Entrevue n°287 : Paul Bennett, chef de la création, Ideo


Édition du 30 Avril 2016

Entrevue n°287 : Paul Bennett, chef de la création, Ideo


Édition du 30 Avril 2016

Par Diane Bérard

«On peut redessiner l'expérience de fin de vie comme on le fait pour la santé ou l'éducation» - Paul Bennett, chef de la création, Ideo.

Ideo est une des firmes de design les plus célèbres du monde. On lui attribue la méthode «design thinking» qui applique les principes du design de produits aux services, aux espaces et aux organisations. Le Britannique Paul Bennett est directeur de la création. Il sera conférencier à C2 Montréal, à la fin de mai, en compagnie du pdg d'Ideo, Tim Brown. Ils comptent parler de l'amitié.

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Diane Bérard - Ideo aspire à fabriquer des produits «pensés pour les clients, rentables et socialement signifiants». C'est une grosse commande...

Paul Bennett - Décortiquons cette affirmation. Des produits pensés pour les clients : c'est-à-dire que les clients les désirent et les utiliseront. Rentables : qui ont suffisamment de valeur aux yeux du public visé pour qu'il ait envie de payer pour en devenir propriétaire. Dans les deux cas, je dirais qu'on y arrive plutôt bien. Le vrai défi, c'est «socialement signifiant» qui, pour moi, veut dire moins nocif pour la société. Donc qui engendre moins de déchets. Nous en sommes trop loin.

D.B. - Aucun client ne vous paiera pour concevoir un produit qui dure toute la vie...

P.B. - L'obsolescence planifiée est une tendance puissante. Mais chez Ideo, nous refusons de baisser les bras. Il y a 12 ans, nous avons amorcé une conversation franche à propos de notre travail et de notre mission. Nous ne voulons pas créer de la pollution. Nous voulons créer de l'impact. Depuis, nous avons décidé d'ajouter le rôle de consultant à celui de designer. Nous incitons nos clients à redessiner leur organisation, pas seulement leurs produits.

D.B. - Depuis 10 ans, Ideo crée moins de produits et davantage de services. Expliquez-nous.

P.B. - Ce virage répond à notre désir d'augmenter notre impact. Nous avons changé d'échelle. Nous employons notre expertise et nos processus à des problèmes plus vastes qui touchent davantage d'individus. Au lieu de bâtir des produits, nous bâtissons des systèmes. Après tout, la démarche est la même : comprendre le problème, déterminer le ou les clients, imaginer une solution. Nous avons, entre autres, réinventé le système d'allocation de permis de travail à Singapour. Aux États-Unis, nous avons revu les processus de travail à la clinique Mayo et au Bureau de la protection financière du consommateur.

D.B. - Ideo a conçu Innova, un réseau d'écoles pour la classe moyenne au Pérou. Parlez-nous de ce mandat.

P.B. - L'homme d'affaires péruvien Carlos Rodriguez-Pastor avait une vision : bâtir, à partir de zéro, un réseau d'écoles abordables, imaginer un curriculum, un plan de formation pour les professeurs et un modèle financier. Notre équipe multidisciplinaire comprenait des architectes, des ingénieurs, des ethnographes, des designers et des experts en éducation. Notre client a posé une contrainte importante : il voulait étendre le réseau rapidement. Cela supposait recruter et former des centaines de professeurs. Nous avons compté sur la formation en ligne pour accélérer le processus. Aujourd'hui, pour 130 $ US par mois, les écoles Innova offrent une formation à des milliers d'élèves. Ceux-ci se classent au-dessus de la moyenne nationale à de nombreux examens.

D.B. - Ideo veut redessiner la mort. Pourquoi ?

P.B. - Mon père est mort il y a quelques années. Ça m'a forcé à devenir un expert de la mort. J'ai réfléchi à la façon dont notre société aborde le vieillissement et la fin de vie. J'ai découvert que nous sommes nombreux à nous interroger. Tout le monde a son histoire à raconter. La mort s'insère de plus en plus dans la sphère publique. Même les jeunes s'y intéressent. Il est temps d'amorcer une vraie conversation.

D.B. - Comment vous y prendrez-vous ?

P.B. - Nous ferons appel à la sagesse collective par l'intermédiaire d'un défi, OpenIdeo. Ideo lance régulièrement de tels défis collectifs liés à des enjeux sociétaux. Les idées le plus porteuses d'impact sont testées et implantées. Depuis le mois de mai, vous pouvez suggérer, sur notre site, des façons d'humaniser la fin de vie et la mort. Pour ce projet, nous sommes associés à Sutter Health, un réseau de 50 000 professionnels qui tentent d'implanter une médecine plus personnalisée.

D.B. - Vous voyez la mort comme un écosystème...

P.B. - En effet, il y a tant à faire. On se sent si impuissants. Comme si on ne pouvait avoir aucun contrôle sur l'expérience de la fin de vie. Comme si on ne pouvait pas la traverser autrement. Il est temps qu'on regarde la fin de vie et la mort comme une source d'occasions. La naissance est une source d'occasions. On a bâti un écosystème autour d'elle. On l'a redessinée. Pourquoi n'y aurait-il pas un écosystème de la fin de vie ? Tout est à repenser. Il faut simplement oser, innover, entreprendre. Je suis convaincu qu'on peut redessiner la mort, et la fin de vie, comme on le fait pour la santé ou l'éducation.

D.B. - Dessinez-vous encore des produits «cool» ?

P.B. - Bien sûr ! Une chose n'a pas changé, je suis devenu designer parce que je veux fabriquer des choses de mes mains. Et puis, vous savez, un service peut s'incarner à travers une maquette ou un objet. La matérialité aide à faire comprendre notre démarche au client. Le designer doit sortir les idées de sa planche à dessin pour leur donner vie. Il arrive un moment où il faut cesser de discuter d'une idée et la montrer.

D.B. - Vous vous présentez comme un défenseur acharné des petites choses. Que voulez-vous dire ?

P.B. - Je suis obsédé par les petites choses ! Au client qui me dit «Bouleversez tout !», je réponds : «Aucune mégasolution ne viendra à bout des problèmes du système de santé ou de n'importe quel autre problème. Les petites choses ont un bien plus gros impact». Prenons le système de santé. Qu'est-ce qu'un patient voit le plus lors de son séjour à l'hôpital ? Le plafond ! Mais quel hôpital investit dans ses plafonds ? Un patient passe un nombre incalculable d'heures en fauteuil roulant d'un traitement à l'autre, d'un examen à l'autre. Nous avons proposé d'installer un rétroviseur sur ces fauteuils pour humaniser ces trajets. Le patient voit le préposé qui le conduit ce qui facilite la conversation.

D.B. - Comment reconnaît-on les petites choses qui ont de gros impacts ?

P.B. - C'est facile : vous arrêtez de penser comme un homme ou une femme d'affaires. Vous pensez simplement comme un humain. Pour améliorer l'expérience client à l'hôpital, je me suis couché dans un lit. C'est ainsi que j'ai découvert l'importance du plafond.

D.B. - Vous en avez contre les pulsions de gigantisme de vos clients...

P.B. - Pourquoi vouloir bâtir le plus gros ou le plus haut ? Le gigantisme est inhumain. Un de mes clients asiatiques veut bâtir le plus gros aéroport du monde. Qui a envie de se déplacer dans le plus gros aéroport du monde ? Notre défi le plus important consiste à ramener les demandes de nos clients à une échelle humaine.

D.B. - Accorde-t-on trop d'importance à la beauté en design ?

P.B. - Pas du tout ! La beauté influence votre perception des gens et des choses. On ne peut pas l'ignorer. Prenez mon cas, je suis diabétique. Mais je refuse qu'on me réduise à cette seule caractéristique. Pourtant, la plupart des trousses d'autotest pour diabétiques sont laides. Chaque fois que vous les sortez, elles hurlent votre maladie. Même situation en ce qui concerne les appareils auditifs. Dieu merci, la situation évolue, et il existe de nouveaux modèles dont vous n'avez pas à être embarrassé.

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