Relations de travail: qui a le gros bout du bâton?

Publié le 01/07/2021 à 17:07

Relations de travail: qui a le gros bout du bâton?

Publié le 01/07/2021 à 17:07

Par Emmanuel Martinez

La généralisation du télétravail et l’accentuation de la pénurie de main-d’œuvre sont deux facteurs qui viennent modifier les relations de travail dans cette ère de reprise post-pandémique. (photo : Hassan Pasha)

Malgré certaines grèves médiatisées, les conflits de travail restent peu nombreux au Québec. Cette paix est-elle là pour longtemps?

La généralisation du télétravail et l’accentuation de la pénurie de main-d’œuvre sont deux facteurs qui viennent modifier les relations de travail dans cette ère de reprise post-pandémique.

Ces dynamiques sont parmi celles qui façonneront les rapports de force entre patrons et employés dans les prochaines années.

«Les employeurs sont conscients que les employés ont le gros bout du bâton. La pénurie de main-d’œuvre améliore le rapport de force des employés et des syndicats», constate le professeur titulaire de relations industrielles à l’Université de Montréal, Patrice Jalette, en entrevue avec Les Affaires.

«Les salariés vont avoir un levier de négociation qui sera beaucoup plus grand qu’auparavant, précise de son côté Richard Gaudreault, avocat spécialisé en droit du travail chez Lavery. Les employeurs devront être prêts.»

Le faible taux de chômage, la vitalité économique et la rareté de main-d’œuvre sont des facteurs favorisant les employés, qu’ils soient syndiqués ou non.

«C’est clair que les salaires ont été améliorés», dit M. Jalette.

Il souligne qu’historiquement, «les gains syndicaux les plus importants se font en temps de prospérité».

Le président de la FTQ Daniel Boyer partage aussi ce constat voulant que le rapport de force penche davantage du côté des employés.

«C’est un effet de balancier, mais c’est de plus en plus difficile de se syndiquer», dit-il. Le chef de la plus grande centrale syndicale reste donc prudent quant aux avancés que pourraient réaliser les syndiqués.

Productivité et salaires

Me Richard Gaudreault estime que les entreprises n’ont pas vraiment le choix de consentir des hausses de salaire, mais elles devraient exiger en retour de la flexibilité pour augmenter la productivité.

«Les employeurs doivent éviter les planchers d’emploi qui empêcheraient notamment l’automatisation. Ils ont aussi besoin d’une marge de manœuvre pour pouvoir modifier les tâches des employés sans trop d’embûches.»

«Le défi pour les entreprises, c’est de se moderniser, dit ce spécialiste en relations de travail. On a un retard dans ce domaine au Québec. Si les salariés et le patronat ne s’entendent pas pour que cette modernisation se fasse, ce sera un échec pour le Québec.»

Selon lui, le transfert de tâches à l’étranger, qui a permis de juguler la pénurie de main-d’œuvre et la hausse des salaires, a atteint ses limites.

Nouveaux enjeux du télétravail

Très prisé par les employés selon de nombreux sondages sur cette question, le télétravail, qui s’est imposé avec la pandémie, amène de nouveaux enjeux.

«Il y a aura des normes et des lois qu’il faudra ajuster à ces nouvelles formes de travail, mentionne Daniel Boyer. Par exemple, les dispositions actuelles en matière de santé et sécurité au travail devraient s’appliquer autant à la maison qu’au bureau.»

Il y a aussi des aspects de confidentialité liés aux moyens pris par les patrons pour s’assurer que les employés fassent bel et bien leur boulot à la maison.

«Il faudra des mesures qui ne soient pas trop intrusives, mentionne le chef de la FTQ. Il faudra aussi des normes pour un droit à la déconnexion, sinon les gens vont virer fous.»

Daniel Boyer remarque que les phénomènes des horaires atypiques, du travail autonome et du télétravail ont été accentués par la pandémie, ce qui rend des réformes encore plus nécessaires.

«Le code du travail n’est pas adapté aux nouvelles formes de travail. Il y a une urgence à adapter la législation. Pour le télétravail, ce n’est pas juste ce qui se passe chez moi, mais aussi dans les espaces de bureau partagé. Comment répartit-on l’espace? Qui a un bureau fermé et qui n’en a pas? Comment assurer la confidentialité dans un tel environnement? Cela prend un dialogue. Il ne faut pas que ce soit imposé.»

Le professeur Patrice Jalette note qu’il y a eu de nombreuses ententes entre syndicat et dirigeants durant la pandémie.

«Faut voir si on rend cela permanent. Va-t-on avoir une plus grande permissivité de l’employeur ou veut-on avoir plus de contrôle? Faudra clairement négocier ces aspects-là.»

«Dans le secteur manufacturier, cela sera la santé et sécurité au travail qui sera un enjeu central, ajoute-t-il. Cette question a été mise en évidence par la crise sanitaire.»

Le télétravail vient également bousculer les rapports entre syndicats et syndiqués. «Loin des yeux, loin du cœur», dit l’adage. La mobilisation de travailleurs qui sont à la maison risque d’être plus difficile pour les syndicats.

Dialogue

Ce bras de fer perpétuel entre salariés et patrons se déroule dans un contexte social particulier, poussé par des revendications liées aux inégalités, fait valoir Patrice Jalette.

«Les employeurs se basent sur des coûts et des conditions de travail inégaux entre les employés, dit-il. Il y a des différences de salaires entre employés, qui se répartissent aussi en différentes catégories : permanents, à temps partiels, à contrat, saisonnier, étranger, etc.»,

«Or, ce système nous est remis en pleine face par des mouvements comme Idle No More, Black Lives Matter, Me Too et les autres qui remettent les questions des inégalités à l’avant-plan. Peut-être que les jeunes générations sont moins patientes que les plus vieux, ce qui pourrait vouloir dire des conditions de travail plus égalitaires et équitables.»

Historiquement, il y a plus de conflits de travail lorsque la situation économique est meilleure, rappelle-t-il.

Pour le moment, le Québec vit «dans un climat de paix industrielle»,  remarque Daniel Boyer de la FTQ.

«Les parties ont appris à se parler, mentionne-t-il. La gestion autoritaire, cela ne marche plus. On est rendu ailleurs. Quand les employés sont impliqués, cela permet de leur trouver souvent des solutions.»

Il déplore toutefois la judiciarisation du système de relation de travail.

Pour Me Richard Gaudreault, qui travaille sur toutes sortes de dossiers, comme des griefs, des négociations collectives et du harcèlement, «les délais pour régler les problématiques en relation de travail sont trop longs au Tribunal administratif du travail».

Il souligne que ces délais se sont allongés durant la pandémie.

«Cela nuit à tout le monde : cela nuit aux salariés, au syndicat et à l’employeur. Je ne vois jamais d’avantages lorsqu’un problème est long à régler. Il y a une culture à changer pour amener plus de célérité. Tous les acteurs ont un rôle à jouer.»

Il croit néanmoins que le système québécois «est bon», mais que pour survivre il faudra intervenir pour améliorer la rapidité des procédures.

«Tout le monde est un peu coupable», selon lui. Plus de juges, plus de formation, des modifications législatives et de comportements sont parmi les solutions qu’il propose.

L’avocat reste néanmoins optimiste en matière de relation de travail face aux transformations en cours, surtout lorsqu’il compare le Québec avec les États-Unis où les échanges sont plus acrimonieux et teintés de méfiance.

«Je ne pense pas que le défi est impossible à relever. On a une culture de négociation qui est très mature et une expertise exceptionnelle qui est unique au monde.» 

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