Entrevue n°187: Cécile Bonnefond, pdg de Piper-HeIdsieck


Édition du 18 Janvier 2014

Entrevue n°187: Cécile Bonnefond, pdg de Piper-HeIdsieck


Édition du 18 Janvier 2014

Par Diane Bérard

Deux des champagnes de la maison française Piper-Heidsieck ont obtenu les notes les plus hautes décernées l'an dernier par le magazine Wine Spectator, soit 93 % et 97 %. Et son chef de cave a été nommé huit fois meilleur du monde. Le défi de la dirigeante de cette maison centenaire - et ex-dirigeante de Veuve Clicquot - est que ça se sache. J'ai rencontré Cécile Bonnefond alors qu'elle était en mission à Montréal.

DIANE BÉRARD - Parlez-nous de la maison Piper-Heidsieck.

Cécile Bonnefond - Piper-Heidsieck a été créée alors que Louis XVI et Marie-Antoinette régnaient encore. Deux générations plus tard, un cousin éloigné, Charles Heidsieck, se fait un prénom avec sa propre marque en perçant aux États-Unis. Il devient «Champagne Charlie», celui qui initie les Américains au champagne. Depuis 2011, les deux marques appartiennent à la maison privée Christophe Descours. Piper-Heidsieck est la marque des célébrations. Elle dit : «On a tous des moments où l'on mérite du bonheur». Charles Heidsieck est une marque boutique, pour les aficionados. Nous produisons 10 fois plus de champagne Piper que Charles.

D.B. - Piper-Heidsieck doit passer de la notoriété à la réputation. Expliquez-nous.

C.B. - La notoriété nous fait dire «je connais cette marque». La réputation, «je la veux». Et l'extrême réputation, «je ne veux qu'elle».

D.B. - Comment vous y prendrez-vous ?

C.B. - Nous comptons sur le buzz, plus convaincant que le marketing à long terme. La publicité dit «regardez comme je suis le meilleur». Le buzz, lui, vient des autres qui disent «j'ai bu du Piper rosé, c'était délicieux». Le buzz construit la réputation.

D.B. - Avant d'aspirer à nous convertir tous au champagne, vous avez converti les petits Français aux céréales. Racontez-nous.

C.B. - C'était les années 1980. Les mères françaises travaillaient à l'extérieur, mais elles perpétuaient la tradition du petit-déjeuner chaud. Tous les matins, elles angoissaient. Un tiers des petits Français n'avaient pas le temps de déjeuner. Kellogg France [où elle a été notamment directrice du marketing et des ventes] a converti les Françaises au petit-déjeuner froid que les enfants préparent seuls. Pour y arriver, nous avons fait équipe avec des nutritionnistes. Au début, les clients disaient : «Je ne vais pas manger des produits pour les poules !»

D.B. - Vous avez aussi travaillé chez Danone. En quoi cela vous a-t-il préparée à vendre du champagne ?

C.B. - J'étais chez Danone au moment de la diversification et de l'innovation intensive. Nous sommes passés du yogourt blanc aux desserts chocolatés, mousses, crème fraîche, etc. Notre mission consistait à créer de la valeur et du désir. Nous n'étions pas là juste pour faire manger les clients, nos produits étaient chers et glamours. Une telle proposition n'est pas loin du luxe.

D.B. - Alors que vous dirigiez le groupe pâtissier Brossard, le syndicat vous a séquestrée. Pourquoi ?

C.B. - À cette époque, les syndicats français étaient très militants, ils le sont encore pas mal. J'avais restructuré Brossard et annoncé la vente d'un site de production. Ce fut la grève. J'ai maintenu ma décision, le syndicat a choisi de me séquestrer dans mon bureau avec mon directeur des ressources humaines. Le maire est venu, la police aussi. J'ai dit : «On ne force pas, on attend». Après 36 heures, les syndicalistes ont eu sommeil... Voyant que je ne changerais pas d'avis, ils ont ouvert la porte.

D.B. - Et cet épisode a convaincu Veuve Clicquot de vous recruter...

C.B. - Veuve Clicquot m'a recrutée pour mon expérience diversifiée des marques. Les spécialistes des marques sont souvent des gens de marketing. J'ai aussi géré des usines et des gens. Et je crois que mon courage managérial a plu aux propriétaires de Veuve Clicquot. L'entreprise grandissait vite, on voulait un leader qui tiendrait cette maison comme si c'était la sienne.

D.B. - D'où vient votre courage ?

C.B. - De mon éducation. Ça fait partie des valeurs familiales : le respect, l'écoute, le travail, le succès. Le courage consiste à dire «c'est là qu'il faut aller, même si c'est difficile».

D.B. - En quoi le luxe est-il une industrie de courage ?

C.B. - Il est facile de baisser les prix pendant les crises.

D.B. - Les marques de luxe offrent de plus en plus de collections d'entrée de gamme. C'est bien ou pas ?

C.B. - Je ne pense pas qu'un jeune qui a porté du Armani Exchange portera un jour du Armani Collection. Ce n'est pas une porte d'entrée.

D.B. - Votre concurrent Moët & Chandon produit désormais du mousseux pour l'Inde. Pourquoi ?

C.B. - Le luxe, c'est la rareté. En Champagne, on compte 325 villages producteurs et il n'y en aura jamais plus. Le mousseux de Moët & Chandon n'a rien à voir avec le champagne. C'est un vin local pétillant pour répondre à un autre marché et aux barrières tarifaires indiennes.

D.B. - Un nouveau luxe a-t-il émergé de la crise ?

C.B. - Désormais, on qualifie de luxe ce qui n'en est pas. Cette dérive a du bon. Elle suscite un désir d'authenticité chez le consommateur. Un désir qui s'étend au-delà des biens de luxe. On réclame du beau, de l'élégant, des matières de qualité.

D.B. - Les pays émergents sont-ils le salut des marques de luxe ?

C.B. - Les maisons de luxe des pays occidentaux vendent déjà aux touristes des pays émergents. La nouvelle génération dans ces pays sait reconnaître les vraies grandes marques.

D.B. - Vous avez vécu la crise financière chez Veuve Clicquot. Comment cela s'est-il déroulé ?

C.B. - Il nous a tous fallu du courage. Écouter nos clients - les hôtels, les restaurants, les clubs, les cavistes - et les aider à vendre. Nous avons multiplié les animations ; paquets-cadeaux, dégustations, mises en scène de produits.

D.B. - Comment se porte aujourd'hui l'industrie du champagne ?

C.B. - L'ensemble de l'industrie produisait 320 millions de bouteilles par année avant la crise, tandis qu'on en produit 300 millions aujourd'hui. On n'est pas dans le drame.

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