«Les solutions mur à mur sont un cul-de-sac»

Publié le 14/05/2010 à 10:31, mis à jour le 07/10/2013 à 13:01

«Les solutions mur à mur sont un cul-de-sac»

Publié le 14/05/2010 à 10:31, mis à jour le 07/10/2013 à 13:01

On doit accroître la flexibilité dans le curriculum et dans l’enseignement des matières

par Martine Turenne >martine.turenne@transcontinental.ca

 « Il y a beaucoup de métiers où les mathématiques de quatrième secondaire ne sont pas vraiment utiles. Mais cela est une exigence minimale pour la majorité des diplômes d’études professionnelles », dit Andrée Cossette, conseillère du Centre local d’emploi de Grand-Mère.

Ce matin-là, elle anime en compagnie d’une dizaine de ses collègues de la région une activité d’information s’adressant à des raccrocheurs. Pour plusieurs d’entre eux, les exigences minimales du ministère de l’Éducation pour devenir boucher, coiffeuse ou conducteur de véhicules lourdes sont trop élevées et ils ne réussiront pas à décrocher le diplôme qui leur permettra de gagner leur vie.

Doit-on insister pour que tous les jeunes réussissent leurs mathématiques de quatrième secondaire et l’ensemble des cours obligatoires pour obtenir leur DES et accéder à une formation professionnelle ?

Le débat fait rage dans les milieux de l’éducation et de la formation de la main-d’œuvre entre ceux qui prônent une éducation de base uniforme, de manière à former un citoyen éclairé, quitte à en perdre en chemin, et ceux qui souhaitent un enseignement adapté à chacun, quitte à abaisser, parfois, les critères de réussite.

« Il y a un culte de la norme éducative au Québec », dit Simon Prévost, président des Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ). Tous les jeunes dans le même panier, avec un nombre déterminé de crédits pour accéder à tel endroit, qu’on doit accumuler dans un délai précis. « Il y a peu de marge de manœuvre. »

Simon Prévost est conscient de l’importance d’une bonne formation de base pour développer un « capital humain » de qualité. « Le débat est vif, poursuit-il. C’est une boîte de Pandore. Les entreprises ont besoin de gens ayant une bonne formation de base, car ils apprennent plus vite et sont plus polyvalents. Mais cette formation n’est pas pour tous. Certains vont décrocher, complètement écœurés à 16 ans. On ne les aura pas de toute façon, on va les perdre. Le système d’éducation est trop rigide, il faut de la flexibilité, au niveau régional, aussi. » Simon Prévost sent que le vent tourne et qu’une autre tendance se dessine. « On s’aperçoit que les solutions mur à mur sont un cul-de-sac. »

Le ministère de l’Éducation commence à assouplir ses règles. Il a ouvert la porte, discrètement, l’an dernier, à une formation à la carte pour certains jeunes, dès 15 ans, avec l’enseignement des matières de base réparti sur trois jours et deux autres jours de stage en milieu de travail.

Une souplesse salutaire, note Andrée Cossette. Sans cette obligation de réussir des maths de quatrième secondaire, que plusieurs considèrent comme l’ascension du Kilimandjaro, les élèves réussissent leur formation. « Et après, dit Mme Cosette, une fois la confiance revenue et une formation professionnelle en poche, plusieurs décident de poursuivre jusqu’à l’obtention de leur diplôme de cinquième secondaire. »

Tout est dans la manière

Le débat est aussi vif au cégep. Plus de trois élèves sur dix en sortent sans diplômes et plusieurs intervenants pointent du doigt les cours de mathématiques et de sciences, enseignés de manière uniforme à tous, que ce soit au futur électrotechnicien ou au neurochirurgien. Or, on le sait aujourd’hui, la manière d’apprendre diffère beaucoup d’un élève à l’autre.

« Plusieurs élèves inscrits dans des techniques abandonnent le cégep en cours de route en raison des mathématiques », dit Philippe Ricard, coordonnateur de département en techniques de recherche sociale du cégep de Rosemont, qui forme des gens qui travailleront comme recherchiste, analyste de sondages, etc. Le problème, souligne-t-il, est que les élèves reçoivent tous le même enseignement uniforme, quel que soit leur champ d’études. « Ces cours ne sont pas adaptés. Plusieurs élèves ont beaucoup de problèmes à les réussir. L’enseignement est trop abstrait. Les enseignants des secteurs techniques n’en contrôlent pas les contenus. » Selon Philippe Ricard, il faudrait des cours de mathématiques plus adaptés à la réalité du marché du travail. Le même problème s’applique aux cours de chimie ou de physique. « Ils sont conçus pour des élèves de sciences pures, pas d’électrotechnique. »

Cela fait 15 ans que Gaëtan Boucher, pdg de la Fédération des cégeps, plaide pour davantage de souplesse, tant dans l’enseignement des matières que dans les exigences liées à l’obtention du diplôme. « Il y a les contenus de cours, et il y a la manière de les enseigner, dit-il. On se heurte ici aux dogmes de l’enseignement général. Par ailleurs, dans certains cas, la structure du programme est trop difficile et cela nécessiterait plus de souplesse. Il y a une voie d’entrée, une voie de sortie, 91 unités en trois ans. C’est linéaire, rigide. On plaide cette question auprès des politiciens, c’est toujours le parcours du combattant. Cette rigidité ne nous aide pas. »

En 1994, lors d’États généraux organisés par la ministre de l’Éducation de l’époque, Lucienne Robillard, la question d’une formation différente entre les secteurs général et technique avait été abordée. «Mais cette possibilité a été rejetée, dit Gaëtan Boucher. Tout le monde dans le même moule, cette idée est dépassée en 2010. Quand il y a pénurie de main-d’œuvre, il faut s’ajuster, et il serait temps que le système d’éducation s’ajuste. »

Jean Trudelle se souvient bien des États généraux sur l’éducation. Mais le président de la Fédération nationale des enseignants et des enseignantes du Québec (FNEEQ, affiliée à la CSN) et professeur de physique au cégep de Rosemont, voit les choses d’un autre œil. «Il y a depuis longtemps un débat entre la formation générale et la formation spécifique. Une formation générale prépare des citoyens. Une formation trop spécifique est réductrice, car on peut tous être appelés à changer de travail. C’est aux entreprises de former de manière plus pointue sa main-d’oeuvre. Il y a déjà eu un « travail colossal de révision des programmes, dit-il. La formule québécoise présente des avantages. L’architecture de formation est extraordinaire. Mais une formation de qualité, c’est exigeant. »

Le Collège Laflèche ajuste ses contenus

Le Collège Laflèche, qui enseigne le niveau collégial à Trois-Rivières, a un taux de réussite assez phénoménal : 94 %. Certes l’institution est privée, mais ses 1300 élèves, dont les deux-tiers sont incrits dans des formations techniques, proviennent de toutes les couches de la société grâce à des systèmes de prêts et bourses. « À l’entrée, les élèves ont la même moyenne que les autres », dit Hélène Brouillette, conseillère aux affaires étudiantes.

Le secret de la réussite ? La souplesse dans l’enseignement, croit sa collègue, Lucie Hamel, directrice adjointe des études et des services pédagogiques. « On ajuste les contenus. Le cours de chimie n’est pas le même pour les élèves en technique de santé animale que ceux inscrits en sciences pures. Les professeurs en santé animale enseignent le cours différemment, tout en gardant la matière obligatoire du ministère. Bien sûr, c’est plus facile de donner le même cours à tous, sans discernement, mais on essaie d’aller plus loin. » Pour les cours de philosophie, les étudiants sont regroupés par programme. « Lorsque le professeur aborde les questions éthiques, poursuit Lucie Hamel, il peut s’appuyer sur des exemples concrets iés au programme d’études. Comme l’euthanasie en santé animale, par exemple. Cela a plus de sens. »

Le fait que le Collège soit une institution privée favorise cette souplesse, convient Mme Brouillette. « On n’a pas à gérer une convention collective. »

 

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