Entrevue n°270 : Herminia Ibarra, professeure et auteure


Édition du 05 Décembre 2015

Entrevue n°270 : Herminia Ibarra, professeure et auteure


Édition du 05 Décembre 2015

Par Diane Bérard

«On devient un leader en se comportant en leader, pas en agissant en expert» - Herminia Ibarra, professeure et auteure.

Herminia Ibarra enseigne à la prestigieuse école internationale de gestion INSEAD. Elle se classe au huitième rang parmi les gourous mondiaux du management, selon le classement Thinkers50 2015. Elle a publié deux succès de librairie, Act Like a Leader, Think Like a Leader et Working Identity: Unconventional Strategies for Reinventing Your Career. Je l'ai interviewée au World Business Forum.

Diane Bérard - Pourquoi devons-nous revoir notre stratégie de carrière lorsqu'on veut changer d'échelon ?

Hermania Ibarra - Si vous voulez vraiment vous hisser plus haut, il faut sortir du vieux réflexe «si ça m'a réussi jusqu'à présent, je vais poursuivre sur la même lancée» [what got you here, will get you there]. Penser ainsi tue vos chances d'avancement. On n'obtient pas de vraie promotion en faisant davantage ce qu'on fait déjà. On la décroche parce qu'on a réalisé quelque chose de complètement différent.

D.B. - On ne peut donc pas miser sur ce à quoi on excelle ?

H.I. - Méfions-nous des recettes. Lorsque quelque chose nous réussit, on la répète, encore et encore. Évidemment, on nous récompense pour ces réussites. Aux yeux de notre employeur, nous devenons nos réalisations. La direction nous associe à un type de projet, de service ou de produit. Mais les organisations évoluent, leur environnement et leur structure aussi. Et, pendant que vous répétez les mêmes comportements, avec un peu plus d'assiduité et d'intensité en espérant vous faire remarquer, vos supérieurs regardent ailleurs pour pourvoir le prochain niveau hiérarchique.

D.B. - Avez-vous un exemple ?

H.I. - L'exemple classique est celui du leader qui s'est développé dans un rôle de spécialiste. C'est le cas des financiers et des ingénieurs, par exemple. Ils ont gagné leur reconnaissance grâce à leur expertise technique. Ils analysent tous les enjeux qu'on leur soumet à travers le prisme de leur spécialité. Cependant, pour les échelons supérieurs, ce n'est plus la bonne stratégie. On s'attend à une vision plus holistique. Le gestionnaire doit se détacher de sa formation de base pour inclure d'autres variables dans son analyse. Il gère généralement des gens qui ne sont pas comme lui, il ne peut donc les motiver uniquement en fonction de son expertise.

D.B. - Pourtant les employeurs laissent entendre qu'il faut être le meilleur dans ce que l'on fait pour mériter une promotion...

H.I. - Pas nécessairement. En matière de promotion, certaines entreprises performent mieux que d'autres. Elles ne se contentent pas de bêtement promouvoir le meilleur ingénieur au rang de chef du service ou le meilleur médecin à la tête de l'hôpital. Elles comparent les candidats aux postes de direction selon leur savoir-être, pas seulement leur savoir-faire. Mais il y a un défi. Comment juger si un ingénieur possède le savoir-être nécessaire pour diriger une équipe s'il ne l'a jamais fait ? On se fie à son potentiel. Mais certains candidats peuvent surprendre une fois devenus gestionnaires. Le candidat timide peut se révéler très inspirant. Et celui qui affiche une belle personnalité, totalement inadéquat. D'où l'importance, pour ceux qui veulent grimper, de se faire voir autrement. On devient leader en se comportant en leader, pas en agissant en expert.

D.B. - On incite les aspirants leaders à faire preuve d'introspection, à se pencher sur leurs forces et leurs faiblesses...

H.I. - Je suggère d'inverser la séquence : commencez par agir comme un leader, vous en arriverez ensuite à penser comme lui. Placez-vous en situation de leadership pour en développer progressivement le comportement. Le fait de moins réfléchir et d'agir davantage vous mènera plus loin.

D.B. - Racontez-nous votre douloureux passage du statut de chercheur à celui de professeur ?

H.I. - Je suis l'illustration parfaite de ce qu'il ne faut pas faire ! Je connais ma matière sur le bout de mes doigts. On m'a toujours reconnue pour mon expertise. Devenue professeure, je m'attendais à ce que mes étudiants fassent de même. Or, eux voulaient une professeure, pas une experte. J'ai donc reçu des évaluations lamentables. Mes étudiants ne m'accordaient pas de crédibilité dans mon nouveau rôle. Il a fallu qu'une vague connaissance, un homme plutôt critique dont je n'étais pas particulièrement proche, vienne assister à mon cours et me dise à quel point je ne faisais rien de bien. «Prends possession de ta classe, marque ton territoire, interpelle tes étudiants, sollicite leur participation, touche-leur l'épaule en passant, lis sur leur feuille de notes, etc.», m'a-t-il dit. Cela ne m'a pas particulièrement plu. Mais il fallait bien que je reconnaisse que ce qui m'avait conduite au succès ne me servait plus. Je me suis donc adaptée.

D.B. - Comment amener nos supérieurs à nous considérer comme leaders potentiels si nous n'avons jamais rien dirigé ?

H.I. - La première personne à vous confier un mandat de gestionnaire n'a pas à être votre patron. Il est souvent plus facile de vous faire reconnaître des talents différents par des gens qui ne vous connaissent pas. Portez-vous volontaire pour un projet à l'extérieur de votre service. Ou, pourquoi pas, à l'extérieur de votre entreprise. Cela vous donnera confiance. Et surtout, cela vous permettra de voir si le rôle de gestionnaire vous plaît.

D.B. - Pourquoi vaut-il mieux être un pont qu'un pôle ?

H.I. - Il vaut mieux être un pont qu'un pôle lorsqu'on aspire à un rôle de gestion. Sinon, être un pôle peut très bien vous convenir. Le pôle, c'est l'expert vers qui tout le monde converge. On vient à lui, mais il va peu à l'extérieur. Le pont, lui, sert d'agent de liaison entre son service et le reste de l'entreprise, ou entre l'organisation et le monde extérieur. Il gère le flux d'information ou de ressources. Il est le visage de son équipe ou de son organisation.

D.B. - En quoi les fusions ainsi que les vagues de rationalisation nuisent-elles au développement de leaders ?

H.I. - La tendance «faire plus avec moins» fait gonfler notre description de tâche. On est constamment dans l'action présente. On n'a ni le temps ni l'énergie d'explorer de nouvelles avenues, de développer de nouvelles compétences. Et c'est ainsi qu'on reste coincé dans le même rôle.

D.B. - Comment éviter de rester coincé dans un rôle ?

H.I. - Soyez stratégique. Quand vous êtes prêt à passer à un autre niveau, partagez vos connaissances et votre expertise avec vos collègues, ou vos employés, pour qu'ils puissent eux aussi s'acquitter de votre tâche.

D.B. - Pour devenir gestionnaire, il faut apprendre à réorganiser notre temps...

H.I. - Tant que vos demeurez collé à votre mandat, tout ce que vous accomplissez semble important. Lorsque vous sortez de votre service, que vous vous informez un peu plus sur votre organisation, vous apprenez à faire la distinction entre les tâches importantes et les tâches stratégiques.

D.B. - ... et à revoir nos fréquentations.

H.I. - Au lieu de luncher tous les midis avec les mêmes collègues, allez à la rencontre d'employés d'autres services. Renouez avec d'anciens camarades de classe. Organisez un 5 à 7 de gens qui occupent la même fonction que vous dans d'autres entreprises.

D.B. - Pourquoi l'authenticité n'est pas nécessairement la recette du leadership ?

H.I. - La frontière est mince entre authenticité et rigidité. Être authentique ne signifie pas persister dans ce que l'on a toujours été. Les humains ont plusieurs facettes. Être authentique peut signifier explorer un aspect de nous que personne ne connaît.

Suivez Diane Bérard sur Twitter @diane_berard

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