Le partage du territoire


Édition du 20 Août 2016

Le partage du territoire


Édition du 20 Août 2016

[Photo : 123RF/Roman Fedin]

L'engouement pour le sport et les activités de plein air propulse la vente d'articles liés à leur pratique vers des sommets inégalés. Mais la concurrence féroce dans ce secteur du commerce de détail force les enseignes à innover.

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Acheter une glacière chez Mountain Equipment Co-op (MEC) était impensable il y a cinq ans. À l'époque, la chaîne originaire de Colombie-Britannique attirait principalement les «vrais» mordus de grands espaces : le genre à parcourir les contrées sauvages, tente sur le dos, davantage que le spécimen urbain en balade à Tremblant.

En 2012, le vent tourne : pour diversifier sa clientèle, MEC vend en magasin des articles qu'elle n'avait jamais tenus auparavant, dont des vélos, des vêtements et accessoires de yoga, et même de course à pied. Elle propose aussi les glacières, entre autres bricoles destinées aux sportifs du dimanche. Un an plus tard, la coopérative complète sa mutation en chassant les montagnes de son logo, histoire de montrer qu'elle ne cible pas que les alpinistes de ce monde.

«Il fallait qu'on se réajuste : c'était une question de survie, explique Emmanuelle Speer, directrice du magasin de Longueuil. Le secteur du plein air se démocratise et n'est plus réservé à une élite. L'important pour MEC, c'est d'amener les gens à jouer dehors, peu importe la façon.»

La transformation a porté ses fruits : le chiffre d'affaires a bondi de 21 % de 2012 à 2015, pour atteindre 366 millions de dollars. La coopérative inaugurera d'ailleurs cinq nouveaux magasins au pays en 2016, dont un au Québec en septembre prochain. Il sera situé à Laval, à l'angle de l'autoroute 440 et du boulevard Daniel-Johnson... à moins de 2 km de ses concurrents Sports Experts/Atmosphère et La Cordée.

Le succès de MEC caractérise-t-il l'ensemble du secteur de la vente de produits de sport et de plein air ? Difficile de le mesurer avec certitude, puisque Statistique Canada comptabilise les données relatives aux ventes de ces détaillants dans une catégorie fourre-tout qui comprend notamment des librairies et des magasins de musique. Aux États-Unis, ce type de produits - y compris les chaussures et lunettes de sport, mais pas les vêtements de prêt-à-porter - a généré des ventes de 63,7 milliards de dollars américains en 2014, en hausse de 18 % par rapport à 2010, selon les plus récentes données de National Sporting Goods Association.

Sport, plein air et loisir, même combat

Chose certaine, le créneau est en pleine croissance, selon Frank Pons, professeur au Département de marketing de l'Université Laval. L'adoption de saines habitudes de vie par un nombre croissant de personnes explique cette vigueur, dit-il. D'ailleurs, selon Statistique Canada, 54 % des Canadiens de plus de 12 ans pratiquaient une activité physique durant leurs loisirs en 2014, une tendance à la hausse.

Conséquemment, les frontières entre sport, plein air et loisir s'estompent : en même temps que l'offre des commerçants se diversifie pour suivre la vague, la concurrence s'accroît, selon M. Pons. «On avait, il y a quelques années à peine, des détaillants spécialisés dans des créneaux bien spécifiques, comme l'alpinisme. Aujourd'hui, les détaillants de "pur" plein air offrent des pantalons de yoga, et ceux jadis spécialisés dans le sport intègrent le plein air. Tout le monde se rend compte qu'il est important d'aller chercher d'autres marchés. Ça devient hypercompétitif, et cette concurrence met beaucoup de pression sur de plus petits acteurs ou sur les indépendants.»

Alors qu'il avait peu de concurrents de taille au tournant des années 2000, le pionnier La Cordée fait maintenant partie des plus petits joueurs du marché du plein air, constate son directeur du marketing, Yves Robert. «Le marché a totalement changé. On s'est ajusté en nous recentrant sur des disciplines de niche, comme le ski de fond et la randonnée pédestre. On a peut-être un plus petit chiffre d'affaires, mais la croissance s'est poursuivie.» La Cordée a aussi élargi son offre de produits complémentaires, dont les articles de voyage.

Même portrait du côté des détaillants indépendants. Le fait que MEC vende des vélos depuis quatre ans - un segment qui représente environ 20 % de son chiffre d'affaires, selon Emmanuelle Speer - n'effraie pas outre mesure Marc-André Lebeau, propriétaire de Bicycles Quilicot, un commerce centenaire présent à Montréal, Laval et Sainte-Thérèse. «On ne ressent pas encore trop les effets de la concurrence, car le marché du vélo spécialisé appartient encore aux indépendants. Par contre, il ne faut pas prendre les gros acteurs comme MEC de haut, car ils ont compris un principe que certains indépendants négligent : bien servir le client. Et ils soignent particulièrement bien la clientèle des purs cyclistes.»

En novembre 2015, FGL Sports lançait un nouveau concept de magasin combo Sports Experts/Atmosphère, axé sur la technologie. Par exemple, la succursale du Carrefour Laval compte près de 75 écrans tactiles fournissant de l’information sur les produits. [Pho

Redécoupage territorial

Acquise par Canadian Tire en 2011, FGL Sports exploite notamment 63 magasins franchisés Sports Experts au Québec, dont les deux tiers partagent l'enseigne avec Atmosphère, spécialisée en articles de plein air. Après avoir longtemps dominé le marché, ce détaillant a récemment vu arriver un concurrent imposant sur son terrain : l'enseigne Sportium, créée par les actionnaires de SAIL Plein Air (dont le Fonds de solidarité FTQ).

Installés depuis novembre à Québec et à Saint-Hubert, ces magasins géants - chacun est plus grand qu'un supermarché - proposent tout l'équipement lié aux sports d'entraînement et aux sports collectifs, comme la boxe, le hockey et le baseball, de même que les chaussures, les vêtements et les accessoires de prêt-à-porter. SAIL Plein Air, qui vient d'annoncer l'ouverture d'un troisième magasin à Laval en 2017, a toutefois décliné nos demandes d'entrevue, alléguant que le moment n'était «pas propice» pour divulguer ses plans de développement.

Selon Frank Pons, l'arrivée de Sportium vient bousculer «un ordre relativement bien établi depuis quelques décennies, note Frank Pons. On avait auparavant un quasi-monopole de Sports Experts à l'échelle du Québec. Maintenant, l'arrivée d'un nouvel acteur change les règles du jeu : on se partage à la fois le même territoire et les mêmes catégories de produits. Et ce, tant en magasin que sur le Web.»

En fait, la plupart des enseignes «sont sorties de leur zone de confort» pour ratisser plus large, poursuit-il. «En même temps, elles se sont rapprochées de leur clientèle en offrant différents concepts selon l'emplacement du magasin.» Par exemple, il y a près d'un an, la chaîne La Cordée avalait Le Yéti, un petit commerce du Plateau-Mont-Royal, qui complète l'offre de ses grandes surfaces de Montréal, Laval et Saint-Hubert. Privilégiera-t-elle désormais les petites surfaces spécialisées du genre ? «On n'est pas dans un mode de développement à tout prix, dit Yves Robert. On est attentif au marché québécois et ouvert aux occasions d'affaires comme celle que représentait Le Yéti [devenu La Cordée Boutique], mais on est encore au stade des idées.»

Sainte expérience client

Pour attirer et fidéliser une clientèle à la fois active et branchée, autant en magasin qu'en ligne, un concept est roi : l'expérience client omnicanal. Ainsi, en novembre, alors que Sportium commençait à piétiner ses platebandes, FGL Sports lançait un nouveau concept de magasin combo Sports Experts/Atmosphère, axé sur la technologie. Par exemple, la succursale du Carrefour Laval compte près de 75 écrans tactiles fournissant de l'information sur les produits. Le mur de chaussures est quant à lui doté d'une technologie de radiofréquence permettant au client de savoir si sa pointure est en stock.

«Au lieu de disparaître dans l'arrière-boutique pour vérifier la disponibilité du produit, le commis-vendeur peut se consacrer à l'expérience client, explique Jean-Stéphane Tremblay, vice-président exécutif de FGL Sports. On veut se rapprocher davantage de la clientèle et créer une véritable relation avec elle.»

Le site transactionnel de Sports Experts a lui aussi été lancé en novembre, comblant dans la foulée le retard que l'enseigne accusait sur la plupart de ses concurrents. Sa petite soeur Atmosphère, par contre, ne permet pas encore aux clients d'acheter par Internet, mais cela viendra, assure Jean-Stéphane Tremblay. «Compte tenu des investissements requis en temps et en argent, on développe les sites transactionnels une enseigne à la fois.»

Le facteur humain

Pilier de l'expérience client, l'employé est plus que jamais au coeur de la stratégie des commerces du secteur. Au-delà du vendeur, les commerçants recherchent des passionnés en mesure de conseiller judicieusement des clients qui en connaissent déjà un rayon sur les produits et les manufacturiers avant même d'avoir mis les pieds dans un magasin, affirme Jean-Stéphane Tremblay.

«On a revu le programme de formation afin d'insister sur l'expérience client. Le commerce change, il faut s'adapter.» Dans les nouveaux magasins Sports Experts/Atmosphère, le visage et la spécialité des vendeurs défilent sur un écran afin d'aider les clients à repérer le bon conseiller. En outre, le client peut aussi s'exprimer sur le service reçu grâce à des bornes interactives que les employés consultent régulièrement.

Chez MEC, quelques purs et durs ont grincé des dents lors du virage grand public de la coopérative, en 2012. Mais la grande majorité d'entre eux se sont vite ralliés avec enthousiasme, soutient Emmanuelle Speer. «Depuis le changement de logo, on attend davantage du service aux membres et on investit beaucoup dans la formation. On a aussi un budget afin que les employés puissent tester eux-mêmes l'équipement à l'extérieur. Bien sûr, MEC cherche idéalement des passionnés qui connaissent le plein air, mais l'important chez un candidat, c'est le sourire et le désir de servir la clientèle.»

MOUNTAIN EQUIPMENT CO-OP (MEC)

Chiffre d'affaires

→ 302 M$ en 2012 (16 magasins)

→ 366 M$ en 2015 (18 magasins)

Source : Rapport annuel 2015

FGL SPORTS (Sports Experts, Atmosphère, Sport Chek, etc.)

Croissance des ventes au détail

→ 13,3 % - 2012-2013

→ 15 % - 2013-2014

→ 5,7 % - 2014-2015

Source : Rapport 2015 aux actionnaires de la Société Canadian Tire

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