Maîtrisez l'art du pitch comme un pro!


Édition du 07 Novembre 2015

Maîtrisez l'art du pitch comme un pro!


Édition du 07 Novembre 2015

Par Olivier Schmouker

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Au travail comme dans la vie privée, nous devons convaincre. Grâce à des mots, des chiffres, des images. Afin que les autres embarquent dans notre projet, et que, tous ensemble, nous réalisions le jamais vu, pour ne pas dire l'impossible. Mais comment y parvenir ? En «pitchant» l'idée qui nous tient tant à coeur, c'est-à-dire en la partageant avec les autres de sorte qu'ils puissent difficilement y résister.

«Le Saint Graal de l'influence, personne ne l'a encore découvert. Cela étant, on a aujourd'hui une idée de ce à quoi il ressemble : pour convaincre quelqu'un, il faut jouer avec certains leviers psychologiques», dit Jean-Baptiste Audrerie, directeur du marketing et psychologue organisationnel du bureau lavallois de SPB Psychologie organisationnelle.

Ainsi, l'important n'est pas tant le message que le messager. «La clé, c'est de réussir à faire vibrer l'autre avec nous, ajoute-t-il. C'est de déclencher en lui une émotion profonde, qui le fera entrer de plain-pied dans notre univers, celui où a été conçu notre idée ou notre projet. Comment ? En s'affichant comme un leader inspirant, qui donne envie à tous d'aller plus haut et plus loin.»

Il donne cet exemple récent : «Avez-vous bien écouté le discours qu'a fait Justin Trudeau, le soir de son élection ? Il a martelé l'expression "you told us" [vous nous avez dit], ce qui envoyait le signal qu'il était à l'écoute de tout le monde, et donc connecté à nous tous. Qu'il ne cherchait pas à convaincre ni à imposer sa vision, mais à établir un dialogue. Et il n'y a pas mieux pour faire vibrer nos cordes sensibles, celles qui nous font embarquer dans un projet novateur».

La clé, c'est donc l'établissement d'un véritable dialogue. C'est ce que croit aussi Nicolas Duvernois, pdg fondateur de Pur Vodka, dont le produit a été reconnu meilleure vodka du monde en 2011 aux Vodka Masters de Londres. «Le mot qu'un entrepreneur entend le plus à ses débuts, c'est "non", dit-il. Vous ne pouvez pas imaginer combien de banquiers me l'ont sorti quand je leur soumettais mon projet de vodka québécoise. Mais celui-ci s'est peu à peu transformé en un " oui, mais..." à partir du moment où j'ai mis en avant mon audace et ma passion pour mon projet.»

John Strelecky, l'auteur américain du livre à succès The Why Cafe, de passage à Montréal, ajoute : «Être passionné ne suffit pas, il faut être passionnant, si on a l'espoir de captiver notre interlocuteur. Par exemple, à une soirée, quelqu'un se présente à vous en disant "Je suis le pdg de..." et un autre, par "Je reviens d'un voyage d'affaires en Nouvelle-Zélande" ; l'un vous fait bâiller, et l'autre vous fait rêver. C'est aussi simple que cela».

Une fois l'attention retenue, il convient d'agir avec méthode. À l'image de ce qu'expliquent ici trois maîtres en la matière.

«TOUT SE JOUE DANS LES 10 PREMIÈRES MINUTES» - JEAN-FRANÇOIS BERNIER, PRÉSIDENT, ALFRED

Les gamins qui renversent le petit-déjeuner dans la publicité d'Hertel, le type au haut-parleur qui traverse des paysages de rêve pour Sail, ou encore le gars en sarrau blanc qui fait «Ah ! Ha !» pour Familiprix... Tout ça est signé par l'agence montréalaise Alfred, qui dit avoir gagné «100 % des pitchs» auxquels elle a participé depuis 18 mois. Une réussite spectaculaire qui ne doit rien au hasard, comme l'explique son président.

Les Affaires - Qu'est-ce qu'un bon pitch ?

Jean-François Bernier - C'est avant tout une question de chimie. Il faut absolument qu'il se passe quelque chose entre nous et notre interlocuteur, presque dès le premier coup d'oeil. Quelque chose qui est de l'ordre de la séduction. De façon caricaturale, on peut voir ça comme une femme qui entre dans un bar avec l'intention de séduire et qui, si elle s'y prend bien, va faire chavirer des coeurs.

L.A. - Que doit-elle faire pour bien s'y prendre ?

J.-F.B. - Il y a les femmes qui misent tout sur un décolleté vertigineux, mais qui, selon moi, dévoilent trop leur jeu pour espérer trouver ainsi l'homme de leur vie. Nous, chez Alfred, nous ne montrons jamais ce que le client aimerait qu'on lui présente d'emblée, à savoir nos idées créatives appliquées à son cas. Car cela ne ferait que l'aguicher, et non pas le toucher au plus profond de son être : nous ne voulons pas d'une histoire d'un soir, mais d'une relation à long terme. Voilà pourquoi notre truc, c'est plutôt de miser sur l'élégance et l'attirance, bref, sur le désir.

L.A. - Une bonne présentation se limite donc à une histoire de coup de foudre ?

J.-F.B. - Non, pas du tout. Ça, c'est l'étincelle dont dépend tout le reste. Tout se joue alors dans les 10 premières minutes. En pitch, je ne me tiens jamais debout à côté d'un écran géant pour faire un show au client ; je m'assieds plutôt à la table et on jase en prenant un café. C'est tout. C'est comme ça qu'on voit si on est fait l'un pour l'autre ou pas. Rien ne vaut l'authenticité, j'en suis persuadé.

L.A. - Et vous parlez de quoi ?

J.-F.B. - J'écoute surtout. Pour montrer mon intérêt. Et pour signifier que mon but premier est d'avoir une compréhension parfaite de mon interlocuteur. Puis, je lui indique subtilement que je suis à la hauteur de ses attentes, par exemple en lui dévoilant notre tableau de chasse, c'est-à-dire les réalisations d'Alfred qui correspondent à peu près à ce qu'il aimerait qu'on fasse pour lui. Ça ne loupe presque jamais, ses yeux se mettent à briller à ce moment-là. Si on arrive jusque-là, on peut considérer que c'est dans la poche.

«CE QUI M'INTÉRESSE, C'EST L'ENTREPRENEUR, ET RIEN D'AUTRE»- FRANÇOIS LAMBERT, ASSOCIÉ DIRECTEUR, IMPULSE CAPITAL

L'ex-Dragon aux yeux bleus s'est d'ores et déjà fait présenter plus d'un millier de projets, et n'en revient toujours pas que les gens n'aient pas encore saisi la recette du pitch parfait. Une recette pourtant ultrasimple, selon François Lambert. Explication.

Les Affaires - Quel est le truc à ne surtout pas faire lorsqu'on veut vous présenter une idée ou un projet ?

François Lambert - M'aborder au mauvais moment. Imaginez-vous qu'il y en a qui me parlent du projet de leur vie au Centre Bell, alors que je regarde le match du Canadien avec mes chums. Ou lorsque j'attends chez le dentiste. Ça me paraît pourtant évident que je ne vais pas pouvoir leur accorder toute mon attention. Mais rien n'y fait, ils s'essayent quand même.

L.A. - D'accord, mais quand on a la chance de croiser un ex-Dragon, on peut se dire que c'est la chance de notre vie. Et qu'il faut à tout prix la saisir...

F.L. - Non. L'idéal, c'est de me demander un rendez-vous, en mettant en avant un détail susceptible d'éveiller mon intérêt. Mais là aussi, il ne faut pas commettre d'impair : je me souviens encore d'un gars qui m'a approché par Facebook, mais dont la photo du profil le montrait torse nu. Franchement. Qui va investir dans un projet dont le responsable se présente comme ça ?

L.A. - Alors, comment susciter votre intérêt ?

F.L. - Il faut être bien préparé, et être capable de m'allumer en quelques minutes. Car il faut savoir que, dans la vie, on n'a jamais une seconde chance : il faut me convaincre là, tout de suite, ou plus jamais. Le truc, c'est de ne surtout pas me vendre un produit ou un service, aussi novateur soit-il : je ne suis pas un client, mais un investisseur. Celui qui commet cette erreur me perd aussitôt, parce qu'il n'a pas compris que ce qui m'intéresse profondément, c'est lui, l'entrepreneur, et rien d'autre. Je veux voir quelqu'un de passionné, prêt à se lever à 4 heures du matin pour réussir, capable de s'adapter à n'importe quelle situation. Bref, quelqu'un qui fera de l'argent avec son projet.

L.A. - L'idée ou le projet vous importe donc peu ?

F.L. - Une idée ne vaut rien si elle ne se concrétise jamais, et donc si je sens que la personne en face de moi trébuchera à la première embûche. J'ai besoin d'avoir l'assurance que cette personne est solide et souple à la fois. C'est bien simple, je m'attends à ce que celui qui me pitche quelque chose réponde de lui-même à trois questions : Quelle est la problématique que règle mon projet ? Comment vais-je m'y prendre concrètement pour mener à bien mon projet ? Pourquoi suis-je la meilleure personne pour y arriver ? Si j'ai d'excellentes réponses à ces questions, 95 % du chemin est fait.

«LA MEILLEURE TACTIQUE POUR VENDRE, C'EST DE... NE PAS VENDRE !»- SIMON DE BAENE, PRÉSIDENT, GSOFT

GSoft et son président, Simon De Baene, se sont cassé les dents à plusieurs reprises sur des projets qui, bien que géniaux, ne trouvaient pas d'acheteurs. Exemple : la première version de Sharegate - un logiciel de conversion de documents pour SharePoint et Office 365, aujourd'hui leur produit phare - a fini à la poubelle, après deux années d'efforts intenses de vente. La principale raison de l'échec ? Le produit comme le pitch n'étaient pas au point. Le tir a été rectifié depuis.

Les Affaires - Y a-t-il un argument qui fait mouche à tous les coups lorsqu'on présente une idée ou un projet ?

Simon De Baene - J'ai appris par expérience qu'il est impératif qu'un produit ou un service réponde bel et bien à un réel problème qu'affrontent les gens. Dans le cas de Sharegate, la première version cherchait à régler plusieurs problématiques à la fois et n'y arrivait pour chacune d'elles que de manière imparfaite. La version suivante, elle, ne solutionnait qu'un seul problème, mais de manière excellente. Les acheteurs se sont immédiatement rués dessus.

L.A. - Le truc, c'est donc de faire simple ?

S.D.B. - Tout à fait. Plus on simplifie, mieux c'est. D'ailleurs, je ne cesse de répéter à ceux qui travaillent avec moi de faire simple : «Quand tu penses que c'est simple, coupe en deux, leur dis-je. Puis, coupe encore en deux. Jusqu'à ce que ce ne soit plus possible. Et là, le résultat sera bon». Pourquoi ? Parce qu'il n'y a rien de mieux, pour convaincre quelqu'un, que de répondre à son problème de la façon la plus simple qui soit.

L.A. - Ça suffit vraiment ?

S.D.B. - Bien sûr. Comme beaucoup d'entrepreneurs, j'ai été marqué par le livre Start With Why, du conférencier britannique Simon Sinek. Il y explique que, pour convaincre, il suffit de recourir au «cercle d'or», en réalité trois cercles concentriques : celui du centre est le «pourquoi» ; le deuxième, le «comment» ; et le troisième, le «quoi». Le truc consiste à commencer par répondre au «pourquoi», avant de répondre au «comment», puis au «quoi», et non l'inverse, comme nous avons tous tendance à le faire. Par exemple, le discours classique du vendeur de voitures consiste à dire : «Voici notre nouveau modèle» [quoi] ; «Il est doté de nouveaux équipements à la fine pointe de la technologie» [comment] ; «Vous en voulez un ?» Cela n'est pas emballant ; d'ailleurs, il n'y a pas de «pourquoi». En revanche, le discours à la Sinek donne ceci : «Nous croyons en un monde meilleur, plus soucieux du bien-être de chacun» [pourquoi] ; «Nous y contribuons en faisant des voitures sécuritaires, faciles à conduire et au design soigné» [comment] ; 3) «Vous en voulez une ?» Ce qui change tout, non ?

L.A. - Ça donne l'impression qu'on ne cherche pas à vendre, ni même à convaincre.

S.D.B. - En effet. Parce que la meilleure tactique pour vendre, c'est de... ne pas vendre ! C'est de se contenter de nouer un lien de confiance, puis de laisser l'autre venir à nous, quand bon lui semble. Parce que ce qui plaît fondamentalement aux gens, ce n'est pas ce que vous faites, mais pourquoi vous le faites.

DEUX PITCHS CÉLÈBRES

1. Le code secret de Pixar

Emma Coats est une ancienne scénariste du studio Pixar. Elle a décrypté le «code secret de Pixar», mettant ainsi au jour un modèle de pitch «irrésistible». Selon elle, tous les films du studio partagent la même base narrative, composée des six phrases suivantes : «Il était une fois__. Chaque jour__. Puis un jour__. À cause de ça__. C'est pourquoi__. Jusqu'à ce qu'enfin__.»

Ce cadre est à la fois souple et séduisant. Il permet d'exploiter la force du storytelling, tout en faisant preuve de concision. Pour vous en convaincre, prenons un exemple, en imaginant que vous caressez le projet de lever des fonds pour lancer votre startup :

«Il était une fois des utilisateurs de cellulaires fâchés de ne pas pouvoir le recharger lorsqu'ils se promenaient en ville. Chaque jour, des milliards de communications étaient perdues. Puis un jour, une personne a été dans l'impossibilité de retourner un appel crucial pour sa carrière. À cause de ça, elle a perdu le contrat du siècle. C'est pourquoi nous avons conçu un banc public doté de panneaux solaires et de ports USB intégrés. Jusqu'à ce qu'enfin le cauchemar que connaissaient tous ces gens comme vous prenne fin à jamais.»

2. L'argument massue de James Cameron

Après le succès de Terminator en 1984, le réalisateur canadien James Cameron tenait à tout prix à se lancer dans Alien 2. Le premier film de la série n'avait pas obtenu le succès commercial escompté, si bien que les producteurs n'étaient pas chauds à l'idée de poursuivre l'aventure.

«Quand James nous a invité à son pitch, nous nous attendions à un show spectaculaire, avec peut-être des images déjà tournées, un scénario époustouflant, ou à tout le moins un budget séduisant. Mais il n'y a eu rien de tout ça. On s'est retrouvé dans une salle minable, avec juste un tableau noir. Il n'avait rien à nous montrer. Il s'est contenté d'écrire en majuscule le mot «ALIEN», auquel il a ajouté à la fin un «S» barré, soit «$». C'était tout. Il nous a souri et, hyperconfiant, il nous a dit qu'on allait faire un paquet de fric avec ce film. Il est ressorti de la salle avec une avance de 18 millions de dollars», raconte Gordon Carroll, l'un des producteurs2. Résultat : le film a généré des recettes de 131 M$ US à l'échelle mondiale, dont 85 M$ US aux États-Unis.

À voir sur le Web

Notre entrevue vidéo avec François Lambert, d'Impulse Capital.

Suivez Olivier Schmouker sur Twitter @OSchmouker

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