Entrevue n°276 : Patricia McCord, consultante et ex-vice-présidente, ressources humaines, de Netflix


Édition du 13 Février 2016

Entrevue n°276 : Patricia McCord, consultante et ex-vice-présidente, ressources humaines, de Netflix


Édition du 13 Février 2016

Par Diane Bérard

«Tous les employés ne peuvent pas gagner le même salaire ; certains ont plus de valeur» - Patricia McCord, consultante et ex-vice-présidente, ressources humaines, de Netflix.

Patricia McCord est l'auteure d'une des présentations PowerPoint les plus partagées de l'histoire ; celle-ci portait sur la culture de Netflix, dont elle dirigeait les ressources humaines. Sheryl Sandberg, chef de la direction de Facebook, qualifie cette présentation d'un des documents les plus importants produits à Silicon Valley. Aujourd'hui consultante, Mme McCord sera conférencière lors de l'événement Apex, le 24 février prochain.

Diane Bérard - Reed Hastings et vous avez juré que Netflix ne commettrait pas les mêmes erreurs que les autres entreprises. De quelles erreurs parliez-vous ?

PATRICIA MCCORD - De toutes celles liées à la gestion des ressources humaines (RH). Savez-vous ce que sont vraiment les «meilleures pratiques» en RH ? Les comportements que tout le monde adopte ! C'est de la copie, tout simplement. Tout le monde copie l'entreprise à la mode. Dans les années 1990, c'était Microsoft. Aujourd'hui, c'est Google.

D.B. - En juin dernier, la Harvard Business Review titrait : «It's time to blow up HR». Pourquoi tant de haine à l'égard de ce service ?

P.MC. - Parce qu'il se mêle de ce qui ne le concerne pas au lieu de s'acquitter de ce qu'on attend de lui. Les RH s'égarent dans des processus et des procédures. Et elles inventent constamment un nouveau vocabulaire pour parler des mêmes vieux concepts. Mais, surtout, elles recrutent des CV au lieu de se demander comment résoudre les problèmes qu'on leur soumet.

D.B. - Vous affirmez que le recrutement n'est pas vraiment la responsabilité des RH...

P.MC. - En effet, les gestionnaires sont imputables du recrutement. Il leur appartient de définir clairement le problème qu'ils ont à régler en embauchant, pour ensuite faire équipe avec les RH et trouver le meilleur candidat.

D.B. - Vous insistez : on ne recrute pas pour pourvoir un poste, on recrute pour résoudre un problème. Expliquez-nous.

P.MC. - C'est une question de rétention de personnel. Lorsqu'un gestionnaire me demande comment empêcher ses employés de partir - ou les convaincre de rester - je réponds qu'il n'y a que deux façons : les enchaîner à leur bureau ou leur donner des problèmes à résoudre. Personne n'a envie de simplement remplir une tâche. Nous désirons nous sentir utiles, trouver des solutions. C'est pourquoi il faut recruter avec ces objectifs précis.

D.B. - Recruter est un casse-tête. Promouvoir aussi...

P.MC. - Mais ça ne devrait pas être le cas. On accorde une promotion lorsqu'on a besoin d'un employé plus expérimenté. Pourtant, les promotions sont plus souvent accordées pour des raisons émotives que stratégiques. On ne veut pas perdre les bons employés, alors on les fait grimper d'un échelon. Peu importe que l'entreprise y gagne ou non, tant qu'on ne perd pas le précieux employé...

D.B. - Comment reconnaît-on les mauvais employés avant qu'ils ne causent trop de dommages ?

P.MC. - Supposez toujours le meilleur chez vos employés. Dites-vous que vous avez fait un bon travail de recrutement. Tenez pour acquis que vous avez embauché des hommes et des femmes intelligents. Ne leur cherchez pas des poux. Et si vous vous êtes trompé, congédiez-les et ne recommencez plus !

D.B. - Parlons rémunération. Il n'est pas facile de trouver le juste milieu entre trop et trop peu...

P.MC. - Je vais débuter en déculpabilisant les employeurs : selon moi, les employés sont responsables à 70 % de la rémunération qu'ils obtiennent. Pourquoi met-on tant d'effort pour savoir combien vaut notre résidence et si peu pour connaître notre valeur comme employé ? La responsabilité de l'employeur consiste à se tenir au fait des mouvements du marché chaque trimestre. Comme l'immobilier, le marché de l'emploi connaît ses hauts et ses bas. Ses secteurs en demande, ses secteurs en repli. Et puis, il faut que le service de la rémunération et celui du recrutement se rapprochent. Trop souvent, chacun mène ses dossiers de son côté.

D.B. - Jusqu'à quel point peut-on être équitable lorsqu'il est question de rémunération ?

P.MC. - On ne le peut pas. La méritocratie est un beau concept théorique. Mais, en matière de rémunération, il se heurte au mur de la réalité. Je le répète, la valeur de chaque profession varie constamment, comme celle des résidences. Certains métiers deviennent tout à coup très demandés. Vous devez alors ajuster plus rapidement leur salaire que celui des autres employés. Cela, bien sûr, si ces employés sont stratégiques pour votre entreprise à ce moment de son existence.

D.B. - Une bonne partie de votre carrière s'est déroulée à Silicon Valley. La vie est-elle plus amusante dans une start-up ?

P.MC. - Au début, oui. Vous rassemblez dans un même lieu des jeunes qui se croient capables de tout, auxquels vous donnez une idée folle sur laquelle plancher. C'est le pied, évidemment. Puis, un jour, ça décolle. La direction constate que son idée folle a du potentiel. Alors, on ajoute des processus et un service de RH. Et tout se met à ralentir... Et puis, il faut changer le personnel. Les problèmes à résoudre deviennent plus complexes, plus diversifiés. Vous êtes toujours à Silicon Valley, mais vous n'êtes plus dans une start-up.

D.B.- Vous êtes désormais consultante. Travaillez-vous avec des entreprises plus traditionnelles ?

P.MC. - Oui, si les dirigeants sont disposés au changement.

D.B. - Parlez-nous de votre pire mandat.

P.MC. - C'était pour une grande entreprise centenaire qui compte des milliers d'employés. Ils m'ont appelée à plusieurs reprises. Chaque fois, je leur ai donné des excuses bidon, du genre «je ne peux pas vous parler, je dois me laver les cheveux/promener mon chien...» Un jour, je cède. J'accepte une conférence téléphonique avec 12 cadres. En attendant qu'elle débute, j'échange avec une employée en TI. On parle des politiques de RH. «Je déteste les évaluations de performance. Ici, le processus prend quatre mois !» me dit-elle. Pendant la conférence, je demande aux cadres si, dans leur entreprise, les évaluations de performance sont liées aux objectifs d'affaires. «Bien sûr», répondent-ils. Je réplique : «Dans ce cas, pourquoi ne pas redonner un mois de productivité à vos employés en ramenant le processus d'évaluation de la performance à trois mois au lieu de quatre ?» On entendait une mouche voler au bout du fil...

D.B. - Comment rendre les employés davantage autonomes ?

P.MC. - Soyons clairs, on ne rend pas les employés autonomes. On leur redonne un peu du pouvoir qu'on leur a enlevé au fil des décennies, parce que les problèmes sont devenus trop complexes pour qu'une poignée de gestionnaires en viennent à bout seuls.

D.B. - Quel enjeu particulier de RH devrait préoccuper les entreprises ?

P.MC. - Le paradoxe du «eux et nous». Vous ne voulez pas que vos employés se perçoivent comme extérieurs à l'entreprise. Vous voulez des intrapreneurs, des gens qui prennent des initiatives. Il faut trouver comment rallier l'intrapreneuriat et le sentiment d'appartenance.

D.B. - Vous étiez une vedette chez Netflix. Pourquoi avez-vous quitté ?

P.MC. - Ma vie professionnelle se déroule par cycles de 4 ou 5 ans. Je considère chaque emploi comme un diplôme. Une fois que je l'ai décroché, je passe à autre chose. J'ai passé 15 ans chez Netflix, parce qu'il y a eu trois cycles. Après le troisième, je n'avais plus rien à apprendre.

Suivez Diane Bérard sur Twitter @diane_berard

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