Les patrons Clearasil

Publié le 21/10/2008 à 20:39

Les patrons Clearasil

Publié le 21/10/2008 à 20:39

Par lesaffaires.com
Ils n'ont pas 30 ans et ils sont déjà patrons. Curieux, audacieux, instruits, ils font l'orgueil de leur employeur. Comment se débrouillent-ils ?

"Chez nous, être promu directeur avant 30 ans devient chose courante", affirme Benoît Guérard, directeur principal au cabinet de vérification KPMG et récipiendaire du prix Relève d'excellence HEC Montréal 2007. Ce jeune homme, gestionnaire à 26 ans, appartient à une nouvelle race : les patrons Clearasil, du nom de la lotion utilisée par les adolescents ! Ils sont jeunes, instruits et gestionnaires bien plus tôt que leurs aînés. Des patrons Clearasil, il y en a de plus en plus. "Les départs massifs à la retraite des baby-boomers et la pénurie de main-d'oeuvre créent un vide dans les organisations, explique Philippe Bourbonnais, associé principal au cabinet de recherche de cadres Korn/Ferry International. Il manque une génération, donc les jeunes sont promus plus rapidement."

Des préjugés à remiser

On a dit et écrit beaucoup de choses sur les moins de 30 ans. Enfants-rois, Tanguy... Faut-il craindre le pire lorsqu'ils deviennent patrons ? "Ça me désespère d'entendre mes collègues de la génération Y se demander ce que l'entreprise peut faire pour eux, avoue Sophie Reis, spécialiste des commandites chez Rogers. Les jeunes pensent que leur emploi leur est dû et qu'ils auront tout cuit dans le bec." Sophie Reis a beau appartenir à la génération Y, elle tranche avec le portrait qu'on en brosse. Cette travailleuse acharnée, fille d'immigrants portugais, a acheté ses premiers REER à 15 ans et un triplex sept ans plus tard ! À 24 ans, déjà forte de six ans d'expérience en publicité et en relations publiques, elle devient responsable de la commandite de la Coupe Rogers à Montréal, un tournoi de tennis qui attire près de 170 000 visiteurs, 870 invités de marque et une centaine de joueurs venus du monde entier.

Sophie Reis apporte un éclairage différent sur sa génération. Toutefois, à 25 ans, peut-on être crédible comme patron ? Selon Martin Thibault, président du Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec (RJCCQ), être jeune peut même devenir un atout. À 28 ans, il a cofondé Absolunet, une entreprise de développement Web. "La première fois qu'un client nous a demandé notre âge, nous sommes restés sans voix, raconte ce jeune dirigeant. Les fois suivantes, nous étions prêts. Nous répondions : "Dans notre domaine, si nous avions 40 ans, nous serions trop vieux pour être crédibles !""

Le préjugé le plus tenace à l'égard de cette génération demeure son côté volage et son manque de loyauté envers l'employeur. La relation entre Marianne Lauzon et L'Oréal prouve le contraire. Entrée en 2000 comme représentante, la jeune femme est aujourd'hui directrice de la marque Garnier, après un séjour de trois ans à New York, où elle a été promue adjointe à la vice-présidence. Et l'idylle entre Marianne Lauzon et la multinationale des cosmétiques dure toujours.

Une race à part

Il faut l'avouer, la plupart de ces jeunes patrons appartiennent à une race à part. Si le besoin criant de gestionnaires favorise des promotions de plus en plus tôt, ceux qui sont promus sont au-dessus de la mêlée. En septembre 2006, à 26 ans, Mathieu Staniulis est devenu chef de service en télécommercialisation à la Fédération des caisses Desjardins du Québec, le deuxième plus jeune gestionnaire de l'organisation, prenant la tête d'une équipe de 47 personnes. Sa plus grande réalisation ? L'implantation de la norme de qualité COPC, spécifique aux centres d'appels. Seuls une cinquantaine de centres - pour la plupart situés en Asie - l'ont obtenue cette année. "Desjardins est la seule institution financière en Amérique du Nord à l'avoir présentement, dit fièrement le jeune homme. Et en plus, nous serons les premiers au monde à l'avoir méritée pendant quatre années consécutives."

Mathieu Staniulis a fait de la qualité son cheval de bataille. Benoit Guérard, lui, s'est penché sur la façon d'améliorer les résultats d'examen des futurs comptables chez KPMG. Il a introduit un volet psychologique à la préparation de cette épreuve, qui exige des mois de travail. "Il y a le défi technique, mais aussi celui de la gestion du stress", explique-t-il. Cela a porté des fruits, car l'an dernier, KPMG s'est démarquée avec un taux de succès de 97,92 %.

En plus d'innover et de performer, les patrons Clearasil n'ont pas froid aux yeux. Cyrille Ballereau a quitté sa France natale en 2002 parce qu'il tenait absolument à travailler pour Wal-Mart, quasi absent en Europe. "Le commerce de détail me passionne et Wal-Mart en est la Formule 1. Alors, j'ai déménagé au Québec !" Il est à peine arrivé qu'on lui confie le magasin de Beauport, puis celui de Sainte-Foy.

Aujourd'hui, avec son visage d'adolescent, il règne sur le Wal-Mart le plus achalandé du Québec, à l'angle de la rue Jean-Talon et du boulevard Décarie, à Montréal. Les défis sont de taille : des dizaines de millions de dollars de revenus, 300 employés de 58 nationalités parlant 32 langues différentes et un taux de roulement de 45 %. Cependant, les vols à l'étalage commis par des employés et des clients, endémiques lors de son entrée en poste, sont aujourd'hui chose du passé.

Ces jeunes dirigeants aiment les défis et ils se débrouillent plutôt bien avec des concepts et des structures complexes. Des qualités qui arrivent à point, selon Philippe Bourbonnais. "Le monde des affaires est en pleine consolidation, qu'il s'agisse des télécommunications, des finances, des mines ou des pharmaceutiques. La capacité d'adaptation est essentielle chez un dirigeant."

Ils ont aussi une soif énorme d'information. "Avant, on disait : "Amène tes bras et ta boîte à lunch", explique Daniel Beaupré, directeur de l'Observatoire de gestion stratégique des ressources humaines de l'UQAM. La génération Y, elle, veut participer aux décisions. Ce qui est normal, car ils sont plus instruits et ils veulent continuer à s'actualiser." Mathieu Staniulis, de Desjardins, en est conscient, et il traite ses jeunes employés comme il voudrait être traité. "Je leur donne de l'information stratégique pour qu'ils aient une vision d'ensemble. Ce qui leur permet de sortir de leur carré de sable." Et c'est en partie ce qui explique que le taux de mobilisation de son service a bondi de 15 % l'an dernier.

Si ces jeunes sont gestionnaires, c'est souvent parce qu'ils ont été perçus comme prometteurs ou qu'ils font partie de programmes de "haut potentiel" créés pour assurer la relève. Celui de Bombardier Aéronautique compte 335 jeunes. Parmi eux, 90 sont dans un "bassin d'accélération de talent". Dans ce programme de deux ans, on déplace les jeunes dans l'organisation pour qu'ils travaillent à une variété de projets et qu'ils acquièrent des compétences diverses. Et, entre une évaluation psychologique, un plan de développement personnel et un learning coach, Bombardier ne lésine pas sur les moyens pour les accompagner dans l'aventure. En plus d'offrir des promotions qui attendent les jeunes au terme des deux ans, le programme fidélise ces derniers. "Le taux de roulement des participants est inférieur à 2 %", souligne Marc-André Sauvé, directeur, Développement du leadership, qui précise que les noms de ces perles rares sont gardés bien à l'abri du maraudage...

Trop jeunes pour gérer ?

Cependant, tout n'est pas rose. Julie (nom fictif) l'a appris à ses dépens. Destinée à une brillante carrière dans la fonction publique, elle a vite déchanté à son arrivée à la tête d'une dizaine de fonctionnaires dont la moyenne d'âge frôlait la cinquantaine. "Je n'ai pas été accueillie à bras ouverts. On ne m'a jamais donné les documents nécessaires à mon intégration. Je les ai trouvés toute seule, huit mois plus tard, parce que je passais des soirées à éplucher les archives !"

Carl (nom fictif) n'a pas eu la partie facile lui non plus. Embauché comme consultant pour coacher l'équipe de vente d'une grande entreprise alors qu'il vient tout juste de recevoir son diplôme universitaire, il ne parvient pas à s'imposer auprès de ses clients. Il tient bon deux ans, mais finit par quitter l'entreprise. Et Stéphane Lavigne, qui l'avait recruté, garde un mauvais

souvenir de ces moments où il était pris entre Carl et les clients. "C'était lourd. Plus jamais je n'embaucherai un consultant junior sans véritable expérience."

D'où la nécessité d'une formation à la réalité intergénérationnelle, la spécialité de Michèle Verdy, conseillère en ressources humaines agréée (CRHA) : "D'un côté, vous avez des jeunes gestionnaires ambitieux, dont le degré de patience est peu élevé. De l'autre, des baby-boomers près de la retraite", observe-t-elle. C'est en partie ce décalage qui a donné du fil à retordre à Julie, laquelle a eu des difficultés avec deux employés en particulier. "Ils ne me respectaient pas. L'un d'eux disait que je n'étais jamais satisfaite et qu'il me parlerait sur le ton qu'il voudrait."

La résistance face à un jeune patron ne vient pas toujours du personnel plus mûr. La gestion d'un groupe d'employés du même âge comporte aussi ses pièges, car des affinités se développent, que ce soit autour d'un verre ou au gymnase. "J'ai commis cette erreur, admet Stéphane Cardin, producteur chez Ubisoft. Il faut savoir garder ses distances, que ce soit pour ne pas paraître inéquitable ou pour pouvoir prendre des décisions difficiles, comme celle de licencier quelqu'un."

Toutefois, comme le souligne Michèle Verdy, les faux pas les plus communs des jeunes patrons sont souvent dus à leur impatience, à leur envie de tout chambouler ou au manque de consultation avec leurs collègues. C'est d'ailleurs une des maladresses commises par Frédéric Lefrançois, alors qu'il était encore directeur de produits pendant la production de Assasin's Creed, le jeu-phare lancé par Ubisoft en novembre dernier. "J'ai planifié sans l'aval de mon équipe, avoue le dirigeant. Puis j'ai constaté que certaines caractéristiques prévues dans le jeu n'y étaient pas. On m'a répondu : "Si tu me l'avais demandé, je t'aurais expliqué que ce n'était pas possible"."

Marianne Lauzon a vécu une expérience semblable. Rien ne doit être laissé au hasard dans la stratégie de lancement d'un produit, a-t-elle appris à ses dépens, qu'il s'agisse du nombre d'articles dans un présentoir ou de leur agencement. "Si j'avais consulté mon entourage, particulièrement le personnel des ventes, je n'aurais pas raté le lancement d'un de mes produits", dit-elle en parlant de ses débuts de gestionnaire.

Cette impatience peut même mener ces personnes à quitter leur poste si les responsabilités n'arrivent pas assez vite. Mais selon Benoit Grenier, directeur principal du groupe capital humain chez Deloitte, "le job hopping n'est pas une bonne chose. Il faut prendre le temps d'établir des relations avec ses pairs, se bâtir un réseau interne et développer son savoir-être. En fait, le savoir-être est l'écueil principal qui empêche la progression de carrière de ces jeunes gestionnaires."

Pour ceux qui résistent au chant des sirènes, le stress et le risque d'épuisement professionnel sont très présents. "Le jeune a peur et n'ose pas dire non ou demander de l'aide. Et le supérieur ne le détecte pas", dit Michèle Verdy. Selon elle, les jeunes patrons ne sont pas suffisamment encadrés. Julie est tout à fait d'accord. "J'ai vraiment été laissée à moi-même, déplore-t-elle. Ça a été épouvantable."

Tout ça parce qu'on les fait grandir trop vite, en leur accordant des promotions trop tôt, pense Michèle Verdy. "Mais eux aussi veulent grandir vite ! Ils sont pris dans l'engrenage", constate-t-elle. Il reviendra aux entreprises de trouver le moyen de ne pas les brûler en les surchargeant, et de ne pas les perdre parce qu'elles ne leur auront pas fait suffisamment confiance.

Cet article a été publié dans la revue Commerce en mars 2008.

À la une

Bourse: Wall Street clôture en ordre dispersé

Mis à jour il y a 26 minutes | lesaffaires.com, AFP et Presse canadienne

REVUE DES MARCHÉS. La Bourse de Toronto a clôturé en légère hausse.

Bourse: les gagnants et les perdants du 18 avril

Mis à jour il y a 6 minutes | LesAffaires.com et La Presse Canadienne

Voici les titres d'entreprises qui ont le plus marqué l'indice S&P/TSX aujourd'hui.

À surveiller: Banque TD, Marché Goodfood et Lion Électrique

Que faire avec les titres de Banque TD, Marché Goodfood et Lion Électrique? Voici quelques recommandations d’analystes.