À la mode de chez nous

Offert par Les Affaires


Édition du 20 Juin 2015

À la mode de chez nous

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Édition du 20 Juin 2015

Cinq créateurs nous ont ouvert les portes de leurs ateliers à Montréal. Coup d'oeil sur les coulisses de la création à la manière de chez nous et sur les stratégies déployées par les designers pour se faire une place dans la jungle de la mode.

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Marie Saint Pierre : survivre aux tsunamis

Bâtir une maison de luxe, ce n'est pas impossible, mais ça prend du coeur au ventre... et beaucoup de temps. Marie Saint Pierre en sait quelque chose. Dans son atelier situé au neuvième étage d'un immeuble de lofts de la rue Chabanel, à Montréal, elle parle avec passion des 27 ans pendant lesquelles elle a fait grandir sa griffe, malgré les «tsunamis», comme elle les appelle.

«C'est un pari difficile à faire au Québec, car les infrastructures pour créer le luxe sont inexistantes. Établir une marque, ça prend des dizaines d'années, explique la créatrice de mode qui arbore du rose pâle sur ses cheveux blonds. En Europe, les marques de luxe en sont à la deuxième ou la troisième génération. Elles sont bien établies.»

Dans un marché qu'elle compare aux Jeux olympiques, où plusieurs acteurs tentent de s'arracher des miettes, Marie Saint Pierre semble avoir trouvé sa niche, en proposant un «vrai prêt-à-porter de luxe».

Difficile, par les temps qui courent, d'attraper la créatrice, qui multiplie les allers-retours entre Montréal et Miami, où elle a ouvert à la mi-mai, dans le quartier effervescent de Wynwood, sa première boutique au sud de la frontière.

«J'ai reluqué New York pendant cinq ans, mais je me suis rendu compte que la relance de la ville passait par l'immobilier et que les prix des locaux étaient exorbitants, souligne celle qui possède également deux boutiques à Montréal. Même ceux qui ont des poches sans fond ferment leurs boutiques dans la Grosse Pomme. C'est impossible pour une marque indépendante d'ouvrir là, à moins d'y déménager ses pénates.»

Aux côtés de Dior et Givenchy

Le marché américain, Marie Saint Pierre l'a percé il y a quelques années. Dans les boutiques où l'on vend ses créations, elle souhaite se retrouver aux côtés des Givenchy et des Dior, là où sa force de vente est la meilleure. «Mais pour être là et se retrouver dans les A Stores [la vingtaine de boutiques américaines de grand luxe], il faut batailler fort et il faut "faire ses classes".»

Aujourd'hui, la créatrice de mode se désole du fait qu'on ne parle que de business de la mode, et presque plus de l'art de la mode. Marie Saint Pierre voue un véritable culte aux textiles et à leur manipulation, comme en font foi les vêtements noirs et sculpturaux de sa collection automne-hiver accrochés à l'entrée de son atelier où travaillent une trentaine d'employés.

«Produire du luxe, du vrai, ça coûte de plus en plus cher, fait remarquer Mme Saint Pierre. Pas de moins en moins cher !»

La délocalisation de la production des vêtements vers l'Asie, une avenue que plusieurs grandes marques ont empruntée, est un des tsunamis qui ont frappé l'industrie de la mode ces dernières années. Marie Saint Pierre continue de fabriquer chez elle. «Tous ceux qui ont abandonné la production locale le regrettent amèrement aujourd'hui, dit-elle. Parce que la créativité pure n'existe que s'il y a un contact direct entre ceux qui fabriquent et ceux qui dessinent.»

«Quand j'ai commencé ma carrière, on se demandait comment la haute couture allait survivre, raconte Mme Saint Pierre. Aujourd'hui, on parle d'empires financiers. Comme la production et la matière sont devenues de moins en moins importantes, toute la promotion faite autour de la griffe justifie les prix. Le pourcentage du budget réservé à la promotion est passé de 10 % à 50 %.»

Des vêtements intemporels

Les autres raz-de-marée provoqués par Internet - «qui fait que tout le monde s'inspire de tout le monde et se copie» - et le cybercommerce - «qui permet d'étudier un vêtement sous toutes ses coutures avant d'acheter» -, ont poussé l'entrepreneure à cibler la marche à suivre pour sa griffe : «J'ai profité de ces tsunamis pour m'aligner, pour avoir une vision stricte. La bonne démarche pour Marie Saint Pierre, c'est d'avoir un produit reconnaissable, intemporel, local et que les clientes aiment porter. Faire du spectacle, du costume, c'est bien, mais ce n'est pas ça, la création de mode. Faire du prêt-à-porter est beaucoup plus difficile.»

Dans une industrie en perpétuel changement, les gouvernements sont dépassés, croit la créatrice. Pour elle, la mode a besoin davantage d'aide aux structures - comme pour la production - que d'aide à la promotion. Il faut aussi améliorer la cohabitation entre les différents acteurs du milieu. «Peu de gens gagnent leur vie avec ça. Dans un petit marché, la cohabitation est parfois difficile et certains deviennent hargneux.» C'est pour ces raisons qu'elle planche sur le projet du Hub Chabanel, un lieu consacré tant à la fabrication qu'à la rencontre entre les acteurs du secteur. Le projet est toujours en attente d'investissements publics.

Quand elle n'est pas à Wynwood, qu'elle décrit comme son chez-soi aux États-Unis, Marie Saint Pierre s'en ennuie. Elle y a trouvé un environnement stimulant, où la créativité est au centre du quartier. «Ça me fait du bien de voir des gens heureux, qui sont engagés, qui partagent leur passion. Ce n'est pas toujours le cas à Montréal. J'aurais pu m'installer dans le Design District de Miami, mais j'aurais dû investir deux millions de dollars dans ma boutique pour ne pas avoir l'air du "valet de parking" à côté des autres grandes marques. Je préfère mettre cet argent dans mes vêtements.» - Vincent Fortier

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