Susciter la féerie, c'est ma vie

Publié le 07/05/2010 à 13:49

Susciter la féerie, c'est ma vie

Publié le 07/05/2010 à 13:49

Par Premium

La farine, Josée Fiset est tombée dedans quand elle était petite. Aujourd’hui, elle veille jalousement à l’image de la marque Première Moisson, une société québécoise reconnue pour sa maîtrise des traditions boulangères, charcutières et pâtissières. L’entreprise familiale, qu’elle a fondée avec sa mère, Liliane Colpron, et ses frères Stéphane et Bertrand Fiset, conjugue les valeurs d’excellence et d’authenticité. Un crédo sur lequel Josée Fiset se montre intraitable. Propos d’une femme qui cultive « l’art du vrai » dans toutes les sphères de sa vie.

J’AI TOUJOURS EU DES RÊVES. De grands rêves, jamais des petits. Je les réalise toujours en cours de route, sans trop y penser. Quand j’étudiais le marketing à HEC Montréal, je rêvais d’être directrice du marketing pour une multinationale en alimentation ; je l’ai fait chez Heinz, où j’ai travaillé deux ans. Je rêvais aussi d’être une femme d’affaires à succès qui ne ferait pas les choses comme tout le monde, froidement, en ne se fiant qu’aux analyses financières et au rendement. Pour cela, il faut faire confiance à son intuition, savoir renoncer à un projet qui exigera trop de travail, se demander ce qu’il apporte sur le plan personnel.

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Je me qualifie d’« artiste en affaires ». Plus jeune, je voulais être comédienne. Première Moisson me permet d’être une artiste qui met ses idées en pratique. Je suis une boîte à idées. J’adore créer des recettes qui sortent de l’ordinaire. J’ai le sens de l’esthétique. Mon frère Stéphane est rationnel. Il excelle dans la gestion des opérations. Bernard, d’abord boulanger, est devenu un gestionnaire extraordinaire parce qu’il est un grand sage. Ma mère, c’est la financière, celle qui porte le projet, la vision. Moi, je m’occupe de la vente, de la mise en marché. Travailler en famille m’a permis, dès l’ouverture du premier magasin, en 1992, de développer mon plein potentiel créatif. On m’a fait confiance.

L’esprit de famille

Susciter une féerie autour d’un produit, c’est ma vie. Que ce soit pour Noël ou pour le temps des sucres, j’aime créer une ambiance avec des produits qui font saliver. Le client doit être heureux d’entrer chez Première Moisson. On soigne l’accueil, la musique. Quand j’ai créé le service à la clientèle, j’y ai mis de l’intangible. Ainsi, les employés ne discutent pas entre eux, ne jugent pas le client et mettent du soleil dans leur regard. Comme je voulais changer les habitudes, il y a eu de la contestation. Mais pourquoi appeler de façon bête et froide  « le numéro 15 » quand on peut, sur un autre ton, appeler « la personne qui a le numéro 15 » ?

Quand nous avons décidé d’ouvrir Première Moisson, nous nous sommes réunis en famille et nous avons établi notre plan d’affaires. Trois pages. Rien de compliqué. Nous avions aussi un plan spirituel. Pour moi, la spiritualité, c’est très simple : chaque fois qu’une personne fait appel à sa bonté, à sa beauté intérieure, il y a de la spiritualité. Notre plan spirituel reflétait nos valeurs, à commencer par l’amour et le respect de nos employés, de nos clients, de nos fournisseurs. Nous voulions que nos clients apprécient la qualité de nos produits, que nos employés soient heureux de travailler avec nous, de partager notre passion, de contribuer à faire avancer l’entreprise, et que nos fournisseurs fassent équipe avec nous dans un climat de respect mutuel. Faire des affaires autrement, c’est aussi verser des sommes aux petits fournisseurs avant de recevoir la marchandise et payer comptant dès la livraison.

À la direction de Première Moisson, le consensus est obligatoire. Pour qu’un projet aille de l’avant, nous devons être d’accord tous les quatre. Un jour, par exemple, j’ai voulu créer une chocolaterie. L’un des membres de la famille m’encourageait à le faire, un autre n’était pas certain, le troisième trouvait ce projet irréaliste. J’ai élaboré un plan B et je l’ai mis à exécution. Tout le monde doit être à l’aise face à une décision. Sinon, cela n’engendre que du stress.

Comme nous visions l’ouverture de neuf magasins en trois ans, nous avons dû réfléchir au modèle que nous voulions adopter. Et puisque nous voulions gérer un réseau, il n’était pas question de confier les magasins à des gérants. La formule corporative, trop accaparante, nous aurait obligés à être présents au quotidien et à intervenir chaque fois que survenait un problème. Dans le commerce de détail, tout se joue dans les détails, particulièrement quand on travaille avec des produits périssables. Chaque fois que nous avons dû reprendre temporairement un magasin et le confier à un gérant, les profits ont diminué de moitié.

Par ailleurs, le rapport de pouvoir entre les franchiseurs et les franchisés est souvent à l’avantage des franchiseurs, ce qui ne nous paraissait pas équitable. Nous avons donc opté pour une formule hybride, c’est-à-dire pour un partenariat, et nous nous sommes associés à 50 % avec chaque propriétaire. Nous aurions pu nous réserver 51 % des parts, mais nous ne l’avons pas fait. Cela illustre bien notre philosophie spirituelle ; le partage, l’amour, le respect. De nombreuses personnes nous ont mis en garde contre cette formule en nous rappelant que 20 mariages équivaudraient, forcément, à beaucoup de divorces. L’avocat de ma mère nous a même dit qu’on lui passerait sur le corps avant qu’il accepte ce principe. Pourtant, il a fini par se plier à notre façon de voir les choses.

Dans l’étude de cas que HEC Montréal a consacrée à l’entreprise, on précisait que, pour que cette formule connaisse du succès, il fallait que les dirigeants agissent  « comme le fait la famille Colpron-Fiset » et travaillent la porte ouverte, tout en étant capables d’intégrer d’autres personnes dans le processus décisionnel. En agissant d’égal à égal, nous n’avons d’autre choix que de nous entendre avec nos partenaires. Il nous est tout de même arrivé de racheter un partenaire qui ne traitait pas ses employés adéquatement. Nous recherchons des partenaires engagés. Pas des partenaires investisseurs, mais des gens qui s’investissent, des entrepreneurs qui connaissent l’alimentation. S’ils ont peu d’expérience en matière de gestion, nous les encadrons. Au besoin, nous leur avançons des fonds. Pour nous, le magasin du marché Atwater, c’est celui de Bertrand, le magasin de Longueuil, c’est celui d’Alain, et le magasin du marché Jean-Talon, c’est celui de Mario. Tous ces patrons font aujourd’hui partie de notre famille. Nous les réunissons une fois par mois et nous les faisons participer à des comités de travail. J’aime m’entourer de partenaires ou de chefs pâtissiers dans l’étude d’un projet. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui le  « multifonctionnel ».

Au début, nous ne parlions pas de nos valeurs. Elles s’exprimaient dans l’action. Les grands parleurs, très peu pour moi. Je préfère le concret. Nous avons créé Première Moisson pour être heureux, pour avoir du plaisir, pour nous assurer une qualité de vie personnelle. Nous n’avions pas comme objectif de devenir riches, ce qui ne veut pas dire que nous ne nous soucions pas de la rentabilité. Nous voulions bien nourrir les gens. En fabriquant le pain comme cela se faisait autrefois, sans étuve, avec des farines entièrement naturelles, nous étions des précurseurs. Au point de départ, la clientèle, habituée à une baguette non croûtée, manifestait une certaine résistance. Je tenais tête aux gens ! Je les emmenais dans le fournil, je leur faisais découvrir les arômes, je coupais les pains en deux sur le comptoir pour leur montrer les alvéoles, je le leur faisais goûter. Je connais bien le sujet. Obélix est tombé dans la potion magique, moi je suis tombée dans la farine ! Les gens voyaient que ce n’était pas de l’arnaque, mais du senti.

Les clients ont le droit de savoir ce qu’ils mangent. J’admets que j’avais probablement l’air d’une extraterrestre quand je parlais de la qualité des ingrédients. J’ai donc changé mon discours pour vendre plutôt du bon pain, de la gastronomie, du goût, des arômes et des textures, en prenant bien soin de ne surexploiter ni le mot  « santé » ni le mot  « artisanal », ce dernier correspondant bien mal à une entreprise de 1 000 employés.  « Nos ingrédients sont de première qualité » ; voilà maintenant notre message.

Rien ne m’échappe

Aujourd’hui, nos valeurs font partie intégrante de notre mission. On y parle même d’amour. Si on ne travaille pas dans l’amour, on est complètement à côté de ses pompes. Un jour, Loïc, un voisin agriculteur, nous a offert sa petite production de blé pour qu’on en fasse du pain. Ce simple geste nous a amenés à pousser l’idée plus loin et à encourager la production locale de blé. En réduisant le transport du blé en provenance de l’Ouest canadien, nous polluons moins la planète.

Nous comptons afficher notre mission, nos valeurs, sur le mur des futurs magasins. Il s’agit là d’un engagement dont je suis la gardienne. Là-dessus, je suis comme une lionne enragée ; je ne laisse rien passer. Quand on met en vente un produit non conforme, ça m’exaspère. On ne met pas un pain brûlé en vente ! Peut-être le responsable est-il un nouvel employé, peut-être est-ce seulement de la distraction, mais c’est la réputation de la maison qui est en jeu. Quand on aligne 12 gâteaux dans une vitrine, tous les écussons doivent être dans le même sens. Un détail ? Non ! Cela fait toute la différence dans la perception. Que reçoit le client ? De l’ordre ou du désordre ? J’accorde de l’importance à ce genre de détail, à l’intangible, et j’en parle aus¬sitôt au partenaire. On ne travaille pas aussi fort pour que le client sorte du commerce avec une perception négative.

Mon plus grand défi, c’est de me détacher du quotidien. Quand j’arrive à le faire, c’est une victoire. J’essaie de m’en tenir à la vision d’ensemble, mais si, dans un magasin, quelque chose n’est pas conforme, je ne peux m’empêcher de le faire corriger, même si, en principe, ce n’est plus mon rôle. Je m’assure qu’on fait bien le même constat que moi et je demande que ce soit corrigé aussitôt. Je ne lâcherai jamais prise face à ce qui me paraît inacceptable. Entrer dans un de nos magasins, c’est mon grand bonheur. Quand il y a un événement, j’oblige les membres de l’équipe de marketing à aller en magasin pour sentir, comprendre ce que vit le consommateur. Je leur demande simplement de servir le café et de poser des questions aux clients.

Je ne quitterai jamais tout à fait le terrain ; par contre, je me suis éloignée des analyses, des données. Désormais, je lance les idées et je les évalue sur place. Entre ces deux pôles, je n’interviens que lors du passage d’une étape à l’autre. Selon les théoriciens, pour avoir une vision claire, je ne devrais plus être au ras des pâquerettes. Or, je crois que je ne pourrais pas être aussi visionnaire si je n’avais pas les deux pieds dedans. Chaque fois que je lance un concept, je m’installe dans un magasin et j’observe ce qui se passe, pour voir ce qui est réussi et ce qui ne l’est pas.

La plus grande qualité d’un gestionnaire, c’est de savoir se responsabiliser, de se demander ce qu’il aurait pu faire pour obtenir de meilleurs résultats. Et aussi, ce qu’il n’a pas fait. « The speed of the boss is the speed of the gang », dit-on [La vitesse à laquelle va le patron est la vitesse à laquelle va son équipe].

Après HEC, j’ai suivi les cours que Georges Couture, mon guide en affaires, donnait à des entrepreneurs. Il m’a appris, entre autres choses, qu’on a tendance à accuser ses employés quand ça ne va pas, alors que la première personne qu’on doit blâmer, c’est soi-même. Il est très facile de se contenter de dire « Je te l’avais dit. » Encore faut-il l’avoir bien dit, avoir pris le temps de l’expliquer, et s’assurer d’avoir été compris.

Les premières années, il m’a fallu travailler sept jours par semaine à petit salaire. Aujourd’hui, je trouve qu’il est important de consacrer du temps à ma famille. Résultat : malgré la croissance de l’entreprise, je suis moins stressée qu’il y a 20 ans. Le temps pour me ressourcer m’est précieux, tout comme mon che¬minement personnel, d’ailleurs.

Je ne crois pas qu’il suffise de participer à un week-end de croissance personnelle pour y arriver. On doit accepter de ne pas être parfait, de n’être jamais rendu à destination, et apprendre de ses erreurs. Cela enlève une pression énorme. Si on ne travaille pas sur soi, je ne crois pas que l’on puisse être un bon patron. Il faut se remettre en question. Savoir être authentique. Si j’ai des soucis, que m’en coûte-t-il de reconnaître, à la fin d’une réunion, que j’ai été impatiente et que cela n’avait rien à voir avec le travail de mes employés ? Avoir une attitude positive exige une vigilance de chaque instant. Quand je me laisse glisser, quand je juge les gens, quand je suis irritable, je me corrige immédiatement.

Savoir dire les choses

Je me ressource au contact de la nature ; chez moi, j’ai une pièce où je médite. De plus, j’ai besoin de mon entraînement Pilatès trois fois par semaine pour sentir mes muscles et aider ma colonne à rester bien droite ; je fais très attention à ce que je mange et j’accorde beaucoup d’importance à mon sommeil. Si je dors mal, je recours à l’acupuncture ou je prends du calcium, du magnésium. Le travail sur soi exige une discipline constante. Je protège mes week-ends et j’évite les repas d’affaires, les banquets, les associations, les congrès. Par contre, je peux consacrer cinq jours à une formation qui ne m’est pas indispensable si les gens de mon équipe souhai¬tent m’y voir. En matière de gestion du temps, cette décision est certainement discutable, mais j’apprends beaucoup quand je suis avec mon équipe. Je ne veux pas perdre cette proximité. Pour moi, le moment présent compte beaucoup. Pendant les réunions, j’interdis les BlackBerry et les cellulaires. Dès que je sens que quelqu’un n’est pas présent, qu’il a l’esprit ailleurs, je réclame son attention.

Avec le temps, je suis devenue une meilleure patronne parce que j’ai développé le sens de l’écoute. J’ai appris à déléguer, à faire confiance. Quand une entreprise grandit, il faut accepter qu’il y ait plusieurs façons de faire. Je n’ai pas toujours raison ! Souvent, alors que j’aurais envie de parler, je choisis de me taire, parce que je sais que je peux blesser les gens de mon entourage. Comme j’ai besoin de recul, j’attends au lende¬main. C’est si facile de se montrer spontané ou de péter les plombs ! Quand je vois des gens se servir de leur pouvoir pour se permettre des écarts de conduite, ça me répugne. N’empêche, quand ça ne va pas, ça ne va pas. Si je ne suis pas contente, je le dis. Je n’emploie pas un ton accusateur, mais quand on a raté un objectif, il est important de le mentionner. Je ne tiens pas à me faire aimer à tout prix. Quand on est bien structuré, bien organisé, on est respecté. Pas besoin de chercher à se faire aimer. On peut travailler pour le bien commun.

Avoir deux enfants m’a beaucoup aidée à gé¬rer les conflits, ce qui était beaucoup plus difficile pour moi il y a 20 ans. D’ailleurs, aujourd’hui, je ne parle plus de conflit, mais de  « façons diffé¬rentes de penser ». Récemment, alors que mon équipe était en séance de travail avec le comp¬table, un employé s’est mis à critiquer certains projets du secteur du marketing. Quand on m’a rapporté cet incident, bien que je m’interdise de juger ce genre de réaction, je n’ai pas pu faire la sourde oreille. J’en ai conclu qu’on n’avait pas su communiquer correctement. Voilà le plus grand défi : savoir communiquer. En affaires, rien n’est plus important que le contact humain.

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Ma mère, Madame Colpron

Quand j’ai entrepris mes études à HEC Montréal, ma mère et mon oncle Hubert élaboraient ce qui allait devenir la Boulangerie Mansion. À ma sortie de l’université, j’ai trouvé un emploi comme gérante de boulangerie à l’épicerie 5 Saisons. Je devais me lever à 3 h du matin pour faire cuire du pain, je me brûlais régulièrement les bras, je m’ennuyais un peu, et la clientèle était difficile. Quand Mansion a ouvert un poste d’adjoint au directeur du marketing, ma mère m’a demandé de lui recommander quelqu’un. Pas question pour elle que je sois candidate à ce poste ! J’ai dû lui faire une grande scène et encore, ça n’a pas suffi. Il a fallu qu’une employée la convainque qu’elle commettait une erreur pour qu’elle me donne ma chance. En retour, je lui ai promis de ne jamais l’appeler  « Maman » au travail, mais bien  « Madame Colpron » ! Chez Mansion, les clients ignoraient que j’étais la fille de ma mère. Qui aurait pu croire que nous allions par la suite créer une entreprise familiale qui connaîtrait un tel succès ?

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