Quand le patron devient la patronne

Offert par Les Affaires


Édition du 08 Décembre 2018

Quand le patron devient la patronne

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Édition du 08 Décembre 2018

Par Olivier Schmouker

« ­Mon employeur avait embauché un gars costaud, énergique, sûr de lui, et là, il allait se retrouver avec une toute autre personne, pas mal différente. Comment ­allait-il réagir à ça ? ­En me montrant poliment la porte ? ­Je n’en avais aucune espèce d’idée, et ça me traumatisait totalement », soutient Florence Bevilacqua, autrefois ­Frédéric, en compagnie ici de Marlène Lussier, ­vice-présidente, ­Administration, chez ­In ­Fidem. [Photo : Martin Flamand]

Frédéric Bevilacqua avait tout pour être heureux. À 47 ans, il avait l'emploi idéal pour lui : après avoir occupé des postes clés à la direction de Telus, de la Banque Laurentienne et de CGI, il était devenu, en 2016, le vice-président, Montréal, d'In Fidem, une firme dynamique spécialisée dans la sécurité de l'information. Et il avait une vie privée harmonieuse, grâce à sa petite famille et à ses précieux amis. Pourtant, à la fin de 2017, ça n'allait plus du tout...

Il n'arrivait plus à se concentrer sur quoi que ce soit, au bureau comme à la maison. Une interrogation existentielle le taraudait, jour et nuit : «Je le fais, ou pas ? Est-ce que je deviens ce que je suis au plus profond de moi-même, ou pas ?» C'est que Frédéric savait depuis toute petite qu'elle était une femme, et non un homme, autrement dit que son identité réelle différait de l'identité de genre qui lui avait été attribuée à la naissance.

La libération est venue en février dernier, le jour où sa thérapeute lui a dit : «Je sais que tu es transgenre. Tu le sais toi aussi. Maintenant, la question, c'est de savoir ce que tu vas faire : vas-tu transitionner, ou rester dans cette souffrance constante ?»

«À l'instant même où ma thérapeute a nommé le mal dont je souffrais, je me suis sentie libérée, raconte-t-elle. Il ne dépendait plus que de moi de voir la vérité en face et d'agir en conséquence.»

Mais voilà, c'était plus facile à dire qu'à faire. Frédéric a aussitôt pris peur : si elle suivait un traitement hormonal pour devenir femme, cela risquait-il de lui faire perdre son emploi ? La vingtaine d'employés dont elle avait la responsabilité allaient-ils lui tourner le dos ? Les clients, la fuir ? «Mon employeur avait embauché un gars costaud, énergique, sûr de lui, et là, il allait se retrouver avec une toute autre personne, pas mal différente, dit-elle. Comment allait-il réagir à ça ? En me montrant poliment la porte ? Je n'en avais aucune espèce d'idée, et ça me traumatisait totalement.»

Quelques jours plus tard, elle s'est confiée à une collègue en qui elle avait toute sa confiance, histoire de tâter le terrain. Celle-ci lui a dit qu'elle serait fortement étonnée d'une réaction négative de la part de la haute direction, sans pouvoir, bien entendu, l'affirmer. Un matin, n'y tenant plus, Frédéric Bevilacqua a invité Marlène Lussier, vice-présidente, Administration, à prendre un café ensemble.

«Chez In Fidem, les employés aiment bien jaser avec moi à l'improviste pour me confier leurs petits tracas du quotidien, raconte Mme Lussier. Ce matin-là, cependant, j'ai senti que Frédéric voulait me dire quelque chose d'important. Ça ne sortait pas, et, soudain, il s'est mis à fondre en larmes. Je ne savais vraiment pas à quoi m'attendre.»

«Je lui ai dit toute la vérité, poursuit Frédéric. Qui j'étais. Qui je voulais devenir. Combien je souffrais de vivre cachée au fond de moi. Combien je craignais de tout perdre, la vie que j'avais bâtie depuis mon arrivée au Québec en 2007. Je lui ai tout dit. Tout. Je me suis jetée à l'eau, sans savoir nager.»

Résultat ? Marlène Lussier l'a rassurée du mieux qu'elle pouvait, elle lui a dit que ce n'était certainement pas un motif de licenciement, que ça ne remettait pas en cause ses compétences professionnelles. Qu'elle allait la soutenir dans sa transition. Qu'ensemble, elles allaient mettre au point un plan pour ça. «À l'issue de cette discussion, je me suis sentie mieux, dit Frédéric. Mais rassurée qu'à 50 % concernant ma job.»

La semaine suivante, Frédéric a pris son courage à deux mains et a poussé la porte du bureau du PDG et fondateur, Matthieu Chouinard. Ce dernier l'a écouté attentivement, a réfléchi, puis a dit : «Frédéric, de toute ma vie, je n'ai jamais vu une chose plus courageuse que ce que tu viens de faire.» In Fidem allait, en conséquence, lui offrir un appui inconditionnel dans sa transition.

Concrètement, Marlène Lussier a fait appel aux services de la psychothérapeute Françoise Susset, spécialisée dans les minorités sexuelles. Avec Frédéric, elles ont concocté le plan de match suivant :

> En mars, annonce de la transition au comité de direction de l'entreprise, par la principale intéressée.

> En juin - lorsque les premiers signes de la féminisation se sont faits visibles -, annonce aux employés, le courriel des RH soulignant que «les valeurs d'In Fidem ne sont pas que des mots écrits sur un mur» et que «sa famille et ses amis, ainsi que nous tous, sommes très fiers de partager cette expérience avec Frédéric». Elle a été accompagnée d'une séance de sensibilisation, animée par Mme Fusset.

> En juin aussi, annonce similaire aux clients et aux partenaires de l'entreprise, faite par le PDG lui-même.

> En octobre, annonce générale du changement de prénom de Frédéric, officiellement devenue Florence. Et ce, avec quelques conseils pratiques du type «si vous vous trompez de prénom ou de pronom en lui parlant, excusez-vous simplement». Au même moment, Florence a modifié l'identité de ses médias sociaux (LinkedIn, Facebook...).

Les réactions ont été unanimes : «Bravo Florence !», «Tu as mon soutien dans ta démarche», «Je suis fier de voir ainsi le côté profondément humain d'In Fidem» et autres «In Fidem est merveilleuse !»

«Tout ça a été une telle délivrance pour moi, glisse une Florence radieuse. Une véritable rédemption. Aujourd'hui, je suis moi-même, je me maquille le matin, je me fais belle. Ma vie s'est embellie à un point que je n'aurais jamais imaginé.» Et d'ajouter : «Fini les cogitations sans fin qui minaient mon travail, dit-elle. Pour la première fois, je donne vraiment mon 110 % tous les jours. Ce qui est aussi bon pour moi que pour l'entreprise.»

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