Entrevue n°161: Simon Chadwick, titulaire de la chaire de stratégie et marketing du sport, Coventry University

Publié le 08/06/2013 à 00:00

Entrevue n°161: Simon Chadwick, titulaire de la chaire de stratégie et marketing du sport, Coventry University

Publié le 08/06/2013 à 00:00

Par Diane Bérard

Simon Chadwick, titulaire de la chaire de stratégie et marketing du sport, Coventry University

Le Britannique Simon Chadwick se penche sur l'industrie du sport depuis 20 ans. Le journal The Independant l'a classé parmi les 10 tweeteurs d'affaires les plus pertinents de la Grande-Bretagne, et le Times estime qu'il est la référence européenne en matière de gestion du sport. Je l'ai rencontré à Brasilia, à la 15e Conférence internationale anticorruption.

Diane Bérard - C'est le week-end du Grand Prix de Formule 1 à Montréal. Est-ce un événement sportif payant ?

Simon Chadwick - La F1 rapporte moins à la ville hôte que les autres manifestations sportives. Son modèle est atypique. Il comprend très peu, voire souvent aucun, partage de revenus. La majorité de ceux-ci aboutissent dans les poches du grand patron, le Britannique Bernie Ecclestone. C'est très différent des matchs de soccer de la Ligue des champions européenne, par exemple, grâce auxquels les partenaires locaux reçoivent des redevances. Même les plus petites équipes reçoivent leur part.

D.B. - De quoi la ville hôte de la F1 tire-t-elle ses revenus ?

S.C. - Sa seule source de revenu direct est la vente de billets. À cela s'ajoute l'argent que les spectateurs et touristes dépenseront dans la ville lors de leur passage. Cela s'arrête là.

D.B. - Bernie Ecclestone est accusé d'avoir versé 44 millions de dollars américains à un banquier de BayernLB pour qu'il sous-évalue son entreprise avant de la vendre au fonds londonien CVC. Corruption et sport professionnel semblent liés...

S.C. - La corruption prend deux formes : corruption de la compétition elle-même et corruption des gestionnaires.

D.B. - Quelles sont les manières de corrompre une compétition sportive ?

S.C. - Une compétition est corrompue lorsqu'on en retire l'incertitude ou qu'on l'amoindrit. Les amateurs paient pour voir une compétition dont ils ignorent l'issue. La corruption les prive de cela pour satisfaire les parieurs qui, contrairement aux spectateurs, ne veulent aucune incertitude. On paie donc un joueur pour qu'il en blesse un autre ou pour qu'il fasse perdre son équipe. Une équipe de football ou de basket perd volontairement plusieurs matchs pour terminer au bas du classement et se voir accorder un premier choix au repêchage. On injecte des drogues aux athlètes pour modifier leur performance. Tout ce qui réduit l'incertitude d'une compétition sportive devient une forme de corruption.

D.B. - Et quelle forme prend la corruption des gestionnaires du sport professionnel ?

S.C. - Vous avez le choix... Parlons du scandale «de l'argent en échange de votes» [cash for votes] qui s'est déroulé lors des élections de 2011 pour le poste de représentant à la FIFA. On a distribué aux candidats des enveloppes brunes contenant 40 000 $ US chacune afin de les inciter à voter pour Mohammed Bin Hammam, de l'Asian Football Confederation. Évoquons aussi le doute qui plane autour de l'attribution de la Coupe du monde de soccer de 2018 à la Russie et de celle de 2022 au Qatar. Ont-ils acheté les droits ? Pourquoi ces deux attributions ont-elles été annoncées si tôt ? Pourquoi les a-t-on annoncées en même temps ? Normalement, on divulgue une attribution à la fois. Ces annonces en cascade ont peut-être à voir avec le départ à la retraite du président de la FIFA, Joseph S. Blatter, en 2014.

D.B. - Peut-on espérer un univers du sport plus propre ?

S.C. - La FIFA a encore de nombreux squelettes dans ses placards. Du côté du Comité international olympique (CIO), par contre, ça s'améliore. Il y 30 ans, le CIO avait aussi mauvaise réputation que la FIFA en ce moment. Aujourd'hui, ce comité n'est pas parfait, mais il est plus démocratique et plus transparent, et ses membres ont appris l'obligation de rendre compte. Le CIO a été forcé d'assainir ses pratiques, car les idéaux olympiques étaient en train de mourir. La faction réformiste a travaillé fort !

D.B. - Vous affirmez que c'est la pression du marché qui assainira le sport. Expliquez-nous.

S.C. - Soyons réalistes : des tas de gens peuvent déchirer leurs chemises devant le manque d'éthique des acteurs du sport amateur. Cela ne changera pas le cours des choses. Par contre, si les commanditaires s'en mêlent... Des intérêts financiers de plus en plus importants sont associés aux sports professionnels. Ces partenaires s'inquiètent des répercussions des scandales sur leurs marques. Les Adidas de ce monde ont le désir et le pouvoir que les choses changent.

D.B. - La patience des commanditaires s'épuise...

S.C. - Un des premiers à avoir réagi fut ING lors du Grand Prix de F1 de Singapour, en 2008. On a dévoilé que Nelson Piquet avait effectué une sortie de route à la demande du propriétaire de l'écurie Benneton afin de favoriser la victoire de son coéquipier Fernando Alonso. ING a cessé de commanditer l'équipe Benneton sur-le-champ. Imaginez l'ironie : un assureur qui commandite une équipe, laquelle affiche un comportement à la fois non sécuritaire et non éthique !

D.B. - Par où commence-t-on pour assainir le sport ?

S.C. - La même recette s'applique à la corruption dans le sport et à l'évasion fiscale : il faut que les fédérations, les propriétaires d'équipes et les organismes réglementaires collaborent. Les enjeux dépassent les groupes et les frontières. Il est essentiel de casser les cliques, démocratiser et diversifier les organisations en y incluant des représentants des affaires, des médias et même des fans.

D.B. - Assiste-t-on à des actions concrètes ?

S.C. - En début d'année, les ministres du sport de plusieurs pays se sont réunis pour discuter de la formation d'une association antimanipulation de match [match fixing]. Son modèle et sa mission s'inspireraient de ceux de l'Agence mondiale antidopage. C'est un début.

D.B. - La corruption incommode-t-elle les fans ?

S.C. - Pas assez. En fait, ils se montrent plutôt complaisants. Ils pourraient boycotter certains événements, comme des consommateurs boycottent des produits. Mais les adeptes de sport diffèrent des autres consommateurs à cause de leur connection émotive au produit. Leur attachement - leur identification ? - à un sportif ou à une équipe est si fort qu'ils ferment les yeux. Ils occultent volontairement la corruption. À moins que le plaisir qu'ils tirent d'assister à une manifestation ne soit si grand qu'il surpasse toute considération éthique. Bref, ils ne se rendent pas compte qu'ils assistent à version manipulée de la réalité. L'issue du match pour lequel ils s'enflamment est souvent décidée d'avance. Nous faisons face à un défi de conscientisation énorme.

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