interrogatoire

C’est pour valider cette intuition que j’ai voulu interviewer Charles*, un policier qui cumule plusieurs années d’expérience dans les enquêtes et dans les interrogatoires.

Charles m’attendait à mon arrivée au poste. Il a fallu plusieurs semaines afin de trouver un moment pour ma visite. Enfin, nous y sommes. Sourire aux lèvres, habillé en civil, il me tend la main. Poignée ferme. Il respire la confiance. Il a de l’expérience aussi, il se spécialise dans les enquêtes depuis plusieurs décennies.

Des interrogatoires, il en a mené, il ne les compte plus. Mais cette fois-ci, c’est moi qui pose les questions.

«Je peux enregistrer ? Pour mes notes seulement».

«Pas de problème, me répond-il. Mais je reste anonyme. Je ne veux pas causer de problèmes à mon service. Moi, c’est Monsieur X».

C’est entendu.

Je lui réexplique la raison de ma visite. Il me parle de sa carrière. Rapidement, il m’explique comment il obtient des aveux. «C’est là que ça devient croustillant», me lance Charles, le regard complice. 

Effectivement, ce l’est.

Conseil n°1 : La préparation

«L’une des plus grosses erreurs que tu peux faire, c’est d’être mal préparé. Plus tu connais la personne avant de la rencontrer, plus tu augmentes tes chances de succès. C’est un pitch de vente que tu t’apprêtes à faire.

Si tu veux vendre un produit, faut que tu en saches le plus possible sur l’acheteur potentiel : pourquoi est-il là ? Qu’est-ce qu’il veut ? Tu dois comprendre quel est son type de personnalité. A-t-il des dettes ? Est-il en couple ? Quels sont ses loisirs ? Le plus tu en sais, le mieux c’est. Avant la rencontre, avant le pitch de vente, prépare-toi un plan détaillé».

Conseil n°2 : Identifier le type de personnalité

«Il y a quatre types de personnalité. L’analytique, l’amiable, l’expressif et l’exigeant. Tu dois t’adapter en conséquence. Ajuster ton approche, ton discours. Si tu as affaire à un exigeant, tu dois tout savoir sur le dossier, connaître l’affaire sur le bout de tes doigts. S’il le voit, s’il remarque que tu ne sais pas tout, il ne te fera pas confiance. Quant à l’expressif, tu dois lui vendre le résultat, il veut le meilleur produit. L’amiable, il veut ça simple, il veut que tout se passe bien.

Tu dois apprendre à les reconnaître».

Conseil n°3 : L’empathie

«D’abord, tu dois le mettre à l’aise. T’intéresser à lui. Rappelle-toi que s’il sort de cellule, il lui faut de la dignité. Est-ce que les policiers qui t’ont arrêté t’ont bien traité ? As-tu faim ? Veux-tu un café ? Est-ce que tout est en place pour que tu aies toute son attention ?

S’il y a un élément qui le stresse, il doit aller chercher ses enfants à l’école, par exemple, tu t’en occupes. Tu ne veux pas qu’il soit préoccupé, du moins, tu veux réduire son stress au maximum.

Puis, tu lui expliques qu’il est chanceux de te rencontrer, parce que toi, tu veux l’écouter, ou tu veux l’aider avec le meilleur service ou produit. Tu veux sa version des faits. “Écoute, je sais que ton avocat ne veut pas que tu me parles. Mais moi, je pense que c’est important que ta vision des choses fasse partie du rapport” ».

Conseil n°4 : Établir des liens communs

«Tu dois créer un contact avec lui. Il ne parle pas ? Lance-le sur un sujet qu’il connaît. Si sur sa page Facebook, tu vois des photos de voyage de golf ou si tu sais qu’il travaille dans la vente de téléphones cellulaires. Fais des références, intéresse-toi à ce qu’il fait, pas à son crime, ou encore au contrat que tu veux lui faire signer. “Belle journée pour jouer au golf” ou, “C’est dommage, on va manquer le tournoi de golf” ou “j’ai un téléphone Samsung; le iPhone, c’est meilleur ou non ?”

Là, la conversation est entamée. Tu ne parles pas nécessairement du crime ou du contrat, mais peu à peu, il va parler. C’est comme un crescendo, commence doucement, ensuite tu vas le confronter».

Conseil n°5 : Éliminer les négatifs

«On utilise des termes “moins gros”, on parle de l’événement, pas de l’agression sexuelle, pas de “crime, arrestation, procédures judiciaires ou victime”, tu utilises “personne, situation...” Le choix des termes est important : tu ne veux pas lui faire peur. Tu ne lui mens pas, mais tu lui présentes les avantages. “Tu n’as pas à m’avouer, mais tu peux m’expliquer. Saisis ta chance.”

Je veux qu’il soit convaincu qu’il fait une bonne affaire».

Conseil n°6 : Ne pas avoir peur des silences

«Si le suspect, ou ton client est fermé, présente-lui les faits. Laisse-le y penser. Le silence est pire pour lui que pour toi. De toute façon, le client, tu le sais si tu l’as intéressé ou non, par le non verbal».  

Conseil n°7 : L’environnement

«Dans la salle d’interrogatoire, tout est calculé. Souvent, le suspect ne verra pas la porte, pas de fenêtre, il n’y pas d’issues. Il y a tout de même une barrière psychologique qui demeure. Une fois que tu sens qu’il t’écoute, tu peux te rapprocher. Tu lui répètes que c’est bon qu’il te parle, tu peux lui effleurer l’épaule, une tape dans le dos.

N’oublie pas que tu es en mode écoute, ne gesticule pas trop, le ton de ta voix est important. Tu ne dois pas avoir l’air de le dominer, tu dois être détendu».

Conseil n°8 : La confrontation

«Tu lui vends l’idée que son aveu, c’est une bonne idée. Tu ne lui promets rien par contre. Tout est filmé. Mais à un moment donné, tu dois le confronter: “là, arrête de me raconter n’importe quoi, je le sais”, mais aide-moi à te comprendre.

Tu peux aussi mettre de la pression s’il y a deux personnes, deux suspects, comme deux acheteurs potentiels. “Lui, il va tout raconter ou lui, il va déposer une offre”. Tu peux bluffer, tu ne peux pas mentir. L’important, c’est que tu sembles lui avoir facilité la vie.

N’oublie pas que ces suspects-là, ou ces clients-là, tu risques de les revoir. Si tu leur mens, ils ne te feront plus confiance. Si tu as fait ta vente dans les règles de l’art, il va te respecter».

 

*Prénom fictif

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